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Cameroun : Massacre d’écoliers par des hommes armés

Les autorités devraient garantir une enquête indépendante et efficace, et protéger le droit à l’éducation

Capture d’écran d’une vidéo filmée devant l’Académie Internationale Bilingue Mère Francisca, à Kumba, dans la région du Sud-Ouest au Cameroun, après l’attaque qui a tué 7 enfants le 24 octobre 2020. © 2020 Privé.

(New York) - Des hommes armés ont pris d’assaut une école privée dans la région anglophone du Sud-Ouest du Cameroun, le 24 octobre 2020, tuant 7 enfants et en blessant au moins 13 autres. Les autorités camerounaises, avec le soutien technique et l’expertise médico-légale des Nations Unies et de l’Union africaine, devraient de toute urgence protéger le site, préserver les preuves, mener une enquête crédible et efficace, et veiller à ce que les responsables de l’attaque répondent de leurs actes.

La responsabilité de l’attaque n’a pas été revendiquée, mais le gouvernement a accusé les séparatistes armés qui ont appelé à un boycott de l’éducation dans les régions anglophones depuis 2017. Le vice-président du « Ambazonia Interim Government », l’un des principaux groupes séparatistes, a déclaré le 25 octobre que des soldats camerounais avaient perpétré l’attaque. Le jour de l’attaque, le ministre camerounais de la Communication a annoncé l’ouverture d’une enquête. Quatre jours plus tard, le ministre a déclaré que les forces de sécurité avaient « neutralisé » un combattant séparatiste supposé faire partie des responsables.

« Ce massacre est un sinistre rappel du lourd tribut payé par les enfants, et des entraves à leur éducation, dans le cadre de la crise dans les régions anglophones du Cameroun », a déclaré Ida Sawyer, Directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch. « Les autorités devraient veiller à ce que l’enquête promise soit indépendante, efficace et impartiale et que les responsables de cette attaque éhontée contre des écoliers soient traduits en justice ».

Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 5 parents de victimes, 2 membres du personnel médical qui ont soigné les blessés, 4 journalistes locaux qui ont couvert le massacre, 2 enseignants qui travaillent à Kumba, où l’attaque a eu lieu, et 10 habitants de cette ville qui se sont rendus d’urgence à l’école pour aider à évacuer les blessés. Human Rights Watch a examiné 48 photographies et enregistrements vidéo montrant les corps ainsi que les conséquences de l’attaque, et a passé en revue de nombreux articles de presse et déclarations de responsables gouvernementaux et de dirigeants séparatistes.

Vers 11 heures du matin le 24 octobre, au moins neuf hommes armés sont arrivés à moto à la « Mother Francisca International Bilingual Academy » (Académie Internationale Bilingue Mère Francisca) dans le quartier de Fiango à Kumba. Ils ont fait irruption dans une salle de classe du deuxième étage et ont ouvert le feu sur les élèves. Ils ont continué à tirer alors que les enfants terrifiés prenaient la fuite et se jetaient en criant dans les escaliers.

Capture d’écran d’une vidéo filmée le 24 octobre 2020 après l’attaque dans l’Académie Internationale Bilingue Mère Francisca à  Kumba, dans la région du Sud-Ouest au Cameroun. © 2020 Privé.

« Ce samedi, je m’étais réveillé tôt pour aller à la ferme », a déclaré à Human Rights Watch un père qui a perdu sa fille de 11 ans. « Ma fille m’a dit : "Au revoir, papa". C’est la dernière fois que je l’ai vue vivante. Lorsque j’ai été averti de la fusillade, j’ai couru jusqu’à l’école, et j’ai vu le corps de ma petite fille au sol, la tête arrachée. J’étais en état de choc ».

