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Gaza : Une frappe israélienne qui a tué 106 civils était un crime de guerre apparent

Les autres gouvernements devraient suspendre les livraisons d’armes à Israël et soutenir l’enquête de la CPI

Karam al-Sharif, un employé de l’UNRWA, serrait dans ses bras le corps de l’un de ses jumeaux âgés de 18 mois, tué lors d’une frappe aérienne menée par les forces israéliennes contre un immeuble résidentiel (« Immeuble des Ingénieurs), dans la bande de Gaza, le 31 octobre 2023. Cette attaque a tué au moins 106 civils, dont 5 enfants de Karam al-Sharif et 5 autres membres de sa famille. © 2023 Mohammed Dahman/AP Photo
  • Les forces israéliennes ont attaqué illégalement un immeuble résidentiel à Gaza le 31 octobre 2023, sans aucune cible militaire apparente, tuant au moins 106 civils dont 54 enfants.
  • De nombreuses frappes aériennes israéliennes menées contre Gaza depuis le 7 octobre ont causé des milliers de victimes civiles, soulignant le risque accru d'attaques illégales à l'aide d'armes explosives dans des zones peuplées.
  • Les autres gouvernements devraient suspendre les transferts d'armes vers Israël, soutenir l'enquête de la Cour pénale internationale en Palestine et imposer des sanctions ciblées contre les autorités responsables de violations des lois de la guerre.

(Jérusalem, le 4 avril 2024) – Une frappe aérienne israélienne menée le 31 octobre 2023 contre un immeuble résidentiel de six étages abritant des centaines de personnes dans le centre de Gaza constitue un crime de guerre apparent, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. L’attaque, qui a tué au moins 106 civils dont 54 enfants, est l’un des incidents les plus meurtriers pour les civils depuis le bombardement israélien de la bande de Gaza et l’incursion terrestre qui ont suivi les attaques menées par le Hamas contre Israël le 7 octobre.

Human Rights Watch n'a trouvé aucune preuve qu'une cible militaire se trouvait à proximité du bâtiment au moment de l'attaque israélienne, ce qui signifie qu’il s’agissait d’une frappe indiscriminée et illégale en vertu des lois de la guerre. Les autorités israéliennes n'ont fourni aucune justification pour cette attaque. La fréquente absence d’enquêtes crédibles par l’armée israélienne sur des allégations de crimes de guerre dans le passé, met en évidence l’importance de l’enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur les crimes graves commis par toutes les parties au conflit.

« La frappe aérienne illégale menée par Israël contre un immeuble résidentiel le 31 octobre a tué au moins 106 personnes, dont des enfants qui jouaient au football, des habitants qui rechargeaient leurs téléphones dans l'épicerie du rez-de-chaussée, et des familles déplacées en quête de sécurité », a déclaré Gerry Simpson, directeur adjoint de la division Crises et conflits à Human Rights Watch. « Cette frappe, qui a infligé d’énormes pertes civiles sans qu’il y ait une cible militaire apparente, est l’une des multiples attaques qui ont provoqué un immense carnage et soulignent l’urgence de l’enquête de la CPI. »

Emplacement de l’Immeuble des Ingénieurs dans la region centrale de la bande de Gaza.  © 2024 OpenStreetMap, Airbus, Google Earth (image, données), Human Rights Watch (graphique)

Entre janvier et mars 2024, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 16 personnes au sujet de l’attaque du 31 octobre contre le bâtiment résidentiel appelé « Immeuble des Ingénieurs », et concernant notamment les décès de leurs proches et d’autres personnes. Human Rights Watch a analysé des images satellite, 35 photographies et 45 vidéos des conséquences de l’attaque, ainsi que d’autres photographies et vidéos pertinentes diffusées sur les réseaux sociaux. Human Rights Watch n'a pas pu visiter le site parce que les autorités israéliennes ont bloqué pratiquement toute entrée dans Gaza via les points de passage israéliens depuis le 7 octobre. Au cours des 16 dernières années, Israël a refusé à maintes reprises les demandes de Human Rights Watch d'entrer dans Gaza.

