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Un premier pas vers une réparation pour la personne confondue avec « l’homme au chapeau » en Belgique

Publié dans: Mondiaal Nieuws
Fayçal Cheffou, un journaliste qui a été confondu à tort avec l’« homme au chapeau », l’un des principaux suspects des attentats meurtriers perpétrés à Bruxelles le 22 mars 2016.  © 2016 Human Rights Watch

Le 5 janvier dernier, les autorités judiciaires belges ont pris une décision trop longtemps attendue, levant les accusations de terrorisme qui pesaient contre Fayçal Cheffou, un journaliste indépendant et activiste, pris à tort pour l’un des principaux suspects des attentats meurtriers perpétrés à Bruxelles en 2016. Outre le fait d’avoir été accusé injustement, Cheffou a été placé en détention pendant cinq jours et, selon lui, passé à tabac et menacé par des agents de la police fédérale. Les autorités belges devraient à présent veiller à ce que Cheffou puisse obtenir réparation pour l’épreuve qu’il a subie—dans son intérêt et dans le cadre d’une prise en compte plus large des dérapages sécuritaires qui se sont produits dans la foulée des attentats.

Cheffou, 35 ans, a été arrêté deux jours après les attentats du 22 mars 2016 commis à l’aéroport de Zaventem et à la station de métro Maelbeek, au cours desquels 32 personnes avaient perdu la vie et 340 autres avaient été blessées. L’État Islamique (EI) en avait revendiqué la responsabilité. La police avait confondu Cheffou avec un suspect repéré sur les caméras de surveillance de l’aéroport de Zaventem et surnommé par les médias « l’homme au chapeau ».

Lors de ma première rencontre avec Cheffou dans un café bruxellois quelques mois après son arrestation, il paraissait ébranlé. Il m’a expliqué qu’il avait été soupçonné parce qu’il prenait des photos à la station de métro Maelbeek après l’attentat. Ce jour-là, il portait un chapeau—mais d’une couleur et d’un style différents de celui porté par le suspect de l’aéroport.

Cheffou a affirmé que pendant sa détention à Bruxelles, les policiers fédéraux l’avaient déshabillé et battu jusqu’au sang, l’avaient privé de soins médicaux, avaient menacé de l’accrocher nu à un poteau et l’avaient traité de « sale djihadiste ». Un juge d’instruction l’a inculpé d’actes terroristes, y compris d’assassinats. Lors de sa libération, il a déclaré que sa réputation était ruinée, que personne ne voudrait l’engager, et que sa banque avait gelé son compte. Il a souligné que certains policiers étaient « des gens bien », mais que les autres l’avaient harcelé ou interrogé cinq fois.

Le 5 janvier dernier, la Chambre du Conseil de Bruxelles a prononcé un non-lieu à l’égard de Cheffou à la requête de la magistrate fédérale, laquelle avait déclaré dans son réquisitoire en décembre que Cheffou n’avait  « absolument rien à voir avec les attentats. » La magistrate avait également présenté des excuses à Cheffou, le considérant comme l’ « une des victimes » des attentats de Bruxelles. « Toutes les demandes d’excuses ne pourront pas effacer les vexations, les rejets et la crainte que vous avez subis », avait-elle ajouté.

Dans l’un des messages échangés après avoir été blanchi, Cheffou a exprimé sa joie. « C’est comme si on m’avait retiré un poids de 100 kg », écrivait-il. « J’espère vraiment reprendre une vie normale. » Il a toutefois déclaré avoir l’intention de réclamer des dommages et intérêts.

En vertu du système judiciaire belge, les accusations au pénal ne peuvent être abandonnées que lors des procédures de mise en accusation. Mais le parquet pouvait et aurait dû faire avancer le dossier de Cheffou plus vite. Comme je l’ai démontré dans un rapport publié en 2016 sur la réaction répressive adoptée par la Belgique à la suite des attentats, il était évident presque depuis le début que Cheffou n’était pas le bon suspect.

Cinq jours après l’arrestation de Cheffou, un juge a ordonné sa remise en liberté, établissant qu’il ne présentait aucune ressemblance avec le suspect de l’aéroport et que ses relevés téléphoniques montraient qu’il ne se trouvait pas à Zaventem le jour de l’attentat. En outre, les empreintes digitales de Cheffou ne correspondaient pas à celles relevées sur le chariot que poussait le suspect de l’aéroport. Onze jours après la libération de Cheffou, le parquet fédéral a annoncé qu’il avait arrêté le vrai « homme au chapeau », Mohamed Abrini, aujourd’hui principal suspect survivant des attentats.

Cheffou était dans le viseur de la police avant les attentats de 2016. Il avait accusé les autorités belges de maltraiter les demandeurs d’asile musulmans et avaient encouragé les musulmans à « mettre fin aux abus ». L’un de ses proches était un fugitif recherché par la justice. Il a également reconnu qu’il avait refusé d'obéir aux ordres et avait insulté les policiers avant qu’ils le passent à tabac. Rien ne justifie toutefois les tortures physiques et psychologiques que les policiers lui auraient infligées, lesquelles sont strictement interdites par le droit international en toutes circonstances. Et cela ne justifie pas non plus qu’il ait fallu attendre quatre ans pour laver Cheffou des accusations de terrorisme.

Le gouvernement est tenu de réclamer des comptes aux responsables des attentats de Bruxelles. Mais il est également tenu de veiller à ce que sa réponse respecte le droit à la présomption d’innocence, le droit d’être jugé rapidement et le droit de ne pas être victime de discrimination, de torture ou d’autres exactions. Mes recherches sur la réaction de la Belgique face aux attentats ont révélé de multiples violations de ces obligations, dont 26 cas de violences policières présumées. Les personnes se plaignant d’avoir subi un préjudice m’ont confié qu’elles avaient des difficultés à obtenir réparation. Toutes, sauf une, étaient musulmanes.

Les autorités belges devraient faire en sorte que Cheffou puisse accéder dans les meilleurs délais à tous les recours prévus par la loi belge pour les préjudices et souffrances qu’il a subis. Elles devraient par ailleurs s’assurer que les policiers ou les agents pénitentiaires répondent comme il se doit de tout mauvais traitement qu’ils auraient infligé. Et elles devraient agir de la même façon pour tous les autres suspects ayant fait état de ce type d’exactions. Ne pas le faire affaiblit l’État de droit et divise les communautés que la Belgique devrait essayer d’unir contre des groupes tels que l’EI.

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