Au nom de la prévention

Des garanties insuffisantes concernant les éloignements pour des raisons de sécurité nationale

Au nom de la prévention

Des garanties insuffisantes concernant les éloignements pour des raisons de sécurité nationale

I. Synthèse
Recommandations clés
II. Contexte
L'expérience française du terrorisme
Le modèle français de lutte contre le terrorisme
Un débat européen
III. L'éloignement pour des raisons de sécurité nationale
L'interdiction du territoire français
Recours contre les décisions d'interdiction du territoire français
L'expulsion administrative
Raisons principales du recours aux expulsions administratives
Sauvegardes au sein du système de justice administrative
Préoccupations au regard des procédures
Impact des demandes d'asile sur l'éloignement
IV. Protection contre le renvoi lorsqu'il existe un risque de torture
Des garanties procédurales insuffisantes
Absence d'un recours automatiquement suspensif
Études de cas

Usage abusif de la procédure accélérée
Renvois vers l'Algérie
V. Le droit à la liberté d'expression
La liberté d'expression en Europe
Études de cas

Impact sur la liberté d'expression
VI. Le droit à la vie familiale et privée
Le droit à la vie familiale dans le droit international et français
Impact sur les personnes frappées d'une mesure d'éloignement
Impact sur les membres de la famille
VII. Alternative à l'éloignement
L'utilisation actuelle de l'assignation à résidence en France
L'utilisation de mesures de contrôle par d'autres pays
VIII. Impact sur les communautés musulmanes de France
Des mesures antiterroristes contre-productives
Recommandations détaillées
Remerciements101

I. Synthèse

«Les islamistes radicaux se moquent bien souvent d'être condamnés à des peines de prison, mais il y a une chose qu'ils redoutent par-dessus tout : l'expulsion du territoire français ».
-Policier français spécialiste du contre-terrorisme, 2006[1]

Depuis les années 1980, la France n'hésite pas à appliquer une politique qui consiste à renvoyer de force, vers leur pays d'origine, des ressortissants non français accusés de liens avec le terrorisme et l'extrémisme.

Au cours des cinq dernières années, la France a ainsi procédé à l'éloignement de dizaines d'étrangers se trouvant dans ce cas. Certains se sont vus éloignés après avoir purgé des peines de prison pour des infractions liées au terrorisme. D'autres étaient des responsables religieux musulmans (imams), expulsés pour avoir prêché des idées qui, aux yeux des autorités, prônaient l'extrémisme et contribuaient à la radicalisation. Les chiffres gouvernementaux disponibles indiquent que 71 personnes qualifiées de «fondamentalistes islamiques» ont été éloignées de France entre le 11 septembre 2001 et septembre 2006. Quinze d'entre elles ont été décrites par le gouvernement comme étant des imams.

Dans l'un des cas au moins, le gouvernement a déchu un homme de la nationalité française qu'il avait acquise afin de pouvoir le renvoyer dans son pays de naissance.

Comme tous les États, la France a le droit de contrôler ses frontières et d'en exclure les étrangers qui constituent une menace pour sa sécurité nationale. Elle a le devoir de protéger sa population contre les actes de terrorisme. Mais en vertu du droit européen et international des droits humains, elle a également l'obligation de veiller à ce que les mesures prises au nom de la lutte contre le terrorisme et de la protection du public soient compatibles avec les protections des droits humains coexistants, y compris les droits des personnes perçues comme une menace. Le gouvernement français est tenu de faire en sorte que la procédure d'éloignement pour des raisons de sécurité nationale offre des sauvegardes efficaces, qui garantissent des procédures équitables et protégent les personnes faisant l'objet de l'éloignement contre des violations graves de leurs droits humains fondamentaux.

De prime abord, la loi française semble contenir des protections appropriées contre l'expulsion de résidents étrangers de longue durée ou en tout cas intégrés. Les procédures de recours dont disposent les personnes faisant l'objet d'un éloignement du territoire français semblent satisfaire à l'obligation de procédure équitable. Néanmoins, à y regarder de plus près, la procédure est insuffisante pour garantir une réelle protection des droits fondamentaux. L'éloignement est une mesure radicale qui entraîne des conséquences graves, voire irréparables, pour les personnes concernées et leurs familles. Le danger majeur est que dans leur précipitation à procéder à l'éloignement, les autorités renvoient des personnes vers des pays où elles risquent d'êtres torturées ou soumises à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, ce qui constitue une violation grave des obligations qui incombent à la France aux termes du droit international.

Les exceptions aux protections juridiques contre l'éloignement, invoquées pour des raisons de sécurité nationale et appliquées en France à diverses catégories de résidents étrangers, signifient que toute personne considérée comme une menace peut être expulsée, même si elle a vécu toute sa vie en France. Une fois qu'une décision initiale a été prise sur son cas, la loi française autorise le gouvernement à expulser une personne ou à l'interdire du territoire français alors même qu'un appel a été interjeté et même s'il existe une crainte de persécution en cas de renvoi dans le pays dont elle a la nationalité, à moins que, dans ce cas précis, un juge n'accorde un sursis à l'exécution. Les demandes d'asile n'ont un effet suspensif qu'en première instance; par conséquent, une décision initiale négative émanant de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ouvre la voie à un éloignement immédiat, même si la personne a interjeté appel de la décision devant la Commission des recours des réfugiés (CRR), un organe indépendant.

Lors de l'éloignement d'un ressortissant algérien, Mahfoud Brada, en 2002, le Comité des Nations Unies contre la torture a condamné la France pour avoir violé son obligation absolue de n'expulser aucune personne vers un pays où elle risque d'être torturée ou soumise à des mauvais traitements interdits. Brada, qui avait été condamné pour viol et interdit du territoire français pour dix ans, a été éloigné alors que son appel était en instance et que le comité avait demandé de surseoir à son éloignement. En dépit des fortes critiques émises par le comité et de son appel adressé aux autorités françaises pour que ses requêtes soient désormais «rigoureusement observée[s]», la France a de nouveau ignoré une demande de sursis du comité lors de l'expulsion d'un ressortissant tunisien, Adel Tebourski, à la mi-2006.