L’attaque s’est produite en plein jour, dans une zone densément peuplée. Les habitants ont déclaré que les forces de sécurité du gouvernement ne se trouvaient pas dans les parages au moment de l’attaque. Dans sa déclaration du 24 octobre, le ministre de la Communication a déclaré que l’école « n’a lancé ses activités qu’en ce début d’année scolaire 2020/2021, à l’insu des autorités administratives compétentes, et n’a pu bénéficier des mêmes mesures de protection que d’autres établissements scolaires ».

Des habitants de Kumba et des journalistes ont pourtant déclaré que l’école était ouverte depuis plusieurs années et que seules les écoles publiques de Kumba disposaient de forces de sécurité déployées à l’extérieur, contrairement aux écoles privées. « Nous ne voulons pas de soldats dans les salles de classe, car la neutralité des écoles doit être préservée, mais nous méritons d’être mieux protégés », a déclaré un enseignant qui travaille dans une école primaire privée de Kumba.

Le ministre de la Communication a déclaré que suite à l’attaque, « des unités spéciales des forces armées camerounaises ont entrepris la sécurisation de la ville de Kumba ».

De nombreux proches des victimes et habitants ont déclaré qu’ils avaient trop peur de nouvelles attaques pour renvoyer leurs enfants à l’école. « Qui oserait envoyer ses enfants à l’école en ce moment ? Moi, je ne le ferais pas », a déclaré une mère qui vit dans le quartier de Fiango. « Je préfère les garder à la maison à ne rien faire, plutôt que de les envoyer à l’école où ils peuvent être massacrés ».

Face à de telles pertes en vies humaines, il est essentiel que le gouvernement garantisse une enquête efficace, non seulement pour que les victimes puissent obtenir justice, mais aussi pour décourager de futures attaques et renforcer la protection du droit à la vie et à l’éducation, a déclaré Human Rights Watch. Une enquête efficace devrait au moins permettre la collecte et la préservation des preuves médico-légales sur les lieux du crime et auprès des victimes, l’enregistrement des dépositions de tous les témoins, et l’identification de toute la documentation visuelle disponible, telle que les photos et enregistrements vidéo de l’attentat et de ses suites.

Le Cameroun devrait faire appel à l’Union africaine et aux Nations Unies, si nécessaire, pour obtenir un soutien technique et une expertise afin de garantir l’efficacité de l’enquête. Les autorités devraient également s’abstenir de toute accusation infondée et de toute spéculation concernant les complicités locales ou communautaires concernant l’attentat.

Lors d’une conférence de presse tenue le 24 octobre, Chamberlin Ntou’ou Ndong, le préfet du département de la Mémé, dont dépend la ville de Kumba, a accusé la population locale de complicité avec les agresseurs présumés pour avoir « attendu » et ne pas avoir signalé la présence d’hommes armés aux forces de sécurité. Le gouverneur de la région du Sud-Ouest s’est rendu à Kumba le 29 octobre et a dit aux femmes qu’il a rencontrées sur place : « Qui sont les tueurs ?... Les tueurs sont vos frères … Les tueurs sont vos enfants ! » Mais comme l’a souligné un habitant de Kumba : « Ce n’est pas notre faute si cette attaque a eu lieu. Il est injuste de rejeter la faute sur la communauté. Elles [les autorités] nous ont juste laissé tomber ».

Le jour de l’attaque, Chamberlin Ntou’ou Ndong a ordonné à la police de Kumba de faire arrêter le propriétaire de l’école et deux de ses enseignants, et de les détenir au commissariat de Kumba pour « garantir leur sécurité », citant d’éventuels risques de représailles de la part de la communauté. Ces personnes sont toujours en détention. Human Rights Watch n’a pas pu confirmer si elle ont été inculpées. Mais les membres des familles des victimes et les habitants de Kumba ont déclaré qu’il était peu probable que quiconque chercherait à leur faire du mal. « C’est de la naïveté de prétendre qu’il s’agit d’une forme de détention protectrice, personne ne leur reproche ce qui s’est passé », a déclaré un habitant.

