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Graffitis dans la zone portuaire à la suite d'une explosion massive à Beyrouth, au Liban, le 11 août 2020. © 2020 Hannah McKay/Reuters

Le 3 juin dernier, les survivants et les victimes de l'explosion catastrophique du port de Beyrouth ont tenu une nouvelle conférence de presse pour dénoncer l’impunité pour ce qui est l'une des plus grandes explosions non nucléaires de l'histoire moderne, qui a ravagé leur ville, leurs maisons, leurs corps et leurs familles.

Celles et ceux qui ont perdu des proches ou ont été blessés dans l'explosion du 4 août 2020 ont successivement exprimé leur profonde frustration face au fait que, près de deux ans plus tard, les politiciens mis en cause ont réussi à suspendre indéfiniment l’enquête. Certains des politiciens inculpés dans cette affaire ont été récemment réélus au Parlement, et le gouvernement n'a apporté aux survivants que peu ou pas de soutien pour reconstruire leur vie.

De nombreuses familles de victimes savaient que la justice serait difficile à obtenir dans un pays miné par une culture d’impunité qui, depuis des décennies, permet à de hauts responsables de ne pas avoir à répondre de graves crimes et de violations des droits humains. Ils ont appelé la communauté internationale à ouvrir une enquête indépendante sous l'égide du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, en espérant qu'une enquête impartiale apporterait les réponses que les autorités libanaises leur ont refusées.

Ces deux dernières années, Human Rights Watch a travaillé avec les familles des victimes pour obtenir le soutien nécessaire à une telle enquête. Nous avons écrit des lettres aux membres du Conseil des droits de l’homme, organisé des conférences de presse exhortant la communauté internationale à agir, et rencontré des diplomates à Beyrouth, à Genève et dans diverses capitales du monde. Mais les demandes des victimes se sont heurtées à un mur de silence, d'apathie et d’obstruction.

La position de la France a été particulièrement déconcertante. Le président Emmanuel Macron s’est rendu au Liban deux jours seulement après l'explosion, déambulant dans les rues dévastées et promettant à la population : « Je ne suis pas là pour les aider, je suis là pour vous aider ».  Il a déclaré aux journalistes qu’« il [fallait] une enquête internationale, ouverte et transparente pour éviter que des choses soient cachées et que le doute ne s’installe ».

Malgré des critiques de néocolonialisme, beaucoup espéraient que cette visite marquerait un tournant  dans la politique traditionnelle de la France à l'égard du Liban qui consiste à soutenir inconditionnellement une classe politique de plus en plus corrompue et incompétente par des ouvertures diplomatiques et des conférences de donateurs à plusieurs milliards de dollars.

Cependant, au cours des deux années qui ont suivi, Emmanuel Macron a non seulement fait marche arrière par rapport à ses promesses mais il a aussi offert une bouée de sauvetage à la classe politique libanaise en difficulté à travers sa « feuille de route » de réformes, certes ambitieuse mais non respectée. L'inaction de la France au Conseil des droits de l'homme contraste aussi fortement avec les engagements d’Emmanuel Macron envers les victimes.

Lors de nos multiples réunions dans différentes capitales pour demander une enquête indépendante, nous avons dû contrer de nombreux prétextes justifiant l'inaction : « Ce n'est pas le bon moment ». « Ce n'est pas une question de droits humains ». « Laissez une chance à l'enquête nationale ».

Preuves à l’appui, nous avons à chaque fois, réfuté ces excuses. Human Rights Watch a analysé des centaines de pages de documents officiels prouvant que l'explosion n'était pas simplement un accident malheureux et suggérant fortement que des responsables militaires, sécuritaires et gouvernementaux de haut niveau – y compris le président et le premier ministre – avaient conscience de la menace importante pour la vie que représentait le stock de nitrate d'ammonium dans le port et qu’ils avaient tacitement accepté ce risque. En vertu du droit international des droits humains, cela constitue une violation du droit à la vie.

Nous avons également mis en évidence toute une série de vices de procédure et de défaillances systémiques dans l'enquête nationale, notamment une ingérence politique flagrante, l'immunité accordée à des responsables politiques de haut niveau, le non-respect des normes de procès équitable et des violations des procédures régulières. Quinze personnes sont en détention provisoire en lien avec l'explosion, alors que l'enquête nationale est suspendue pour une durée indéterminée. La plupart des diplomates à qui nous avons parlé récemment partagent maintenant notre évaluation de l'enquête nationale.

Dans toutes nos conversations, revient un point d’achoppement central : la nécessité du « feu vert » de la France pour que d’autres pays soutiennent publiquement un mécanisme d’enquête. Ces derniers semblent s'en remettre à la France en raison de la perception de sa « relation spéciale » avec le Liban, c'est-à-dire de son histoire coloniale.

Bien qu'une telle approche soit profondément problématique dans la mesure où elle enracine des structures de pouvoir inégalitaires et néocoloniales, il est déconcertant que les promesses du président français au peuple libanais ne soient pas tenues. De plus, l'inaction de la France ne devrait pas être une raison pour les autres États de rester les bras croisés au Conseil des droits de l'homme.

La « feuille de route » du président Macron ne fonctionne pas. Quiconque au Liban aurait pu lui prédire qu'il n'y avait aucune chance que l‘élite politique profitant financièrement du statu quo mène des réformes qui affaibliraient leur emprise – du moins pas sans une énorme pression nationale et internationale.

Emmanuel Macron devrait, par des actes concrets, envoyer un message clair à la classe politique libanaise : la violation en toute impunité du droit international relatif aux droits humains appartient au passé.

Durant la session en cours du Conseil des droits de l'homme, la France devrait prendre la tête d'un groupe d'États partenaires pour dénoncer la culture de l'impunité au Liban, en vue de l’obtention, lors de la prochaine session, d’une résolution établissant une enquête internationale sur l'explosion. 

Le peuple libanais et les familles de victimes méritent des réponses. Emmanuel Macron devrait soutenir leur désir de vérité, de justice et d’en finir avec l’impunité pour l'explosion du port de Beyrouth – et au-delà.

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