Les expulsions d'imams, dues en grande partie au fait qu'ils tiennent un discours considéré comme une menace pour la sécurité nationale, soulèvent la question de la protection de la liberté d'expression et de la transgression des garanties de procédures équitables pour les personnes confrontées à l'éloignement. Les expulsions pour des motifs de sécurité nationale ont lieu suite à des procédures administratives. En réalité, en choisissant d'adopter une politique d'expulsions découlant de décisions administratives-plutôt que de poursuivre les personnes concernées pour des délits d'expression-, les autorités françaises utilisent la législation relative à l'immigration pour contourner les garanties plus strictes prévues dans la juridiction pénale en matière de preuves et de procédures. Les cas examinés par Human Rights Watch, sur la base de rapports des services de renseignement qui ne révèlent pas leurs sources d'information ni la façon dont les informations ont été obtenues, portaient sur des propos qui, bien que choquants, ne constituaient pas une incitation manifeste à la violence, laquelle justifierait une sanction aussi draconienne que l'expulsion ou toute autre ingérence extrême dans le droit fondamental à la liberté d'expression.

Enfin, les éloignements risquent d'interférer avec le droit à la vie familiale et privée des personnes éloignées et de leurs proches,en violation du droit international des droits humains. Ceci est particulièrement vrai pour les personnes nées en France ou y ayant vécu la majeure partie de leur vie, celles qui ont épousé des citoyens français ou des personnes résidant en France, et celles qui ont des enfants de nationalité française.

L'interdiction du territoire français et l'expulsion ne constituent pas les seuls instruments dont dispose le gouvernement pour traiter les cas de personnes considérées comme une menace pour la sécurité nationale. Une autre option consiste à faire un usage plus efficace et plus juste de la mesure administrative qu'est l'assignation à résidence dans un endroit précis de France. Le recours à cette option est préférable étant donné qu'il peut s'effectuer sans enfreindre le droit international, contrairement aux types d'éloignement décrits dans le présent rapport.

Les expulsions du territoire français n'ont pas lieu face à un vide politique ou social. Elles se déroulent dans le contexte d'un vaste débat portant sur la sécurité, l'intégration et l'immigration, dans un pays qui accueille la plus importante communauté musulmane d'Europe occidentale. Les éloignements de résidents de longue durée et de responsables religieux musulmans sont perçus avec inquiétude par la population musulmane de France. Dans la mesure où Ils sont ressentis par les musulmans français comme des mesures discriminatoires et injustes, ils peuvent se révéler contre-productifs en aliénant les communautés dont la coopération se révèle vitale pour l'effort de lutte contre le terrorisme.

L'exploration d'une approche commune des expulsions pour des raisons de sécurité nationale dans le cadre du Plan d'action de l'Union européenne sur la lutte contre le terrorisme, et plus précisément de la stratégie pour lutter contre la radicalisation violente et le recrutement pour le terrorisme, suscite un intérêt croissant en Europe. La France joue un rôle moteur sur ces questions et elle a tout dernièrement poussé à l'adoption d'une résolution du Conseil européen sur l'échange d'informations relatives aux expulsions de personnes soupçonnées d'être liées au terrorisme ou  d'inciter à la discrimination, la haine et la violence. Tout effort tendant vers une approche européenne commune doit se fonder sur un meilleur modèle que la politique et la pratique françaises actuelles et il doit s'appuyer fermement sur le droit international des droits humains.

Recommandations clés

Human Rights Watch estime que la meilleure façon pour la France d'établir des normes, tant au niveau des efforts antiterroristes que sur le plan d'un engagement envers les droits humains, serait d'une part, d'améliorer les protections procédurales régissant l'éloignement pour des raisons de sécurité nationale, et d'autre part, de recourir concrètement à des alternatives moins draconiennes, telles que les assignations à résidence, reposant sur une procédure équitable et une supervision judiciaire. Nous recommandons vivement au gouvernement français de prendre les mesures clés énumérées ci-dessous :

  • Veiller à ce que toute personne faisant l'objet d'un éloignement de la France soit autorisée à demeurer en France jusqu'à ce qu'il soit statué sur tout recours intenté en lien avec le risque de torture, d'autres mauvais traitements ou d'ingérence dans le droit à la vie familiale.
  • Veiller à ce que les personnes demandant l'asile puissent demeurer en France jusqu'à la conclusion de la procédure d'examen de leur demande d'asile.
  • Supprimer, lorsqu'une personne risque soit la peine de mort, soit la torture ou autres mauvais traitements, l'exception qui, pour des raisons de sécurité nationale, frappe l'octroi de la «protection subsidiaire», une forme temporaire de protection accordée en lieu et place du statut de réfugié.
  • Améliorer et appliquer de manière plus juste le système d'assignation à résidence en France, en tant qu'alternative à l'éloignement lorsque ce dernier ne peut avoir lieu dans le strict respect du droit des droits humains.
  • Dans la législation et la jurisprudence, clarifier la matérialité et le degré d'intensité de la menace qui doit se poser à l'égard de la sécurité nationale pour entraîner une expulsion, en particulier dans les cas de délits d'expression.

Alors que la France et d'autres nations se tournent vers l'éloignement en tant qu'outil au service de la stratégie de lutte contre la radicalisation violente et le recrutement pour le terrorisme, les autorités régionales et internationales des droits humains pourraient contribuer à dégager des repères plus précis à propos de l'ingérence légitime dans le droit à la vie familiale et le droit à la liberté d'expression.

Des recommandations détaillées sont présentées en fin de rapport.

II. Contexte

L'éloignement ne constitue pas un phénomène nouveau en France et il ne touche pas uniquement les personnes soupçonnées de terrorisme. Les législations françaises pénale et de l'immigration prévoient l'interdiction du territoire ou l'expulsion de résidents en situation régulière pour un large éventail d'infractions et de comportements. Le nombre d'islamistes expulsés de France pour des raisons de sécurité nationale est devenu significatif dans les années 1990, à l'époque où la crise en Algérie a fait de la France une cible directe d'attentats terroristes, y compris sur son propre territoire. Les attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis et la série d'attentats à Casablanca (2003), Madrid (2004) et Londres (2005), ont renforcé la détermination des autorités françaises.

Bien que la France ait subi une vague d'attentats internationaux en 1986 qui a débouché sur l'adoption d'un système judiciaire antiterroriste centralisé, son approche préventive du terrorisme ne s'affirmera que dans les années 1990. L'éloignement de terroristes présumés fait aujourd'hui partie intégrante de cette approche. Cette mesure s'inscrit également dans la stratégie adoptée par la France pour lutter contre la radicalisation violente et le recrutement de terroristes sur le sol français. Que la personne faisant l'objet de la mesure d'éloignement soit un étranger reconnu coupable d'appartenance ou d'association avec un réseau terroriste, ou qu'il s'agisse d'un imam soupçonné de prêcher une interprétation radicale et violente de l'islam, l'objectif est le même: prévenir un attentat en France en renvoyant la personne vers le pays dont elle a la nationalité.[2]

L'expérience française du terrorisme

Lorsque la lutte contre le terrorisme islamiste est devenue une priorité internationale suite aux attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, la France avait déjà mis en place un dispositif antiterroriste, peut-être le plus développé d'Europe. 