L’« Immeuble des Ingénieurs », un bâtiment résidentiel à Gaza, avant la frappe aérienne israélienne du 31 octobre 2023. © 2021 Facebook (compte privé)

Des témoins ont indiqué que le 31 octobre, au moins 350 personnes résidaient dans l’Immeuble des Ingénieurs, situé juste au sud du camp de réfugiés de Nuseirat. Parmi elles, au moins 150 personnes s’y étaient réfugiées après avoir fui leurs propres domiciles, ailleurs à Gaza.

Sans sommation, vers 14h30, quatre munitions aériennes ont frappé le bâtiment en une dizaine de secondes. Le bâtiment a été entièrement démoli.

Vue aérienne des décombres de l’Immeuble des Ingénieurs à Gaza, après l'attaque israélienne du 31 octobre 2023. © 2023 Mohammed Fayq/Anadolu via Getty Images

Deux frères ont déclaré qu'ils s'étaient précipités hors de leurs maisons voisines à la recherche de leurs deux enfants et de leur neveu, dont ils savaient qu'ils jouaient au football devant l’Immeuble des Ingénieurs. L'un des deux hommes a expliqué avoir trouvé son fils de 11 ans gisant sous des barres de béton dans les décombres : « L'arrière de sa tête était ouvert, l’une de ses jambes semblait à peine reliée à son corps et une partie de son visage était brûlée, mais il semblait être vivant. Nous l'avons libéré en quelques secondes, mais il est mort dans l'ambulance. Nous l'avons enterré le jour même. » Les trois garçons sont morts dans l'attaque.

Aucun des témoins interrogés n'a déclaré avoir reçu ni entendu parler d'un quelconque avertissement de la part des autorités israéliennes les enjoignant d’évacuer le bâtiment avant l'attaque.

Dix membres de la famille Jweifel. Debout : Nada, Wafa', Wala' et Sama. Assis : Farah, Yousef, Hisham, Khadra, Ola et Salma. La frappe aérienne israélienne du 31/10/23 contre l’Immeuble des Ingénieurs, à Gaza, a tué 7 personnes sur cette photo : Wafa’, Wala’, Sama, Farah, Yousef, Khadra et Salma. © Privé

Human Rights Watch a confirmé l'identité de 106 personnes tuées – 34 femmes, 18 hommes et 54 enfants – y compris lors d’entretiens avec des proches de certaines victimes. Le nombre total de morts est probablement plus élevé. Airwars, une organisation non gouvernementale qui enquête sur les dommages causés aux civils dans les zones de conflit, a identifié dans des documents de source ouverte les noms de 112 personnes tuées (dont 96 également identifiées par Human Rights Watch), ainsi que 19 autres personnes identifiées en raison de leurs relations familiales avec d'autres victimes.

Nada Hisham Jweifel, 17 ans, retrouvée vivante sous les décombres de l’Immeuble des Ingénieurs à Gaza, 31 octobre 2023, après une frappe israélienne qui a tué plusieurs membres de sa famille. © 2023 Mohammed Dahman/AP Photo

Human Rights Watch a mené des entretiens avec deux personnes ayant participé à la recherche de corps parmi les décombres du bâtiment ; elles ont déclaré que l'après-midi de l'attaque, avec d’autres personnes, elles avaient récupéré environ 60 corps, ainsi qu’environ 80 autres corps au cours des quatre jours suivants. Une troisième personne a déclaré qu’elle avait aidé à récupérer des corps parmi les décombres pendant 12 jours après l’attaque. Il est possible que d’autres corps demeurent encore sous les décombres.

Les autorités israéliennes n’ont fourni aucune information publique sur l’attaque, notamment sur la cible visée et sur les précautions prises pour réduire les dommages causés aux civils. Elles n’ont pas non plus répondu à une lettre de Human Rights Watch du 13 mars, résumant les conclusions des recherches de l’organisation, et demandant des informations spécifiques.

