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Kirghizistan : Obstacles à l’éducation des enfants handicapés

Un système d’éducation inclusive est indispensable pour mettre fin à la ségrégation dans des institutions spécialisées

(Berlin, le 10 décembre 2020) – Des milliers d’enfants handicapés au Kirghizistan sont mis à l’écart de la société dans des institutions résidentielles, où ils sont confrontés au risque de négligence, de soins médicaux inappropriés et de discrimination, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui, à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme.

Ce rapport de 74 pages, intitulé « Insisting on Inclusion: Institutionalization and Barriers to Education for Children with Disabilities in Kyrgyzstan » (« Pour que cesse l’exclusion: Le placement en institution des enfants handicapés et les obstacles qu’ils rencontrent pour leur éducation au Kirghizistan »), documente comment ces enfants se voient fréquemment dénier une éducation inclusive et de qualité, dans laquelle les enfants handicapés et non handicapés étudient ensemble dans des écoles traditionnelles. Les enfants handicapés font l’objet d’évaluations discriminatoires de la part du gouvernement, qui mènent souvent à une ségrégation à leur encontre et à leur placement dans des écoles spécialisées ou à les contraindre à faire leurs études à domicile, a constaté Human Rights Watch. Le Kirghizistan a ratifié en 2019 la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH).

« Le gouvernement kirghize s’est engagé à garantir l’accès à une éducation inclusive, ce qui veut dire que les enfants handicapés devraient avoir la possibilité d’étudier dans les écoles traditionnelles, au sein des communautés où ils vivent », a déclaré Laura Mills, chercheuse à Human Rights Watch et auteure du rapport. « Mais le gouvernement doit encore faire de cette promesse une réalité pour les enfants dans tout le pays. »

Human Rights Watch s’est entretenu avec 111 personnes entre octobre 2019 et juillet 2020, y compris avec des enfants et de jeunes adultes handicapés, des enseignants et des membres du personnel d’institutions résidentielles et d’écoles spécialisées, des parents et des activistes des droits des handicapés. Human Rights Watch a également visité six institutions résidentielles et écoles pour enfants handicapés réparties dans quatre régions du pays.

Un petit garçon assis devant la fenêtre de sa chambre à l'Institut psychoneurologique pour enfants de Belovodsk, au Kirghizistan, le 15 novembre 2017. © 2017 Danil Usmanov, kloop.kg

Human Rights Watch a constaté que ces institutions disposaient d’un personnel insuffisant pour s’occuper d’enfants handicapés, ce qui est la cause de maltraitances et d’un manque de dévouement individualisé. Les enfants étaient séparés en fonction de leur handicap, ce qui est discriminatoire.

Human Rights Watch a également documenté le fait que le personnel des institutions a régulièrement recours aux substances psychotropes ou au placement de force en hôpital psychiatrique, afin de contrôler le comportement des enfants et de les punir.

Un médecin d’une institution pour enfants handicapés a décrit comment il avait envoyé un garçon dans un hôpital psychiatrique parce que le personnel de l’institution n’était pas satisfait de son comportement. Ce médecin a reconnu un usage dangereux de certains médicaments sur les enfants, précisant: « Là-bas, ils peuvent même faire une surdose de sédatifs, mais [l’hôpital] dispose d’une unité de soins intensifs, donc ils peuvent les ranimer. »

Aucune des six institutions visitées n’avait un système accessible et confidentiel de dépôt de plainte, ce qui veut dire que les enfants qui y vivent ne peuvent pas signaler des abus ou des actes de négligence.

Depuis 2012, le gouvernement kirghize s’est engagé à fermer 17 institutions résidentielles pour enfants, dont trois réservées aux enfants handicapés. Mais 3 000 enfants handicapés demeurent placés dans des institutions et le gouvernement n’a fermé qu’une seule école résidentielle spécialisée.

