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Myanmar : Chevron et Total suspendent certains paiements à la junte

Les gouvernements devraient prendre des mesures plus fermes pour couper les revenus du gaz naturel à l’armée

Le logo de l’entreprise pétrolière Total SA, visible sur la façade du siège de la compagnie dans le quartier d'affaires de La Défense, dans la banlieue nord-ouest de Paris. © 2020 AP Photo / Michel Euler

(New York) – Les gouvernements et les entreprises du secteur de l'énergie devraient faire suite à la récente décision des entreprises Chevron et Total SA de suspendre des paiements provenant d'un projet de gazoduc au Myanmar, en prenant des mesures supplémentaires pour couper les financements à la junte militaire du pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Bien que la décision du 26 mai 2021 reflète un changement dans la manière dont les entreprises traitent avec la junte qui a pris le pouvoir le 1er février et s'est engagée dans une répression brutale depuis, les paiements concernés ne représentent qu'un montant modique par rapport à l'ensemble des revenus tirés du gaz par l'armée.

Les gouvernements et toutes les entreprises du secteur de l'énergie opérant au Myanmar devraient prendre des mesures plus vigoureuses pour empêcher que les revenus du gaz naturel ne soient versés à l'armée du Myanmar. Les revenus du gaz naturel constituent la principale source de revenus en devises étrangères de l'armée, dont environ un milliard de dollars en droits, taxes, redevances, honoraires, droits de douane et autres gains. Les dividendes suspendus par Chevron et Total ne représentent qu'une partie minime de l'ensemble des paiements que le gouvernement perçoit grâce au gaz naturel.

« La récente décision de Chevron et Total est un pas dans la bonne direction, mais elle concerne moins de 5 % des revenus du gaz naturel perçus par la junte du Myanmar », a déclaré John Sifton, directeur du plaidoyer pour l'Asie à Human Rights Watch. « Afin d'avoir un réel impact, les gouvernements et les entreprises doivent aller plus loin pour empêcher la junte de recevoir des fonds ou d'accéder aux comptes bancaires sur lesquels sont effectués les paiements. »

La décision annoncée par Total et Chevron ne concerne qu'un dividende de 15 % versé par une société de gazoducs, la Moattama Gas Transportation Company ("Moattama"), sur les bénéfices tirés des frais de transport qu'elle perçoit pour acheminer le gaz du champ gazier offshore de Yadana au Myanmar et en Thaïlande. Total a indiqué que les paiements ont été suspendus à compter du 1er avril.

Avec respectivement 31,2 % et 28,3 % des parts l'entreprise, Total et Chevron sont à eux deux les actionnaires majoritaires de Moattama. La société Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), contrôlée par les militaires, détient 15 % des parts, et la société gazière PTT, détenue par l'État thaïlandais, 25,5 %. Total agit en tant qu'"opérateur" des têtes de puits de Yadana et de l'infrastructure du gazoduc de Moattama. Les paiements suspendus sont des dividendes versés à ces sociétés en fonction de leurs parts dans l'actionnariat. Selon les données financières de Moattama, la société a versé à MOGE environ 38 millions de dollars en 2018 et environ 52 millions de dollars en 2019, ce qui est conforme aux rapports de l'ITIE indiquant que les dividendes globaux de MOGE sur le transport du gaz provenant des opérations gazières représentent moins de 7 % des recettes globales de l'État provenant du gaz naturel.

Les communiqués de Total et Chevron ne mentionnent pas les centaines de millions de dollars de droits de douane, de frais et d'impôts supplémentaires que Moattama verse sur des comptes bancaires contrôlés par les militaires birmans. L'annonce ne s'applique pas aux centaines de millions de dollars supplémentaires que MOGE reçoit sur sa part des revenus de la vente de gaz à PTT.