Le droit de la guerre interdit les attaques ciblant des civils et des biens de caractère civil, qui ne font aucune discrimination entre civils et combattants, ou qui sont susceptibles de causer aux civils ou aux biens de caractère civil des dommages disproportionnés par rapport à tout avantage militaire escompté. Les attaques indiscriminées comprennent les attaques qui ne sont pas dirigées contre une cible militaire spécifique ou qui n'utilisent pas une méthode ou des moyens de combat dont les effets ne peuvent être limités comme requis. Les parties belligérantes doivent prendre toutes les précautions possibles pour réduire les dommages causés aux civils, notamment en prévenant à l’avance des attaques, sauf si les circonstances ne le permettent pas, et en protégeant les civils sous leur contrôle des effets des attaques. Les violations graves des lois de la guerre commises par des individus avec une intention criminelle – que ce soit de manière délibérée ou imprudente – constituent des crimes de guerre.

L’absence d’objectif militaire rendrait l’attaque contre l’Immeuble des Ingénieurs illégalement délibérée ou indiscriminée, a déclaré Human Rights Watch. Le fait que le bâtiment ait été touché à quatre reprises suggère fortement que les munitions étaient destinées à toucher le bâtiment et que la frappe n'était pas le résultat d'un dysfonctionnement ni d'une mauvaise orientation. Même la présence d’une cible militaire valide soulèverait des questions quant au caractère disproportionné de l’attaque, étant donné la présence visible et anticipée d’un grand nombre de civils à l’intérieur et autour du bâtiment.

Cette frappe est l'une des centaines d'attaques menées par l'armée israélienne à Gaza qui ont tué ou blessé des civils palestiniens, depuis les attaques menées le 7 octobre par le Hamas dans le sud d'Israël, qui ont entraîné la mort de plus de 1 100 personnes et la prise d’environ 240 otages. Airwars a rapporté de manière crédible que 195 attaques probables de l'armée israélienne ont tué entre 1 et 9 civils, 107 attaques ont tué entre 10 et 59 personnes et 4 autres ont tué entre 60 et 139 personnes. Au 1er avril, Airwars avait également collecté des informations préliminaires sur les victimes civiles lors de 3 358 autres attaques impliquant très probablement des frappes aériennes israéliennes.

Ces attaques mettent en évidence les dommages dévastateurs causés aux civils et la probabilité accrue d’attaques illégales lorsque des armes explosives à large portée sont utilisées dans des zones densément peuplées. Tous les gouvernements devraient soutenir la Déclaration politique de novembre 2022 qui vise à freiner l’utilisation de telles armes dans les villes et villages peuplés.

Le ministère de la Santé de Gaza a rapporté qu'entre le 7 octobre 2023 et le 31 mars 2024, plus de 32 000 personnes ont été tuées à Gaza, dont plus de 13 000 enfants et 9 000 femmes, et 75 000 ont été blessées. Parmi les victimes, 2 400 personnes auraient été tuées durant le mois de mars. Ces statistiques ne font pas de distinction entre combattants et civils.

Le journal Haaretz a rapporté en février que l’armée israélienne enquêtait sur « des dizaines de cas » dans lesquels ses forces pourraient avoir violé les lois de la guerre. On ne sait pas si l’attaque contre l’Immeuble des Ingénieurs du 31 octobre fait partie de ces cas.

Les alliés d’Israël devraient suspendre leur aide militaire et leurs ventes d’armes à Israël tant que ses forces commettent en toute impunité des violations systématiques et généralisées des lois de la guerre contre les civils palestiniens. Les gouvernements qui continuent de fournir des armes au gouvernement israélien courent le risque de se rendre complices de crimes de guerre. Ils devraient également user de leur influence, notamment au moyen de sanctions ciblées, pour faire pression sur les autorités israéliennes afin qu’elles cessent de commettre de graves abus.

« Le nombre effarant de morts palestiniens, principalement des femmes et des enfants, montre un mépris mortel pour la vie civile et laisse présager un grand nombre d’autres crimes de guerre possibles qui devraient faire l’objet d’enquêtes », a conclu Gerry Simpson. « Les autres gouvernements devraient exhorter le gouvernement israélien à mettre fin aux attaques illégales ; ils devraient aussi suspendre immédiatement les transferts d’armes vers Israël, afin de sauver des vies civiles et d’éviter le risque de se rendre complices de crimes de guerre. »

Communiqué complet en anglais, comprenant plus de détails sur l’attaque contre l’Immeuble des Ingénieurs et d’autres frappes aériennes israéliennes :
https://www.hrw.org/news/2024/04/04/gaza-israeli-strike-killing-106-civilians-apparent-war-crime

 

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