Dans les années 1960 et 1970, la France a connu des violences internes perpétrées par des séparatistes corses et basques ainsi que des groupes d'extrême gauche. Elle a également été confrontée à plusieurs attentats liés à des contextes politiques particuliers dans d'autres pays.[3] Néanmoins, c'est au milieu des années 1980 qu'elle expérimentera une nouvelle forme de terrorisme «déterritorialisé».[4] Plus d'une douzaine d'attentats commis à Paris en 1986 dans des grands magasins, des trains, le métro et contre des bâtiments publics vont coûter la vie à 11 personnes et en blesser plus de 220 autres. Un groupe jusqu'alors inconnu, le Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient, revendique la responsabilité des attaques. En 1995, une nouvelle vague d'attentats a lieu entre juillet et septembre – notamment l'explosion d'une bombe dans la station de métro Saint-Michel à Paris – faisant 10 morts et plus de 150 blessés. Les autorités françaises attribuent ces attentats au Groupe Islamique Armé (GIA) algérien.[5]

La violence politique endémique qui touche l'Algérie, déclenchée en janvier 1992 lorsque le gouvernement soutenu par l'armée suspend le second tour des élections parlementaires que le Front Islamique du Salut (FIS) est sur le point de remporter, voit la montée en puissance du GIA. Le passé colonial de la France en Algérie et les huit années de guerre brutale qui ont abouti à l'indépendance de l'Algérie en 1962 contribuent au sentiment d'inquiétude des autorités françaises face à l'arrivée, sur leur territoire, de nombreux membres du FIS et de groupes islamistes armés.[6] En octobre 1993, le GIA enlève trois membres du service consulaire français à Alger (il les libèrera une semaine plus tard) et il détourne un vol Alger-Paris d'Air France le 25 décembre 1994, réclamant l'arrêt de toute aide au gouvernement algérien et des réparations pour la période coloniale. Le lendemain, des commandos français font irruption dans l'avion immobilisé sur le tarmac de Marseille, tuant tous les pirates de l'air.

A partir de novembre 1993, la France effectuera une série de rafles policières, elle procèdera à l'expulsion collective de 20 personnes soupçonnées de terrorisme sans que celles-ci puissent se faire entendre, et elle organisera le procès collectif de 138 personnes dans ce qui sera connu comme «l'Affaire Chalabi» (du nom du chef présumé). En réaction à l'enlèvement des trois membres de la section consulaire en Algérie, Charles Pasqua, alors Ministre de l'Intérieur, ordonne l'Opération Chrysanthème, au cours de laquelle 110 personnes seront interrogées et 87 arrêtées en l'espace de deux jours, début novembre 1993. En août 1994, après que cinq ressortissants français eurent été tués en Algérie, Pasqua ordonnera une campagne massive de contrôles d'identité dans des «quartiers sensibles»; plus de 27 000 personnes seront interpellées et contrôlées rien qu'en deux semaines. A l'époque, Pasqua se justifie en invoquant son intention de réaliser un grand coup de filet plutôt que de viser spécialement des islamistes connus, déclarant que «si on va pas à la pêche, on ne prend pas de poissons».[7] 

Résultat de l'opération: 26 hommes sont détenus pendant un mois dans une caserne désaffectée de la gendarmerie à Folembray, une petite ville du département de l'Aisne situé dans le nord ; la légalité de cet internement demeure, à ce jour, sujet à discussion. Le 31 août 1994, 20 de ces personnes – 19 Algériens et un Marocain – sont expulsées collectivement à Ouagadougou, au Burkina Faso.[8]  Les six autres détenus de Folembray seront assignés à résidence en France (pour de plus amples détails au sujet de cette mesure, voir chapitre VII). Qualifiant les détenus de Folembray d' «islamistes» et de «complices de terroristes», Pasqua ordonne leur expulsion en urgence absolue afin de protéger la sécurité nationale. «Cela servira de leçon à ceux qui ne respectent pas les lois de la République et celles de l'hospitalité», déclarera-t-il à l'époque.[9]

En novembre 1994, 93 personnes sont arrêtées en un seul jour, marquant le début d'une série d'arrestations de membres présumés d'un réseau de soutien aux combattants islamistes en Algérie. Ces arrestations se poursuivront pendant deux ans. Finalement, 138 personnes seront jugées en 1998 pour association avec un groupe terroriste désigné en France sous le nom de «réseau Chalabi». En raison d'un manque d'espace au tribunal central, le procès, extrêmement controversé, se déroule dans le gymnase d'une prison située en périphérie parisienne. Cinquante et une personnes seront acquittées, dans certains cas après une détention provisoire longue de trois ans, et 87 seront reconnues coupables. Quatre autres seront acquittées en appel. Parmi les condamnés, 39 reçoivent des peines de moins de deux ans tandis que les quatre principaux accusés, dont Mohamed Chalabi, le chef présumé, sont condamnés à des peines allant de six à huit ans. Plus de la moitié des personnes reconnues coupables se verront frappées d'une interdiction du territoire français après l'exécution de leur peine d'emprisonnement.[10]

Le modèle français de lutte contre le terrorisme

En réponse à la menace de terrorisme international, la France a adopté une approche caractérisée par la centralisation des affaires de terrorisme à Paris dans les mains de procureurs et de magistrats spécialisés, par des relations exceptionnellement étroites entre ces derniers et les services de renseignement, et par une démarche judiciaire fondée sur la détention préventive des personnes soupçonnées de liens avec le terrorisme. La législation adoptée en 1986 a créé le système judiciaire centralisé de lutte contre le terrorisme: un corps spécialisé de juges d'instruction et de procureurs, des procès sans jurés à la Cour d'Assises de Paris pour les crimes liés au terrorisme, et des procès sans jurés au Tribunal Correctionnel pour les délits liés au terrorisme.[11] La loi a en outre prolongé la période de garde à vue, faisant passer le délai normal de 48 heures à 96 heures dans les cas de terrorisme. En janvier 2006, ce délai est passé à six jours.[12] Pendant la garde a vue, les détenus ont un accès limité à une assistance juridique et ils peuvent être interrogés à volonté par la police, sans que leur avocat soit présent. Toute information obtenue lors des interrogatoires de police peut être utilisée contre le détenu lors de poursuites ultérieures, même si son avocat n'était pas présent à ce moment-là.