« Bien que seule une part modique des revenus globaux ait été suspendue, la décision de Total et de Chevron signifie qu'au moins certaines entreprises au Myanmar reconnaissent que leurs paiements sur des comptes contrôlés par la junte présentent des risques majeurs pour leur réputation », a déclaré John Sifton.

Total a reconnu la gravité de la situation au Myanmar et laissé entendre dans son communiqué que d'autres mesures pourraient être prises : "Total condamne la violence et les abus des droits humains intervenant au Myanmar et réaffirme qu'il respectera toute décision qui pourrait être prise par les autorités internationales ou nationales compétentes, y compris les sanctions applicables émises par les autorités européennes et américaines."

Le communiqué de Chevron indique que l'entreprise « condamne la violence et les violations des droits humains qui se produisent au Myanmar. Nous nous tenons aux côtés du peuple du Myanmar et de la communauté internationale pour appeler à une résolution pacifique qui respecte la volonté du peuple ». L'entreprise a indiqué qu'elle respecterait les sanctions imposées sur des revenus supplémentaires tirés du gaz, mais a mis en garde contre ces sanctions.

Total et Chevron devraient fournir davantage d'informations sur le montant des dividendes suspendus. Ces deux groupes et les autres entreprises du secteur énergétique opérant au Myanmar devraient également clarifier leurs positions sur les sanctions et expliquer en quoi la mise en œuvre de sanctions bien conçues ne leur permettrait pas de poursuivre leurs activités tout en bloquant les revenus de la junte. Les entreprises devraient également respecter les sanctions internationales applicables et rendre publiques les informations relatives à tous les paiements qu'elles effectuent en faveur d'entités contrôlées par l'armée ou appartenant à l'État.

Total n'a pas encore répondu à une lettre du 11 mai dans laquelle Human Rights Watch lui posait des questions sur les effets potentiels, le cas échéant, de l'imposition par les États-Unis, l'Union européenne, le Royaume-Uni et d'autres, de sanctions à l'encontre des entités contrôlées par l'armée du Myanmar et de mesures économiques visant à empêcher les comptes bancaires contrôlés par l'armée de recevoir des paiements. Plus précisément, la lettre demandait si de telles mesures empêcheraient Total de poursuivre ses activités au Myanmar.

Les gouvernements envisageant de nouvelles sanctions sur les revenus du gaz devraient porter une plus grande attention à l’entreprise publique thaïlandaise PTT, actionnaire et principal acheteur du gaz transporté par Moattama, et aux banques qui envoient et reçoivent ses paiements sur des comptes contrôlés par l’armée du Myanmar. Tous les revenus des coentreprises de Total au Myanmar proviennent en premier lieu de PTT, qui verse séparément des centaines de millions de dollars par an sur des comptes détenus par l'armée.

PTT exploite également à elle seule un autre champ gazier plus petit, Zawtika, qui fournit à la junte du Myanmar des centaines de millions de dollars de paiements supplémentaires.

Une autre entreprise de production de gaz et de gazoducs dirigée par la société sud-coréenne POSCO exploite le troisième grand champ gazier du pays, Shwe, et reçoit des paiements d'une société chinoise qui verse à la junte plusieurs centaines de millions de dollars par an.

Total, Chevron, PTT et POSCO devraient faire savoir aux autorités des États-Unis, de l'Union européenne, de la Thaïlande et d'autres juridictions qu'elles soutiennent l'adoption de sanctions ou d'autres mesures visant à bloquer le versement de redevances, de dividendes d'actions, de droits de douane et de taxes sur des comptes contrôlés par les militaires du Myanmar.

« Si les gouvernements sanctionnent ou suspendent effectivement les revenus du gaz naturel générés pour la junte militaire, celle-ci perdra un milliard de dollars par an, utilisé pour blesser la population du Myanmar », a conclu John Sifton. « Ce genre d'impact économique pourrait exercer une réelle pression sur les militaires pour qu'ils mettent fin à leur répression brutale et ramènent le pays sur la voie de la démocratie. »

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