Deux organismes sont chargés d’évaluer les enfants et peuvent faire des recommandations fondées sur leur éventuel handicap, qui ont pour effet de leur interdire l’accès au système éducatif traditionnel, voire à toute forme d’éducation. Les Consultations psycho-médico-pédagogiques (Psycho-Medical-Pedagogical Consultations, PMPC), composées de médecins et de spécialistes de l’enseignement, recommandent fréquemment que les enfants handicapés fassent leurs études dans des écoles spéciales ou soient scolarisés à domicile. Un autre organisme, composé uniquement de médecins, peut faire des recommandations similaires, y compris affirmer que certains enfants ne sont pas capables de suivre le moindre enseignement.

Bien que les évaluations effectuées par ces deux organismes ne conduisent officiellement qu’à des recommandations, Human Rights Watch a constaté que les écoles traditionnelles refusent souvent d’accueillir des enfants pour lesquels une inscription dans une école spécialisée ou une scolarisation à domicile a été recommandée.

Human Rights Watch a constaté que les enfants handicapés qui vivent dans leur famille, y compris ceux qui ont été retirés d’une institution par leurs parents, se heurtent à des obstacles importants et discriminatoires pour pouvoir étudier dans les écoles traditionnelles.

Un obstacle majeur à une éducation inclusive réside dans le fait que les écoles traditionnelles sont physiquement inaccessibles ou ne fournissent pas le soutien nécessaire aux enfants handicapés. En raison de cette absence de structures ou d’équipements de soutien, de nombreux parents se sentent parfois obligés d’accompagner leurs enfants à l’école pour les aider à se déplacer entre les différents étages, aller aux toilettes ou lire ce qui est écrit au tableau en classe.

Quoique de nombreux enfants handicapés reçoivent un enseignement à domicile, les parents affirment que les enseignants ne viennent que pour quelques heures et ne sont souvent pas formés aux techniques d’éducation d’un enfant handicapé.

Les enfants placés dans les institutions résidentielles et les écoles spéciales reçoivent généralement un enseignement insuffisant, voire pas d’éducation du tout.

Les limites imposées aux enfants handicapés pour accéder aux écoles traditionnelles constituent une discrimination et une violation de la loi du Kirghizistan et du droit international, a affirmé Human Rights Watch. Les agences d’État devraient cesser de séparer les enfants pour cause de handicap et identifier et fournir des systèmes de soutien individualisé, connus sous le nom d’accommodements raisonnables, pour s’assurer que n’importe quel enfant puisse recevoir une éducation. Aux termes des obligations du Kirghizistan en matière de droit international humanitaire, les enfants handicapés ont le droit de vivre dans leur communauté et d’être élevés au sein d’une famille.

Les autorités kirghizes devraient se donner pour priorité de fournir une éducation inclusive aux enfants handicapés, en dépit de la crise politique et constitutionnelle que traverse actuellement le pays.

Le gouvernement devrait abolir ou réformer les organismes qui bloquent l’accès des enfants handicapés à une éducation de qualité et inclusive. Il devrait adopter un plan clair et assorti d’échéances visant à fermer les institutions pour enfants, y compris celles dédiées aux enfants handicapés, et développer des services centrés sur la communauté afin d’apporter un soutien aux enfants pour qu’ils soient élevés au sein de leurs familles. En attendant, tant que des enfants vivront encore en institution, les autorités devraient les protéger contre toute maltraitance et contre les soins médicaux inappropriés, et leur fournir des systèmes accessibles de dépôt de plaintes.

« Pour pouvoir fermer avec succès les institutions résidentielles pour enfants handicapés, le Kirghizistan doit commencer à démanteler les obstacles qui les empêchent d’accéder aux écoles traditionnelles dans leur communauté », a affirmé Laura Mills. « Le gouvernement devrait faire en sorte que les enfants handicapés puissent étudier aux côtés de leurs camarades non handicapés et leur fournir les instruments dont ils ont besoin pour réussir. »

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RFE/RL (ang)

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