La pierre angulaire de l'approche préventive adoptée par la France est l'infraction que constitue l'appartenance à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Cette infraction autorise les juges d'instruction à arrêter des terroristes présumés avant même que ceux-ci ne soient liés à un acte déterminé de terrorisme, planifié ou perpétré. Introduite dans le Code pénal en 1996, l'association de malfaiteurs est un délit défini comme étant «le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme» mentionnés dans le Code pénal et passibles d'une peine de prison maximale de 10 ans.[13]  Une majorité écrasante de personnes accusées en France d'implication dans des activités liées au terrorisme islamiste sont inculpées de ce délit.

Le délit d'association de malfaiteurs est la cible de critiques car il se prête à une interprétation et une application arbitraires.[14] Dans un rapport publié en 1999 et intitulé «La porte ouverte à l'arbitraire», la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme (FIDH) tirait la conclusion que «l'intention de cet article est claire: les autorités chargées de l'enquête et de l'instruction … sont exonérées de toute obligation de lier l'allégation de participation à une quelconque exécution d'acte terroriste ou tout au moins à un projet vérifiable d'une telle exécution».[15] La FIDH affirmait que les juges d'instruction se fondaient sur des spéculations et des insinuations plutôt que sur des preuves probantes, et qu'ils n'accordaient pas suffisamment d'importance à la question de l'intention criminelle. Plus récemment, le Comité conjoint des droits humains du parlement britannique (Joint Committee on Human Rights) a déclaré qu'il avait «fortement l'impression», en l'absence de statistiques détaillées, que le grand nombre d'arrestations effectuées en France pour cette infraction ne débouchait que sur un petit nombre de condamnations, tirant la conclusion que «l'infraction était principalement utilisée, non pas en vue de poursuivre des individus en raison de leurs actes, mais afin de recueillir des preuves relatives à d'éventuels futurs attentats terroristes».[16]

Les pénalistes qui travaillent sur les affaires de terrorisme portent un regard fort critique à l'égard du manque de précision juridique en ce qui concerne l'infraction d'association de malfaiteurs. Jean-Jacques de Felice, avocat de la défense dans bon nombre de procès pour terrorisme, a déploré le fait que  «tu es le cousin du cousin du cousin de quelqu'un qui a fait quelque chose, et alors tu appartiens à une association de malfaiteurs.  Le concept est très vague.  C'est le droit même qui est dangereux … [et] la défense devient impossible».[17]

Un débat européen

L'éloignement des non-ressortissants est autorisé aux termes du droit international. L'article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) prévoit qu'un étranger qui réside légalement dans un pays peut en être expulsé mais il doit l'être conformément à la loi et doit avoir le droit effectif de contester ladite expulsion.[18] Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, chargé de superviser le respect du PIDCP, a relevé que les dispositions de l'article 13 pouvaient souffrir d'exceptions en cas de «raisons impérieuses de sécurité nationale», mais également que «normalement, un étranger qui est expulsé doit être autorisé à se rendre dans tout pays qui accepte de l'accueillir».[19] De manière plus générale, le comité est d'avis que les non-ressortissants peuvent bénéficier de la protection du PIDCP même en ce qui concerne l'entrée et le séjour,lorsque des considérations relatives à la non-discrimination, à l'interdiction des traitements inhumains et au respect de la vie familiale entrent en jeu.[20]

Au sein de l'Europe, même si le consensus ne cesse de croître autour de l'idée que les résidents étrangers de longue durée devraient être protégés contre l'éloignement, le soutien dont jouit ce point de vue – et son reflet dans les instruments régionaux – s'amenuisent considérablement lorsque est soulevée la question de la sécurité nationale ou de l'ordre public. Les deux principaux traités relatifs aux droits humains du Conseil de l'Europe abordent le besoin de protéger les résidents étrangers en situation régulière contre l'expulsion arbitraire et de garantir des sauvegardes procédurales suffisantes. Mais tous deux autorisent les expulsions qui ont lieu, sans le bénéfice de ces sauvegardes, pour des raisons liées à la sécurité nationale. Outre une interdiction générale des expulsions collectives d'étrangers,[21] le Protocole 7 à la Convention européenne des droits de l'homme (Convention européenne) prévoit des garanties procédurales concernant l'expulsion d'étrangers: les décisions relatives aux expulsions doivent être prises conformément à la loi, et les personnes faisant l'objet d'une expulsion doivent avoir le droit de faire valoir les raisons qui militent contre cette mesure, de faire examiner leur cas et de se faire représenter aux fins de cet appel.[22] Le Protocole ajoute toutefois qu'un étranger «peut être expulsé avant l'exercice de ses droits… lorsque cette expulsion est nécessaire dans l'intérêt de l'ordre public ou est basée sur des motifs de sécurité nationale.[23] La Charte sociale européenne oblige également les États à veiller à ce que les travailleurs migrants résidant légalement sur leur territoire ne soient expulsés «que s'ils menacent la sécurité de l'État ou contreviennent à l'ordre public ou aux bonnes mœurs ».[24]

Dans une recommandation de 2001, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) a estimé que l'expulsion d'immigrés de longue durée s'avérait à la fois disproportionnée, «car elle représente pour la personne concernée des conséquences à vie, entraînant souvent la séparation de sa famille et la rupture avec son environnement», et discriminatoire, «car l'État ne dispose pas de ce moyen pour ses ressortissants ayant commis les mêmes actes». L'APCE a ajouté que «la seule perspective d'expulsion fragilise le processus d'intégration dans la société des étrangers ainsi que de leur communauté et risque de créer une méfiance vis-à-vis des étrangers, qu'ils soient ou non concernés par l'expulsion ». [25] L'APCE a néanmoins jugé que les expulsions devraient pouvoir s'appliquer dans des «cas tout à fait exceptionnels», quand il est prouvé que la personne concernée représente un réel danger.

