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Tchad : Idriss Déby laisse derrière lui un héritage d’abus

L’UA devrait déployer une équipe de crise pour garantir la protection des civils et l’État de droit

Le président tchadien Idriss Déby Itno récemment décédé, photographié ici lors de son discours au Sommet Action Climat à l’Assemblée générale des Nations Unies, au siège de l’ONU le 23 septembre 2019. © 2019 AP Photo/Jason DeCrow, archive

(Nairobi) – Le conseil militaire de transition du Tchad devrait respecter strictement les droits humains et l’État de droit, en veillant à ce que les civils soient protégés et en évitant toute intensification des exactions à l’encontre des civils, a déclaré Human Rights Watch. Le conseil militaire devrait aussi garantir une transition rapide vers un gouvernement civil démocratique, en respectant le droit des Tchadiens d’élire leurs dirigeants lors d’élections libres et équitables.

Un porte-parole de l’armée tchadienne a annoncé sur la chaîne de télévision nationale le 20 avril 2021 que le président Idriss Déby Itno, âgé de 68 ans, était décédé des suites de blessures subies lors d’affrontements entre rebelles et forces gouvernementales. Les circonstances exactes de sa mort restent floues. Le porte-parole a indiqué que le gouvernement et le parlement ont été dissous, que toutes les frontières ont été fermées et qu’un conseil militaire de transition dirigé par Mahamat Idriss Déby Itno, l’un des fils d’Idriss Déby, sera à la tête du pays pendant les 18 prochains mois. Ceci est contraire à la constitution du Tchad, qui prévoit qu’en cas de décès du président, le président de l’Assemblée nationale doit provisoirement diriger le pays pendant 45 à 90 jours, avant la tenue de nouvelles élections.

« Les conséquences potentiellement explosives du décès du président Idriss Déby ne peuvent pas être sous-estimées, tant pour l’avenir du Tchad que pour celui de la région », a déclaré Ida Sawyer, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les partenaires régionaux et internationaux du Tchad devraient suivre de près la situation et user de leur influence pour prévenir les exactions contre les civils. »

Le 19 avril, la commission électorale du Tchad a annoncé qu’Idriss Déby avait remporté un sixième mandat à l’issue des élections présidentielles du 11 avril. La période pré-électorale avait été marquée par une répression brutale du gouvernement contre les manifestants et l’opposition politique. Le jour du vote, les rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), basé en Libye, ont envahi le Tchad, attaqué un poste militaire et appelé Idriss Déby à quitter le pouvoir. Les affrontements entre rebelles et forces gouvernementales se sont poursuivis dans les jours qui ont suivi dans la province occidentale de Kanem.

L’Union africaine (UA) devrait déployer de toute urgence une équipe de crise désignée au sein de sa division Prévention des conflits et alerte rapide, incluant des observateurs des droits humains, pour suivre de près les évolutions et exhorter les forces de sécurité tchadiennes ainsi que les groupes armés à ne pas attaquer des civils, a indiqué Human Rights Watch. L’UA devrait nommer un nouvel envoyé spécial pour le Sahel afin de renforcer et coordonner ses efforts dans la région.

La Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) et le Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) devraient également surveiller de près la situation et soutenir le travail des défenseurs des droits humains au niveau local.

Pendant des années, les acteurs internationaux ont appuyé le gouvernement d’Idriss Déby en raison de son soutien dans les opérations de contre-terrorisme au Sahel et dans le bassin du lac Tchad et de son implication dans d’autres initiatives régionales, tout en fermant les yeux sur son bilan en matière de répression et de violations des droits sociaux et économiques dans le pays.

« Les dirigeants de transition tchadiens devraient, avec le soutien des partenaires régionaux et internationaux, s’efforcer d’inverser la trajectoire à la baisse du Tchad en matière de droits humains », a conclu Ida Sawyer. « Ils devraient garantir une transition rapide et pacifique vers un gouvernement civil, basé sur l’exercice du libre choix des Tchadiens lors d’élections équitables. »

Contexte

Idriss Déby dirigeait le Tchad depuis décembre 1990, date à laquelle il a renversé Hissène Habré, qui a depuis été condamné par un tribunal spécial au Sénégal pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture, dont le viol et l’esclavage sexuel. Alors qu’Idriss Déby a soutenu les poursuites à l’encontre de son prédécesseur, il a veillé à ce que son rôle en tant que chef militaire lorsque les atrocités ont été commises ne soit pas dévoilé et il a manqué à sa promesse d’indemniser les victimes d’Hissène Habré.

Malgré ses vastes richesses pétrolières, le Tchad demeure l’un des pays les plus pauvres du monde. Le Tchad est arrivé au dernier rang du classement de l’Indice du capital humain 2020 de la Banque mondiale, tandis que le Programme des Nations Unies pour le Développement l’a classé au 187e rang sur 189 pays dans son indice de développement humain 2020.

Le gouvernement d’Idriss Déby a reçu un important soutien international pour son rôle dans la lutte contre les groupes islamistes armés au Sahel et dans le bassin du lac Tchad. Le Tchad a engagé 1 000 soldats dans la Force conjointe du G5 Sahel – une force militaire créée pour contrer les groupes islamistes armés dans la région du Sahel, avec le soutien de l’Union européenne, de l’Arabie saoudite et des États-Unis, entre autres. Il a aussi fourni 3 000 soldats à la Force multinationale mixte, une force militaire conjointe mandatée par l’Union africaine pour répondre aux attaques de Boko Haram dans le bassin du lac Tchad, avec le soutien de l’Union européenne, de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis. N’Djamena, la capitale du Tchad, héberge le siège de la force Barkhane, l’opération française de lutte contre le terrorisme au Mali.

Entre octobre 2017 et 2020, le Tchad aurait envoyé des soldats en Libye en soutien au commandant Khalifa Haftar basé dans l’est du pays et à son groupe armé connu sous le nom de Forces armées arabes libyennes. Le Tchad et le Soudan se sont aussi livrés à des guerres par factions interposées pendant des années, avec des milices tribales armées actives des deux côtés de la frontière. Le Tchad abrite actuellement près de 370 000 réfugiés soudanais venant du Darfour.

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