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Les délégués à l'ouverture de la 41ème session du Conseil des droits de l'homme, au siège des Nations Unies à Genève (Suisse), le 24 juin 2019. © 2019 Magali Girardin/Keystone via AP

La France est candidate au Conseil des droits de l’homme de l’ONU pour un mandat de trois ans (2021-2023). Son élection, le 13 octobre, est pratiquement acquise d’avance, le nombre de pays candidats (deux, avec le Royaume-Uni) n’excédant pas le nombre de sièges à pourvoir. La France se considérant comme le berceau des droits humains –du fait de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen adoptée peu après la prise de la Bastille– on pourrait espérer de sa part une voix et un rôle forts guidés par ces principes au Conseil. Et pourtant, si l’on en juge par sa manière d’agir aux marges du Conseil, la France n’a été ces derniers temps ni proactive ni constructive dans la défense des droits humains –au contraire.

Au cours de la seule année 2020, la France s’est soit opposée ou a rejoint tardivement, et avec résignation, les efforts menés par ses alliés européens afin d’examiner les violations des droits humains perpétrées dans des situations aussi différentes que l’Arabie Saoudite, la Chine, la Libye, ou le Yémen, et faire en sorte que les responsables rendent des comptes. A maintes reprises, la France a manqué l’occasion d’être un acteur actif, déployant son influence et activant ses leviers auprès de ses partenaires de l’Union européenne et au-delà, pour accroitre le soutien aux initiatives menés par ses alliés européens.

Le 22 juin– grâce aux efforts de la Finlande, des Pays-Bas, de la Suisse, et du Royaume-Uni, entre autres– le Conseil des droits de l’homme a établi une mission d’établissement des faits pour documenter les violations commisses par toutes les parties au conflit en Libye depuis avril 2016 et préserver les preuves afin que les auteurs de ces actes soient tenus responsables. La France, cependant, n’était pas favorable à cette initiative, cherchant apparemment à restreindre le mandat et l’impact de la mission, tout en insistant sur une référence à la Cour pénale internationale (CPI) dans le projet de résolution. Pourtant, malgré son engagement revendiqué en faveur de la Cour, la France n’a pas expliqué en quoi son soutien au général Khalifa Haftar, qui dirige l’une des forces en conflit en Libye, est cohérent avec le refus de ce dernier d’arrêter et de livrer son adjoint, Mahmoud al-Werfalli, visé depuis 2017 par un mandat d’arrêt de la CPI pour crimes de guerre.

Le 30 juin, le Royaume-Uni a pris la tête d’une déclaration conjointe signée par 28 Etats exprimant leur « préoccupation quant aux détentions arbitraires, à la surveillance généralisée et aux restrictions » qui ciblent les Ouïghours et d’autres minorités au Xinjiang, ainsi que « l’imposition d’une législation relative à la sécurité nationale à Hong Kong ». Le Royaume-Uni avait déjà effectué une déclaration conjointe similaire en 2019, à laquelle la France s’était jointe, mais Paris tenait cette fois à une déclaration au nom de l’UE, prenant le risque de mettre en péril les efforts du Royaume-Uni et de brouiller le message à l’égard de la Chine. Face au fait que plusieurs Etats de l’UE étaient prêts à soutenir le projet de déclaration conjointe du Royaume-Uni, la France l’a finalement signée au dernier moment.

Le 14 septembre, le Danemark a présenté une déclaration conjointe sur l’Arabie Saoudite, signée par 29 Etats, dans laquelle ils exprimaient leur « profonde préoccupation quant aux rapports faisant état de torture, de détention arbitraire, de disparitions forcées » et « de discrimination persistante vis-à-vis des femmes et des filles », et appelaient à la « libération des prisonniers politiques » ainsi qu’ « à la transparence et à ce que tous les responsables rendent des comptes » suite au meurtre épouvantable de Jamal Khashoggi. La France ne figurait pas parmi eux. A la traîne, elle n’a signé la déclaration conjointe que quelques jours après sa lecture au Conseil.