Au niveau de l'Union européenne (UE), la Directive de 2003 du Conseil relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée stipule que les États membres ne peuvent prendre une décision d'éloignement à l'encontre d'un résident de longue durée «que lorsqu'il représente une menace réelle et suffisamment grave pour l'ordre public ou la sécurité publique ».[26]Avant de prendre une décision d'éloignement, les États membres devraient prendre en compte la durée de la résidence sur leur territoire, l'âge de la personne concernée, les conséquences de l'éloignement pour elle et pour les membres de sa famille, ainsi que les liens de la personne avec le pays de résidence ou l'absence de liens avec le pays d'origine.[27]

Plusieurs gouvernements européens ont exprimé leur ferme soutien à une politique commune de l'UE en matière d'expulsion de terroristes présumés. Lors d'une réunion extraordinaire du Conseil Justice et Affaires intérieures qui a eu lieu en juillet 2005, l'Italie a proposé d'étudier une approche commune de ces expulsions, et en septembre 2005, Charles Clarke, alors Ministre de l'Intérieur britannique, a appelé à des règles communes aux pays de l'UE pour l'éloignement des personnes incitant à la haine ou prônant le terrorisme.[28] En mars 2006, les ministres de l'inté rieur des pays du «G6» (France, Allemagne, Italie, Pologne, Espagne et Royaume-Uni) se sont mis d'accord pour échanger des informations à propos des expulsions de personnes soupçonnées de prêcher la haine raciale ou religieuse et ils ont souligné que cette coopération visait à forger une politique commune européenne en matière d'affaires intérieures et de sécurité.

En guise de première étape tendant vers cet objectif, et sur la base d'une proposition du gouvernement français, un Groupe de travail «Migration et éloignement» du Conseil de l'UE a élaboré un projet de résolution relatif à l'échange d'information sur l'expulsion de prédicateurs radicaux incitant à la violence et à la haine raciale. Telle qu'elle est élaborée actuellement, la résolution exigerait que les États membres informent tous les autres États membres lorsqu'ils expulsent un ressortissant d'un pays tiers pour des motifs de comportements liés à des activités terroristes ou constitutifs d'actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, la haine ou la violence. Reflétant la tension entre, d'une part, l'objectif que constitue une approche commune, et d'autre part, le souhait de bon nombre d'États membres de préserver leur autonomie, le projet de résolution, pour l'instant, exclut expressément toute exigence d'harmonisation des critères régissant les expulsions ou toute ingérence dans le pouvoir discrétionnaire de chaque gouvernement sur ces questions.[29]

En septembre 2005, la Commission européenne a soumis sa proposition de Directive sur des normes et procédures communes dans les États membres pour renvoyer les ressortissants de pays tiers en situation irrégulière (la «Directive retour»). Quoique la présentation actuelle de la proposition suscite quelques inquiétudes sur le plan des droits humains, son but déclaré est de fournir des normes minimales relatives aux procédures équitables, en conformité avec les normes internationales des droits humains.[30] Le projet actuel exclut explicitement de son cadre la situation des ressortissants de pays tiers dont le séjour a été interrompu par un arrêté d'expulsion émis pour des raisons d'ordre public et de sécurité.

Tout effort qui vise à l'adoption d'une approche européenne commune concernant les expulsions pour des raisons de sécurité nationale doit veiller à ce que tous les instruments d'harmonisation-tant les directives (éléments de soft law ou droit non contraignant) que les règles (éléments de hard law ou droit contraignant)-régissant l'éloignement des personnes soupçonnées de terrorisme incluent des protections appropriées des droits humains et prévoient des alternatives viables à l'éloignement, en conformité avec le droit international.

III. L'éloignement pour des raisons de sécurité nationale

L'éloignement de France est régi par le Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile (CESEDA). Le CESEDA, entré en vigueur le 1er mars 2005, renforce et remplace l'ordonnance de 1945 relative aux étrangers et la loi de 1952 relative au droit d'asile. Il incorpore par ailleurs les importantes réformes apportées depuis 2001 en vue de faciliter l'expulsion de personnes soupçonnées d'entretenir des liens avec le terrorisme international.

Dans les cas où la sécurité nationale est en jeu, deux mécanismes principaux sont appliqués pour l'éloignement de résidents étrangers en situation régulière en France. Le premier est l'interdiction du territoire français (ITF), prononcée par un tribunal à titre de sanction infligée suite à une condamnation pénale. Le second est l'expulsion administrative, qui prend la forme d'un arrêté ministériel d'expulsion (AME), lequel peut être pris par le Ministère de l'Intérieur. Un troisième mécanisme autorise les préfets à ordonner des expulsions en cas de menace grave pour l'ordre public mais ces arrêtés préfectoraux d'expulsion (APE) ne sont pas fréquemment utilisés dans le cas de personnes soupçonnées de terrorisme.

La loi protège prétendument certaines catégories de résidents étrangers contre l'éloignement, mais des exceptions inscrites tant dans le Code pénal que dans le CESEDA prévoient que la «gravité» de la condamnation pénale ou du comportement présumé l'emporte sur les critères de protection contre l'éloignement.

Human Rights Watch a examiné des cas d'éloignement pour des raisons de sécurité nationale qui ont eu lieu suite à un arrêté ministériel d'expulsion ou suite à une interdiction du territoire français. Dans certains cas que nous avons examinés, les deux moyens ont été utilisés pour faire appliquer la mesure d'éloignement. En l'occurrence, le ministre de l'intérieur a pris un arrêté d'expulsion à l'encontre d'une personne faisant déjà l'objet d'une interdiction du territoire français, selon toute vraisemblance pour garantir l'éloignement même si un juge pénal venait à annuler en appel l'interdiction du territoire français.

L'interdiction du territoire français

L'interdiction du territoire français peut être prononcée par une juridiction pénale compétente à titre de peine complémentaire, voire à titre de peine principale, pour un large éventail de crimes et de délits. Aucun instrument législatif ni aucune loi n'énumère à lui seul ou à elle seule toutes les infractions susceptibles de donner lieu à une interdiction du territoire français; celles-ci sont reprises dans différents instruments, notamment le CESEDA, le Code pénal, le Code du travail et le Code de la santé publique. La décision de prendre une mesure d'interdiction du territoire français à titre de peine complémentaire relève toujours de la discrétion de la juridiction pénale compétente. Celle-ci peut en outre décider d'imposer une interdiction temporaire-allant généralement de trois ans à dix ans maximum en fonction de l'infraction commise-ou une interdiction définitive, laquelle prohibe à tout jamais le retour sur le territoire français.

