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Les cabinets d’audit ne doivent pas servir de couverture à l’inaction d’entreprises en matière de bas salaires

Publié dans: Equal Times
Des employées d’une usine de confection textile située dans la banlieue de Phnom Penh, au Cambodge, photographiées le 30 août 2017. Plus tard dans cette journée, le Premier ministre Hun Sen a visité cette usine. © 2017 Heng Sinith/AP Photo

La pandémie de Covid-19 a mis en évidence le pouvoir commercial implacable que les enseignes et les détaillants exercent sur les usines textiles et de confection – rappelant sans ménagement l’influence considérable qu’ils peuvent avoir sur la capacité des fournisseurs à garder leurs employés ou à les payer en temps et en heure.

Un fournisseur établi au Cambodge m’a parlé de sa situation très difficile. Un conglomérat mondial auquel il livrait régulièrement des vêtements représentait jusqu’à 60 % de la production de son usine. Au début de la pandémie, alors que le fournisseur devait recevoir le paiement de la commande, l’acheteur a cessé toute communication. La marchandise avait déjà été fabriquée et expédiée. Le fournisseur s’est vu obligé de réduire le salaire de ses employés et de cesser momentanément de les faire travailler.

Il apparaît de plus en plus clairement que les cabinets d’audit sollicités pour inspecter les fournisseurs et veiller au respect des normes du travail ont les mains liées. Il n’appartient pas aux vérificateurs de surveiller les pratiques d’achat qui sont à l’origine de nombreuses violations des droits du travail.

Les vérificateurs et les enseignes ne peuvent pas affirmer de manière crédible que les audits sociaux sont destinés à « faire toute la lumière sur les problèmes » ou à réaliser une « analyse des causes profondes » permettant de mettre en place des plans de mesures correctives adaptés. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les salaires et les prestations des travailleurs, les heures de travail et les contrats d’emploi précaires.

Lorsque les enseignes tardent à envoyer les spécifications de leur commande aux usines ou que leur commande finale est très différente de la commande initiale, les fournisseurs recourent à diverses méthodes pour faire face aux délais de production exigés par l’enseigne. Par exemple, ils obligent les employés à effectuer des heures supplémentaires excessives, ils embauchent des travailleurs à la journée ou pour de courtes durées, ou sous-traitent de la main-d’œuvre sans en informer l’enseigne.

En payant les marchandises à un prix trop bas pour assurer un salaire minimum et verser les prestations correspondantes auxquelles ont droit les travailleurs, les acheteurs contraignent les fournisseurs à réduire brutalement les coûts.

À force de ne pas tenir compte du pouvoir commercial omniprésent des enseignes et des revendeurs, une tension s’est créée au fil des années entre les vérificateurs et les fournisseurs. Ces derniers éprouvent du ressentiment quand ils subissent de fortes pressions de la part des enseignes et des commerçants pour améliorer les conditions de travail des employés alors que les prix et les pratiques d’achat sont injustes. Ils critiquent souvent les audits sociaux, qui ressemblent davantage à leurs yeux à des « visites de la police ». Certains fournisseurs reconnaissent même avoir recours à une double comptabilité afin que les conclusions de l’audit jouent en leur faveur.

Les vérificateurs ont leurs propres griefs. Certains vérificateurs avec qui je me suis entretenue déplorent les échanges virulents avec les directeurs d’usine, qui les interrogent sur les « preuves » utilisées pour établir les conclusions des audits. Les vérificateurs, qui sont consciencieux et s’efforcent de faire leur travail de leur mieux, en ont assez de constamment essayer de se montrer plus rusés que les directeurs d’usine. Un ancien vérificateur a dit qu’il avait cherché de nouvelles manières de poser des questions aux travailleurs sur leurs conditions de travail : étant donné que les travailleurs reçoivent souvent des instructions en amont sur les « bonnes » réponses à donner aux vérificateurs, il leur posait rarement des questions directes sur les heures de travail ou le jour de congé hebdomadaire. Les questions détournées sur ce que les travailleurs faisaient le dimanche et après leur travail à l’usine lui ont souvent permis d’obtenir des indications plus précises sur les véritables conditions de travail.

Transparence des salaires et amélioration des conditions de travail

De nombreuses enseignes et revendeurs semblent se réjouir de l’intérêt accordé aux plaintes des fournisseurs à l’égard des audits et de la « lassitude » résultant d’un trop grand nombre d’inspections chaque année, sans s’attaquer au véritable problème. Ils ne reconnaissent pas, ou n’admettent pas, que ce sont leurs propres pratiques d’achat qui entraînent des conditions de travail abusives.

Les cabinets d’audit ont des responsabilités en termes de droits humains, comme le stipulent les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Ils ont la responsabilité d’accepter et de faire connaître les limites de ce qu’ils sont en capacité de faire, tout en prenant les dispositions nécessaires pour renforcer les méthodes qui visent à rendre compte avec précision des pratiques des fournisseurs.

Par ailleurs, les cabinets d’audit devraient prendre des mesures pour ne pas laisser involontairement les enseignes et les détaillants dénaturer ce que les audits sociaux permettent d’obtenir. Les cabinets d’audit devraient déclarer clairement, en public et en privé, que leurs analyses ne portent pas sur les causes profondes du problème puisqu’ils n’examinent pas les pratiques des acheteurs.

Les enseignes qui défendent réellement les droits des travailleurs dans leurs chaînes d’approvisionnement devraient cesser de recourir aux audits sociaux pour promouvoir le respect des normes du travail, en particulier en ce qui concerne les salaires et les heures de travail.

Les entreprises devraient collaborer et mutualiser les ressources axées sur la transparence des salaires. Il conviendrait notamment d’améliorer la transparence des salaires au niveau des fournisseurs, par le biais d’initiatives telles que Gajimu en Indonésie – un programme qui recueille et publie les données relatives aux salaires communiquées par les travailleurs de la confection. C’est en recherchant et en déclarant publiquement les salaires des travailleurs, la durée moyenne du temps de travail et les types de contrat d’embauche conclus à l’aide de méthodes centrées sur les travailleurs qu’il sera possible de mener à bien des réformes.

La transparence des salaires à elle seule ne suffira pas automatiquement à améliorer les conditions de travail. Il serait souhaitable que les entreprises actives dans les chaînes d’approvisionnement mondiales collaborent en utilisant les échelles de salaire propres aux pays et en indiquant les mesures qu’elles ont adoptées pour verser un salaire décent aux travailleurs. Chaque entreprise devrait préciser comment elle augmente progressivement l’échelle des salaires, avec des prix révisés.

Faute d’avancées significatives sur ces points, aucune enseigne ne pourra affirmer avoir les moyens nécessaires pour remédier au problème insoluble des bas salaires et des heures de travail excessives. Les cabinets d’audit devraient s’élever fermement contre cette situation et refuser d’y prendre part.

Cet article a été traduit de l'anglais.

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