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Lettre de Human Rights Watch au gouvernement français sur la définition du viol dans la Directive de l’UE sur les violences à l’égard des femmes

A :

Laurence Boone, Secrétaire d’Etat chargée de l’Europe

Bérangère Couillard, Ministre déléguée chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations

Eric Dupond-Moretti, Ministre de la Justice 

 

Re : Directive de l'Union européenne sur les violences à l'égard des femmes

Monsieur le ministre de la Justice

Madame la ministre déléguée chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations

Madame la secrétaire d’Etat chargée de l’Europe,

Par la présente, nous vous appelons à agir pour que la directive de l'Union européenne sur la lutte contre les violences à l'égard des femmes et la violence domestique soit forte et efficace, notamment en maintenant le viol comme infraction pénale fondée sur une définition reposant sur le consentement.

Human Rights Watch est une organisation internationale non gouvernementale de défense des droits humains. Au sein de l'Union européenne et dans le monde entier, nous travaillons sur un large éventail de questions liées aux droits humains, y compris la protection des droits et l'amélioration des conditions de vie des femmes et des filles. 

Comme vous le savez, des trilogues ont actuellement lieu autour de la directive européenne sur la lutte contre les violences à l'égard des femmes et la violence domestique. La France est un acteur majeur au sein de l’UE et en matière de droits des femmes et des filles, notamment à travers sa diplomatie féministe et son projet d'inscrire le droit à l'avortement dans sa Constitution. 

Nous sommes profondément préoccupés par le fait que le Conseil de l'UE, dans sa position sur le projet de texte de la directive, ait supprimé l'article 5 qui exige des États membres qu'ils criminalisent le viol en utilisant une définition basée sur le consentement plutôt que sur l'utilisation ou la menace de la force. Il est essentiel que les États membres de l'UE saisissent l'opportunité exceptionnelle que représente cette directive pour traiter le viol comme une forme grave de violence sexuelle pouvant entraîner des conséquences physiques, psychologiques et socio-économiques à long terme, et pour consacrer une définition du viol fondée sur le consentement, en accord avec les normes juridiques internationales. L'éliminer reviendrait à saper le cœur de cette directive historique et son efficacité à offrir une protection aux victimes et aux survivantes de viols pour les années à venir. Nous sommes convaincus qu'il s'agit d'une occasion importante pour le ministère de la Justice, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le ministère chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations de prendre des mesures immédiates pour amener l'UE à adopter la directive la plus solide et la plus utile possible. 

Des experts indépendants des Nations Unies ont reconnu que le viol reste l'un des crimes les moins signalés et les moins poursuivis dans le monde, en partie à cause de l'utilisation persistante de définitions basées sur l'usage de la force par les systèmes de justice pénale. Ces experts ont demandé sans équivoque que l'absence de consentement soit la « norme mondiale » pour définir le viol. En utilisant la violence ou la menace de violence de la part des auteurs ou la résistance à l'usage de la force de la part des victimes comme critères pour déterminer un acte de viol, les systèmes de justice pénale ignorent d'autres méthodes de coercition bien documentées ainsi que des réactions comportementales très variées face au viol. Une telle législation perpétue des représentations néfastes   sur ce qui constitue un viol, sur la manière dont une victime « devrait » réagir et sur les actes de violence sexuelle qui nécessitent d'être sanctionnés. 

La Cour européenne des droits de l'homme a estimé que les États devraient « [exiger] la sanction et la poursuite effective de tout acte sexuel non consensuel, y compris en l'absence de résistance physique de la part de la victime ».  S'appuyant en partie sur cette jurisprudence, la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Convention d'Istanbul), dont la France est partie, exige que les États parties adoptent une législation pénale pour les actes de violences sexuelles, y compris le viol, fondés sur le consentement volontaire. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a également appelé les États à supprimer les exigences légales relatives à l'usage de la force ou de la violence et à « placer l'absence de consentement au centre de la législation » en ce qui concerne la législation sur le viol. En outre, l'Institut européen pour l'égalité entre les hommes et les femmes note que l'absence d'une définition commune du viol dans les États membres entrave la collecte de données, ce qui, à son tour, empêche la mise en place de réponses appropriées au niveau national et européen et l'allocation de ressources.

L'accès aux services essentiels et à la justice après un viol ne devrait pas dépendre du lieu de résidence des victimes et des survivantes au sein de l'UE. Pourtant, cet accès est trop souvent entravé par le fait que les violences sexuelles commises sans recours à la force ne sont pas reconnues comme des viols. En effet, alors que 13 États membres de l'UE utilisent des définitions basées sur le consentement pour criminaliser le viol, 14 n'ont pas encore aligné leurs définitions sur les normes juridiques internationales en la matière. La France en fait partie, bien qu'elle ait ratifié la Convention d'Istanbul en 2014 et qu'elle ait défendu les droits des femmes dans d'autres domaines. Nous reconnaissons la volonté du gouvernement français d’agir en faveur de la protection des droits des femmes et de la lutte contre la violence à l'égard des femmes et des filles. Pourtant, en ce qui concerne la modification de son droit pénal, la France continue de figurer parmi des États membres tels que la Pologne et la Hongrie et est à la traine par rapport à des États membres tels que l'Espagne, la Belgique, l'Allemagne, l'Irlande, la Suède, le Danemark et la Grèce. Il s’agit donc d’une opportunité pour la France non seulement de prendre les mesures nécessaires pour respecter ses propres obligations internationales en matière de droits humains, mais aussi de montrer la voie à l'ensemble de l'UE dans sa lutte contre la violence à l'égard des femmes et des filles. L'unification de la criminalisation du viol par les États membres de l'UE en utilisant une définition basée sur le consentement est essentielle pour garantir l'accès à l’aide et aux services essentiels, ainsi qu’à la justice après un viol pour les victimes dans l'ensemble de l'UE. 

Alors que le Conseil a déclaré qu'il n'y avait pas de base juridique suffisante pour que la directive inclue la criminalisation du viol et impose une définition fondée sur le consentement, l'avis rendu par son propre service juridique indique que « le Conseil pourrait choisir d'adopter une approche différente et approuver une lecture plus extensive de la base juridique » existant dans le traité sur le fonctionnement de l'UE en ce qui concerne l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants. Une telle position a déjà été justifiée par la Commission européenne. En outre, comme l'a souligné la Commissaire à l'égalité Helena Dalli, la même base juridique a été utilisée pour criminaliser les actes sexuels non consensuels avec des enfants. Seul un manque de volonté politique empêche de l'utiliser à nouveau pour faire progresser la criminalisation de toutes les violences sexuelles non consenties en ce moment critique.

Trop de victimes de viols dans l'UE sont confrontées au manque d'accès à un soutien crucial et à l'impunité des auteurs de ces actes. Les négociations sur la directive européenne relative à la violence contre les femmes offrent une occasion historique de prendre des mesures pour changer cette situation, et c'est une occasion que nous – et les survivantes de violences sexuelles – ne pouvons pas nous permettre de perdre. Nous vous appelons donc, à jouer un rôle de premier plan pour faire en sorte que la directive exige de tous les États membres de l'UE qu'ils criminalisent le viol en utilisant une définition fondée sur le consentement. 

Nos équipes se tiennent à votre disposition pour toute information complémentaire. En vous remerciant par avance de l’attention que vous porterez à notre requête, nous vous prions d’agréer, Madame la Secrétaire d’Etat, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, l’expression de nos salutations distinguées.

 

Bénédicte Jeannerod

Directrice France

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