En 2000, un vaste réseau d'associations de terrain et d'organisations de défense des droits des migrants et des droits humains a lancé une campagne contre les interdictions du territoire français. Ces organisations affirmaient que ce qu'elles qualifiaient de «double peine» revenait à exposer les personnes à une double incrimination car elle imposait deux sanctions pour la même infraction, et qu'elle était par ailleurs discriminatoire dans le sens où elle n'affectait que les étrangers. Les militants de la campagne sont parvenus à promouvoir une réforme en 2003, dans le cadre de laquelle la protection contre l'interdiction frappant certaines catégories d'étrangers s'est trouvée renforcée.[31] Le Code pénal établit actuellement deux niveaux de catégories protégées sur la base de certains critères, dont la durée de la résidence en France, le mariage avec un ressortissant français, et le fait que la personne soit ou non responsable de l'entretien et de l'éducation d'enfants mineurs.[32]

Toutes ces protections sont néanmoins soumises à des exceptions et les seuls étrangers qui bénéficient d'une protection absolue contre l'interdiction du territoire français sont les mineurs, à savoir les personnes de moins de 18 ans.[33] Le Code pénal dispose que les étrangers reconnus coupables d' «atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation … [d'] actes de terrorisme … [et d'] infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous» ne sont pas protégés contre l'interdiction du territoire français, quel que soit leur statut,[34] et que les étrangers reconnus coupables d'une infraction liée au terrorisme peuvent faire l'objet d'une mesure d'interdiction du territoire français à titre définitif.[35] Au moment de statuer sur l'imposition d'une interdiction du territoire français, le tribunal compétent doit mettre en balance d'une part la gravité de l'infraction commise, et d'autre part, les liens que la personne entretient avec la France, ses liens avec le pays dont elle  a la nationalité, ainsi que son degré d'intégration dans la société française.[36]

La vaste majorité des décisions d'interdiction du territoire français prises en lien avec le terrorisme sont prononcées dans des cas de délits d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (comme décrit dans le chapitre précédent).[37] Ce chef d'inculpation peut couvrir une large gamme de comportements, allant de l'hébergement d'un agent terroriste identifié ou présumé et de l'aide apportée à cette personne pour obtenir de faux papiers ou un téléphone portable au prêt ou à la remise d'argent, et du recrutement de combattants pour se rendre en Afghanistan ou en Irak à l'organisation matérielle d'un attentat sur le sol français. Les ressortissants étrangers reconnus coupables d'association de malfaiteurs font fréquemment l'objet d'une expulsion, même lorsque les peines d'emprisonnement auxquelles ils sont condamnés sont relativement courtes.

L'exception invoquée pour des raisons de sécurité nationale au regard des catégories protégées d'étrangers signifie que même les étrangers qui sont nés en France ou qui s'y sont établis à un très jeune âge peuvent être interdits de territoire français lors de leur libération de prison. Mohamed Chalabi, le chef présumé dans l'affaire Chalabi, ainsi que son frère Brahim Chalabi ont été condamnés respectivement à huit ans et quatre ans d'emprisonnement et à des peines d'interdiction du territoire français à titre définitif. Bien qu'il s'agisse de ressortissants algériens, tous deux sont nés et ont grandi en France, ils ont épousé des ressortissantes françaises et ont des enfants de nationalité française. Mohamed Chalabi a été éloigné en 2001; en 2003, le gouvernement français a suspendu ses démarches visant à interdire du territoire son frère Brahim, lorsque la Cour européenne des droits de l'homme a demandé de surseoir à l'exécution de la mesure, redoutant des risques de torture en Algérie.

Abderrazak Mezouar, un ressortissant algérien, a également été jugé dans l'affaire Chalabi et condamné à quatre ans de prison-il avait déjà passé quatre ans et deux mois en détention provisoire lorsque le verdict a été prononcé-et à une interdiction du territoire français, alors qu'il était né en France, avait épousé une ressortissante française et avait quatre enfants de nationalité française.

Recours contre les décisions d'interdiction du territoire français

Un recours contre la décision d'interdiction du territoire français peut être déposé auprès de la juridiction pénale compétente à titre de recours général contre une condamnation pénale. Ce recours est non suspensif; par conséquent, si la décision d'interdiction du territoire français est la seule peine-en d'autres termes, si la personne reconnue coupable n'est pas condamnée à une peine d'emprisonnement-ou si la peine de prison prononcée par la juridiction pénale est suspendue ou couvre une période d'emprisonnement déjà effectuée en détention provisoire (comme dans le cas d'Abderrazak Mezouar mentionné plus haut), la décision peut être exécutée même lorsque le recours est en instance.

La personne faisant l'objet d'une interdiction du territoire français peut également demander à la juridiction qui a prononcé la peine de la relever de cette mesure. Cette démarche est différente du recours. La première demande de relèvement ne peut être introduite qu'à l'issue d'un délai de six mois après la condamnation,[38] et cette demande n'est recevable que si l'intéressé est encore incarcéré en France, s'il est sorti de prison mais a été assigné à résidence en France (voir plus loin), ou s'il est déjà hors du pays. Les personnes libérées de prison et en attente de l'exécution de la peine d'interdiction du territoire français mais non assignées à résidence ne peuvent demander le relèvement. Une personne peut introduire auprès de la juridiction compétente un nombre illimité de demandes de relèvement de l'interdiction du territoire français. Néanmoins, six mois doivent s'écouler avant le renouvellement d'une demande.[39]

L'expulsion administrative

Le CESEDA autorise le ministre de l'intérieur à expulser des résidents étrangers en situation régulière aux motifs qu'ils constituent une menace grave pour l'ordre public.[40] 

Les arrêtés ministériels d'expulsion sont des documents d'une page qui font référence aux articles pertinents du CESEDA ainsi qu'à la Convention européenne des droits de l'homme. Ils décrivent succinctement les motifs de l'expulsion (par exemple que l'individu « s'est engagé dans des activités de nature à compromettre la sécurité de l'État» ou «incite ouvertement à la violence et à la haine») et peuvent indiquer que l'expulsion répond à une «nécessité impérieuse» et/ou une «urgence absolue» pour la protection de l'État et de la sécurité publique.

Le CESEDA fixe en gros les mêmes critères pour deux catégories protégées de ressortissants étrangers que dans les cas d'interdiction du territoire français.[41] Ici aussi, des exceptions au statut de protection s'appliquent néanmoins dans les cas où l'expulsion est considérée comme une «nécessité  impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique»,[42] ainsi que dans les cas de comportements portant «atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes».[43] L'expulsion par arrêté ministériel exclut la possibilité de revenir sur le territoire français jusqu'à ce que ledit arrêté soit levé.

Les arrêtés ministériels d'expulsion sont théoriquement soumis à l'examen d'une Commission d'expulsion composée de deux magistrats pénaux et d'un magistrat administratif, lors d'une audience à laquelle peuvent participer la personne faisant l'objet de l'expulsion ainsi que son avocat.[44] Le rôle de la commission est d'évaluer si l'expulsion est nécessaire et proportionnée, au regard de la gravité de la menace à l'ordre public ainsi que de l'intégration de l'intéressé dans la société française et de ses liens personnels et familiaux en France. La commission joue uniquement un rôle consultatif et son avis sur l'expulsion n'est pas contraignant.