Capture d’écran d’une vidéo filmée le 24 octobre 2020, montrant des soldats et des personnes se rassemblant devant l’Académie Internationale Bilingue Mère Francisca à Kumba (région du Sud-Ouest) au Cameroun, après que des individus armés eurent attaqué l’école en tuant 7 enfants et en blessant 13 autres. © 2020 Privé.

Trois journalistes qui ont couvert l’attaque et plusieurs habitants de Kumba qui se sont retrouvés à l’école après le massacre ont déclaré que la scène du crime était facilement accessible les 24 et 25 octobre, faisant craindre que des preuves médico-légales aient pu être perdues. « Elle n’a pas été bouclée », a déclaré une journaliste. « Le 25 octobre, je suis rentrée trois ou quatre fois dans la salle de classe où s’est produite la fusillade. Personne ne m’en a empêché, il n’y avait pas de forces de sécurité à proximité ».

Depuis 2017, des groupes séparatistes armés ont imposé un boycott de l’éducation dans les régions anglophones, cherchant à faire pression sur le gouvernement pour qu’il soutienne leur appel à l’indépendance des régions anglophones du Cameroun. Les combattants séparatistes ont attaqué des écoles, kidnappé des centaines d’élèves et agressé des élèves et des enseignants pour ne pas avoir respecté leurs consignes de fermeture des écoles. Ils se sont servi des écoles comme bases pour leurs opérations, et ont torturé et pris en otage des personnes à l’intérieur et à proximité de ces établissements.

Les forces gouvernementales ont également été impliquées dans au moins un incendie criminel perpétré dans une école, et ont commis d’autres graves violations des droits humains, notamment contre des enfants. Le 14 février dernier, des soldats ont massacré 21 personnes, dont 13 enfants, dans le village de Ngarbuh, dans la région du Nord-Ouest, lors d’une attaque de représailles visant à punir la population accusée d’abriter des combattants séparatistes.

Les attaques contre les écoles, les élèves et le personnel enseignant dans les régions anglophones ont eu des conséquences dévastatrices sur l’éducation. Selon les Nations Unies, 81 % des enfants n’étaient pas scolarisés dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest pendant l’année scolaire 2019-2020.

L’attaque de Kumba a provoqué un tollé au niveau national et international. Le président Paul Biya a annoncé que le 31 octobre serait un jour de deuil national. Les Nations Unies, l’Union africaine, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, le Canada et le pape François ont tous condamné les meurtres. La porte-parole du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a déclaré que les meurtres d’enfants et les attaques contre les établissements scolaires constituent de graves violations du droit international et que les responsables devaient être traduits en justice. Elle a exhorté les autorités camerounaises « à garantir des enquêtes indépendantes et impartiales et des poursuites judiciaires pour toutes les violations et tous les abus graves » dans les régions anglophones.

En septembre 2018, le Cameroun a annoncé son adhésion à la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, un engagement politique international visant à protéger l’éducation en temps de conflit et de violences. En juin, en réponse à la gravité et au nombre des attaques perpétrées contre les écoles, au meurtre et à la mutilation d’enfants, ainsi qu’au recrutement et à l’utilisation de ces derniers, le Secrétaire général des Nations Unies a ajouté le Cameroun à la liste des situations préoccupantes pour le mécanisme de surveillance et d’information des Nations Unies sur les graves violations commises contre les enfants en temps de conflits armés.

« Ce qui s’est passé à Kumba est la dernière d’une série d’attaques choquantes contre les enfants et l’éducation dans les régions anglophones du Cameroun », a déclaré Ida Sawyer. « Le gouvernement doit faire plus pour permettre aux enfants d’apprendre en toute sécurité. Les autorités doivent s’assurer que les responsables du massacre de Kumba répondent de leurs actes, dissuader toute nouvelle attaque et garantir le droit fondamental des enfants à l’éducation ».

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