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Odile Renaud-Basso, la présidente de la BERD. © 2021 Sergii Kharchenko/NurPhoto via AP

Par Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch et Lorena Cotza, responsable de la communication à la Coalition pour les droits humains dans le développement.

Alors qu’elle célèbre le 15 avril son 30e anniversaire, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) se targue de ses engagements en faveur du développement durable, de la démocratie et de l’égalité. Mais lorsque l’on examine où et comment la BERD investit, sa mission politique – soutenir uniquement les pays qui s’engagent à respecter les principes de la démocratie multipartite et du pluralisme, et les mettent en œuvre – semble n’être qu’affichage.

Ces dernières années, la Banque a investi massivement dans des pays dirigés par des gouvernements autoritaires, et elle a fait peu de choses – et dans certains cas, rien – pour utiliser son influence afin de promouvoir la démocratie et de protéger l’espace de la société civile.

En 2020, les deux principaux pays d’opérations de la BERD étaient la Turquie et l’Egypte.

En Egypte, la BERD a investi plus de 7 milliards d’euros depuis 2012, avec 127 projets à ce jour, principalement dans la finance, l’agroalimentaire, le tourisme et les infrastructures.

Or, sous le gouvernement d’Abdel Fattah al-Sissi, des milliers de défenseurs des droits humains, de journalistes et de militants politiques égyptiens ont été arrêtés, contraints à la clandestinité ou à l’exil, ont été victimes de disparition forcée ou de torture, voire tués. Le gouvernement a gelé les avoirs d’associations de la société civile, qui font face à des restrictions paralysant leur capacité d’action. L’armée contrôle – directement ou indirectement – de nombreuses entreprises privées et secteurs économiques.

Les sit-in sur le lieu de travail sont passibles de poursuites pénales, et les syndicats indépendants ne peuvent pas fonctionner librement. La corruption est endémique. La démocratie, l’Etat de droit et la séparation des pouvoirs sont des vains mots lorsqu’il s’agit de la réalité égyptienne actuelle.

Cette année, la BERD réexaminera sa stratégie-pays pour l’Egypte. Les médias égyptiens pro-gouvernementaux ont aussi annoncé qu’Odile Renaud-Basso, l’ancienne directrice générale du Trésor français qui a été élue présidente de la BERD en novembre 2020, se rendra sous peu en Egypte. L’examen de la stratégie et cette visite sont tous deux l’occasion pour la Banque de respecter ses engagements et d’inscrire les questions relatives aux droits humains et à l’espace civique à son programme de travail, ce qu’elle n’a pas fait jusqu’à présent.

En novembre, dans une interview accordée au Financial Times, Mme Renaud-Basso a défendu les investissements de la BERD dans les pays dirigés par des gouvernements répressifs, affirmant que la Banque voulait « aider les pays à évoluer dans la bonne direction » et que l’accent mis sur les prêts au secteur privé contribuait à renforcer la société civile.

On voit mal, cependant, comment le fait de poursuivre sur le mode « business as usual », comme si de rien n’était, sans même tenter de pousser ces gouvernements à changer de cap, pourrait faire relâcher l’emprise du gouvernement égyptien sur la société civile ou restreindre le rôle croissant de l’armée dans l’économie, qui lui permet d’intervenir dans la vie politique d’une manière qui alimente les abus.

Depuis le début de la pandémie, la situation s’est même aggravée. Sous prétexte de lutter contre la désinformation, le gouvernement égyptien a continué à réprimer la liberté d’expression et la dissidence pacifique. Au moins dix membres du personnel médical ont passé des mois en détention, sans faire l’objet d’un procès, pour avoir contesté les déclarations du gouvernement sur la situation du Covid-19 ou critiqué le manque d’équipement médical. Des dizaines de personnes ont été arrêtées pour avoir critiqué sur les réseaux sociaux la gestion de la crise du Covid-19 par les autorités.

Dans une affaire récente, le tribunal pénal du Caire a condamné Sanaa Seif, une éminente défenseure des droits humains, à dix-huit mois de prison le 17 mars pour « diffusion de fausses rumeurs sur la propagation du Covid-19 dans les prisons égyptiennes » et « utilisation abusive des médias sociaux ». Les bailleurs de fonds internationaux qui soutiennent l’Egypte, tels que la BERD, devraient sortir de leur mutisme et remettre en question ce traitement abusif.

La BERD, qui finance actuellement la gestion de la pandémie en Egypte à hauteur de plus de 500 millions de dollars (environ 418 millions d’euros), devrait clairement indiquer au gouvernement égyptien qu’elle considère les politiques inclusives et la liberté d’expression, permettant de s’exprimer sur les politiques problématiques et la corruption, comme des composantes essentielles d’une réaction efficace au Covid-19.

Lorsque les défenseurs des droits sont emprisonnés, que les journalistes sont menacés, que toute voix dissidente est en danger et lorsque les droits humains sont réprimés de manière implacable, cela ne fait vraisemblablement que réduire, et non pas soutenir, les perspectives de croissance économique et de justice sociale – sans parler des espoirs de se rapprocher de la démocratie. Ceux qui investissent en Egypte, comme la BERD, s’ils croient vraiment en leur mission, devraient utiliser le levier que représentent leurs investissements pour faire pression sur les autorités égyptiennes afin qu’elles mettent fin à leur répression généralisée.

C’est pourquoi, dans une lettre publiée aujourd’hui, plus de vingt organisations non gouvernementales (ONG) ont demandé à la présidente de la BERD, Odile Renaud-Basso, « de faire savoir aux autorités égyptiennes que la dégradation de l’Etat de droit et les violations des droits humains dans le pays ne sont pas conformes aux aspects politiques du mandat de la BERD et constituent un problème majeur pour la Banque qui doit être traité de manière urgente et sérieuse ».

La BERD n’aura pas grand-chose à fêter le jour de son anniversaire si, après trente ans d’opérations, elle n’a toujours pas trouvé le moyen de respecter ses engagements fondamentaux dans l’un de ses principaux pays récipiendaires. Malgré leur situation désastreuse, de courageux activistes égyptiens luttent chaque jour pacifiquement pour faire entendre leur voix et promouvoir les droits. Si la BERD prend un tant soit peu au sérieux ses propres valeurs, elle devrait écouter ces voix et répondre aux appels de la société civile égyptienne.

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