Toutefois, le CESEDA prévoit de surcroît une procédure accélérée au cours de laquelle la Commission d'expulsion est contournée. Le ministre de l'intérieur est habilité à prendre un arrêté d'expulsion invoquant «l'urgence absolue», conférant aux autorités le pouvoir de procéder immédiatement à l'expulsion.[45] Dans pratiquement tous les cas examinés par Human Rights Watch, l'arrêté administratif d'expulsion invoquait à la fois l'urgence absolue et la nécessité impérieuse.

Raisons principales du recours aux expulsions administratives

En règle générale, les expulsions administratives frappent les personnes que le gouvernement n'est pas en mesure ou n'est pas disposé à poursuivre. L'expulsion administrative semble constituer la méthode préférée utilisée à l'encontre des étrangers accusés d'incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence, en partie parce que les mesures relatives à l'immigration telles que l'expulsion permettent au gouvernement d'éluder les protections procédurales intégrées dans le système de justice pénale, mais aussi parce qu'aux termes de la législation actuelle, une condamnation pour incitation ne permet pas de prononcer une interdiction du territoire français à titre de peine complémentaire.

Ce dernier argument a d'ailleurs été invoqué pour promouvoir la réforme du CESEDA en 2004, laquelle a élargi le champ des propos pouvant donné lieu à une expulsion administrative. Alors qu'une réforme apportée en 2003 avait prévu les expulsions pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence pour des motifs d'ethnicité ou de religion, le Ministre de l'Intérieur de l'époque, Dominique De Villepin, a parrainé une modification introduisant la formulation actuelle, plus large, prévoyant l'expulsion pour des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes (italique ajouté).[46]

Les cas les plus médiatisés sont ceux des imams accusés de prêcher la haine contre des groupes de personnes, de prôner le soutien à la résistance à l'oppression perçue soit à l'étranger, soit en France, et d'exprimer leur mépris pour les «valeurs françaises».

Les expulsions administratives sont également utilisées pour exiler les personnes soupçonnées de terrorisme que les autorités craignent ne pas pouvoir poursuivre avec succès, ainsi que les personnes qui ont été reconnues coupables d'association de malfaiteurs mais n'ont pas fait l'objet d'une peine d'interdiction du territoire français. Un arrêté d'expulsion a été pris à l'encontre de l'Algérien Chellali Benchellali alors qu'il était en garde à vue sur présomption d'activité à caractère terroriste, probablement parce que les autorités estimaient que le magistrat instructeur était susceptible de le libérer sans inculpation.[47] Le Tunisien Adel Tebourski devait être libéré après avoir purgé une peine d'emprisonnement de six ans pour association de malfaiteurs.[48] Tebourski avait obtenu la nationalité française en 2000 et ne pouvait donc faire l'objet d'une interdiction du territoire français. Le Ministère de l'Inté rieur a contourné cet obstacle en privant Tebourski de sa nationalité française la veille du jour prévu pour sa libération et il a émis un arrêté administratif d'expulsion aux motifs que son expulsion répondait à une urgence absolue et à une nécessité impérieuse.

Sauvegardes au sein du système de justice administrative

Les recours contre les expulsions ordonnées par le Ministère de l'Intérieur relèvent de la compétence des juridictions administratives. La France dispose d'un système de justice administrative bien développé. Il existe 28 tribunaux administratifs (TA) qui statuent en première instance, et huit cours administratives d'appel (CAA).[49] La plus haute juridiction au sein de l'ordre administratif est le Conseil d'État (CE).

Le droit administratif fournit le cadre pour une supervision judiciaire de l'exercice des fonctions exécutives. A la différence des procédures en vigueur dans une juridiction pénale, la plupart des procédures administratives sont écrites, la présence des parties intéressées n'est requise à aucune des audiences susceptibles d'être tenues, et le premier devoir de la juridiction administrative est de déterminer si l'autorité exécutive a exercé son pouvoir conformément à la loi. La jurisprudence du Conseil d'État est exécutoire pour les instances inférieures.

Les arrêtés ministériels d'expulsion, ainsi que les arrêtés séparés fixant le pays de destination pour la personne frappée d'une interdiction du territoire français peuvent faire l'objet d'un recours au sein du système de justice administrative.[50] Pour un arrêté comme pour l'autre, il existe en fait trois types de recours: l'appel sur le fond; l'appel sur le fond déposé conjointement avec un référé-suspension; et le référé-liberté. Les arrêtés fixant le pays de destination, qui peuvent être émis par le ministre de l'intérieur ou par un préfet local, sont cruciaux dans les cas où l'on craint des risques de torture en cas de renvoi. En appel, un tribunal peut confirmer la mesure d'éloignement mais annuler l'arrêté qui fixe comme destination le pays de nationalité, aux motifs que l'intéressé serait exposé à des traitements inhumains à son retour.

Les recours contre les arrêtés fixant le pays de destination doivent être déposés auprès de la juridiction administrative locale, alors que les recours contre une expulsion administrative doivent être déposés auprès du tribunal administratif de Paris. La centralisation des affaires d'expulsion auprès du tribunal administratif de Paris-qui reflète la centralisation des affaires criminelles liées au terrorisme auprès du Tribunal Correctionnel de Paris-est assez récente.  Après que le tribunal administratif de Lyon eut suspendu l'expulsion d'un imam local, Abdelkader Bouziane, en avril 2004, le Ministre de l'Intérieur de l'époque, De Villepin, a déclaré au quotidien Le Figaro:

Ma conviction, c'est qu'il est nécessaire d'éloigner les extrémistes étrangers qui n'ont pas leur place sur notre sol. Si le dispositif actuel ne permet pas de prendre les décisions qui s'imposent et de les faire exécuter, il faudra modifier la loi pour tenir compte de la réalité des risques.[51]

De Villepin a demandé à l'Assemblée nationale d'envisager de modifier la loi de façon à faire du Conseil d'État la première et dernière instance pour statuer sur les recours contre les arrêtés d'expulsion, «afin de mieux concilier la défense des droits individuels et les impératifs de l'État républicain».[52] Cette proposition a rencontré une forte opposition, y compris de la part du Syndicat de la Juridiction Administrative (SJA), qui regroupe les juges des tribunaux administratifs, ainsi que du Conseil d'État lui-même. En fin de compte, un compromis alternatif a été trouvé avec la centralisation, auprès du tribunal administratif de Paris, des recours contre les expulsions ordonnées par le ministre de l'intérieur.[53]

La procédure en appel peut durer des mois, voire des années, une affaire pouvant passer par les trois niveaux de la hiérarchie juridictionnelle (le tribunal administratif local, la cour d'appel et le Conseil d'État). Néanmoins, le simple fait de former un recours, quel qu'il soit, n'est pas suspensif. Pour suspendre l'exécution de l'arrêté d'expulsion, les intéressés doivent obtenir un jugement favorable concernant une requête en référé-suspension ou en référé-liberté (les deux requêtes peuvent être déposées pour la même affaire). La requête initiale doit être présentée au juge des référés du tribunal administratif de Paris.