Alors que la session en cours du Conseil des droits de l’homme touche à sa fin, la France a heureusement rectifié sa posture sur le Yémen concernant le renouvellement du Groupe d’experts éminents (GEE) qui enquête sur les violations de toutes les parties au conflit dans ce pays. Le GEE est le seul mécanisme de rendu de compte crédible sur le Yémen, et a montré son indépendance en désignant des « pays tiers » –parmi lesquels la France– qui fournissent des armes aux parties au conflit. D’abord irritée d’être ainsi montrée du doigt et opposée au renforcement du mandat des experts, elle a maintenant rejoint ses alliés européens en soutien d’un mandat renforcé du GEE pour recueillir des éléments de preuves et obtenir un accès sans entraves au Yémen, jusqu’à maintenant refusé par la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite combattant les forces Houthis.

La France a aussi heureusement abandonné sa proposition de remplacer la Commission d’enquête sur le Burundi, mise en place par le Conseil des droits de l’homme en 2016 et renouvelée chaque année depuis, par un Rapporteur spécial dont le mandat est en comparaison bien plus faible. Cette approche reposait sur l’hypothèse fort discutable que le nouveau gouvernement en place à Bujumbura– composé de tenants de la ligne dure du régime du Président Pierre Nkurunziza, récemment décédé– méritait, sans contrepartie, une chance de montrer ses bonnes intentions en matière de droits humains. La France a finalement soutenu la résolution votée le 6 octobre au Conseil, renouvelant le mandat de la Commission d’enquête sur le Burundi par 24 votes contre 6 et 17 abstentions.

Bien qu’elle affirme son attachement ferme au multilatéralisme et aux droits humains, la France a en fait entravé des efforts multilatéraux au sein du Conseil des droits de l’homme selon une stratégie contestable consistant à vouloir que l’UE s’exprime d’une seule voix. Cependant, à maintes reprises, elle est soit restée à l’écart lorsque ses partenaires européens ont proposé d’examiner de près des violations et de faire avancer la justice, ou s’est rangée derrière eux avec résignation et de manière tardive. De plus, la France n’a pas pris l’initiative pour des projets de résolution ou de déclarations conjointes sur des pays difficiles comme l’Arabie Saoudite, l’Egypte ou les Philippines, alors que des pays plus petits avec une influence internationale bien moindre ont fait preuve d’un tel leadership.

Par son insistance répétée –et souvent infructueuse– à ne pas vouloir affaiblir l’unité de l’UE en se joignant à des initiatives qui ne bénéficient pas du plein soutien des 27 pays membres de l’Union, la France accorde de facto un droit de veto à ceux qui, au sein de l’UE, ne veulent pas agir pour les droits humains. Alors que la Hongrie et la Pologne font face à la procédure émanant de l’Article 7 du Traité de l’UE du fait de leurs violations de l’Etat de droit et des droits fondamentaux, la France risque de faire de Budapest et de Varsovie les arbitres ultimes des positions de l’UE au sein du Conseil des droits de l’homme.

L’unité de l’UE est certes importante, mais l’unité comme fin en soi au prix de l’abandon de ses principes au plus petit dénominateur commun n’est pas du leadership. Ses récents changements de positions sur le Burundi et le Yémen sont, espérons-le, une indication que la France est prête à revoir sa stratégie globale au sein du Conseil des droits de l’homme. La France pourrait utilement confirmer que tel est le cas en prenant la tête d’une initiative pour faire avancer la justice sur une situation-pays jusqu’alors négligée par le Conseil.

« Leading from behind » (« Diriger de l’arrière ») est une expression fréquemment associée à la politique étrangère de l’ex-Président des Etats-Unis Barack Obama. A défaut d’un réel changement de cap, la politique étrangère de la France au sein du Conseil des droits de l’homme pourrait être résumée ainsi : « traîner à l’arrière ». La France ne devrait pas briguer un siège au Conseil pour rester en retrait.

Espérons qu’une fois élue au Conseil, la France fera preuve de plus de volonté et de détermination pour travailler avec ses alliés et partenaires, et pas contre eux, pour que le multilatéralisme assure la défense des droits humains.

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