Un référé-suspension n'est pas recevable s'il n'est pas accompagné d'un appel sur le fond. Il doit présenter des motifs propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté d'expulsion et doit répondre à un critère d' «urgence».[54] La jurisprudence du Conseil d'État semble indiquer que la notion d'urgence est présumée dans les affaires d'expulsion, précisément parce que l'appel sur le fond n'est pas suspensif.[55] La loi n'impose pas de délai pour la décision du juge en matière de référé-suspension mais cette décision est prise en dernier ressort et une fois rendue, elle n'est pas susceptible d'appel.[56]

Le référé-liberté, qui peut être introduit même en l'absence d'un appel sur le fond, doit démontrer que l'expulsion constitue une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.[57] Le juge des référés est habilité à prendre «toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale» et il doit statuer dans un délai de 48 heures à compter de la réception de la demande.[58] Le fait qu'une décision rapide soit exigée dans les cas impliquant d'éventuelles violations des libertés fondamentales constitue une condition importante mais les autorités peuvent malgré tout éloigner légalement une personne avant que le juge des référés n'ait statué. Dans les cas examinés par Human Rights Watch, les autorités françaises ont généralement suspendu l'expulsion jusqu'à ce que le juge des référés ait prononcé un jugement. Cependant, dans le cas de Nacer Hamani, le gouvernement a cherché à l'éloigner alors même que le juge des référés examinait sa demande. Ce cas est décrit plus loin. Une décision négative à propos d'un référé-liberté est susceptible d'appel directement devant le juge des référés du Conseil d'État, dans les quinze jours de sa notification; le juge du Conseil d'État doit alors statuer dans un délai de 48 heures.[59]

Le juge des référés détermine si les procédures relatives au référé-suspension ou au référé-liberté seront orales ou écrites,[60] et il peut rejeter une demande en motivant sa décision, sans tenir d'audience d'aucun type s'il considère que la demande est manifestement irrecevable, qu'elle est mal fondée, qu'elle ne relève pas de sa juridiction, ou qu'elle ne répond pas au critère d'urgence.[61] Une décision de rejet pour irrecevabilité manifeste ou demande mal fondée n'est pas susceptible d'appel.[62]

Préoccupations au regard des procédures

Dans le système de justice administrative, les preuves requises pour confirmer une expulsion ordonnée par le Ministère de l'Inté rieur sont d'un niveau bien moindre que celles exigées pour une condamnation prononcée dans le cadre de procédures pénales. Les preuves du gouvernement à l'encontre de prédicateurs radicaux apparaissent dans des rapports des services de renseignement qui doivent être divulgués à la défense. Toutefois, les informations contenues dans les rapports ne peuvent être vérifiées de manière indépendante ni facilement contestées par la défense.

Dans ces procédures, le concept de preuves est compris comme étant flexible, permettant tout type de preuves, y compris des post-it.[63] «Il n'y a pas de formalisme concernant les preuves [dans la justice administrative]… il ne s'agit pas vraiment de preuves, on essaye [plutôt] de convaincre le juge.  Il est interdit d'utiliser le mot 'preuve' dans les jugements parce qu'il ne s'agit pas de prouver mais de convaincre », a expliqué un commissaire du gouvernement[64] du Conseil d'État à Human Rights Watch.[65] En ce qui concerne spécifiquement les informations nécessaires pour justifier une expulsion pour des raisons de sécurité nationale ou d'ordre public, le Conseil d'État est d'avis que l'appréciation de ces types de menace ne peut être soumise au «même régime de preuve» que lorsqu'il s'agit d'établir l'existence d'un crime.[66]

La jurisprudence du Conseil d'État a établi que le ministère doit inclure dans l'arrêté d'expulsion le fondement juridique et factuel de la décision d'expulser.[67] Dans la pratique, les arrêtés d'une page n'incluent que des informations sommaires et ce n'est que si l'arrêté fait l'objet d'un recours que le gouvernement doit fournir des preuves pour étayer l'argument de la menace. Il le fait par le biais de rapports des services de renseignement, communément appelés «notes blanches» car ils ne sont pas signés et ne fournissent pas de détails sur les sources d'informations qu'ils contiennent.[68] Ces rapports, généralement produits par les Renseignements Généraux (RG), reposent souvent sur des informations provenant d'indicateurs, dont certains ont subi des pressions pour qu'ils rendent ces services en échange de leur non-expulsion, soit parce qu'ils risquent de faire l'objet d'un arrêté ministériel d'expulsion, soit parce qu'ils résident en France en situation irrégulière.[69] Comme l'a expliqué un avocat: «Beaucoup de gens subissent des pressions pour être indicateurs. Ils obtiennent des cartes de séjour en échange et puis, ils doivent fournir l'une ou l'autre information. Donc ils amplifient les rumeurs. Et par la suite il n'y a aucune chance qu'un juge pénal vérifie l'information et sa source».[70]

Tous les avocats interrogés au cours des recherches réalisées en vue du présent rapport ont dit qu'ils croyaient avoir eu accès à toutes les informations présentées par le gouvernement au tribunal administratif, y compris tous les rapports des services de renseignement. Seule une avocate a mentionné un cas où un juge du tribunal administratif de Paris avait refusé de lui remettre copie d'une note blanche produite par l'avocat du gouvernement lors de l'audience relative à un arrêté préfectoral d'expulsion.

L'affaire concernait un Tunisien, Hamed Ouerghemi, qui avait fait l'objet d'un arrêté d'expulsion en février 2005.  Ouerghemi, membre du mouvement islamiste tunisien Ennadha, avait demandé l'asile depuis le centre de rétention où il avait été placé dans l'attente de son expulsion et l'OFPRA lui avait accordé une protection subsidiaire.[71] Quelques semaines plus tard, le 4 mars 2005, le juge du tribunal administratif avait confirmé l'arrêté d'expulsion, citant textuellement le rapport des RG dans sa décision. Ouerghemi, qui entre-temps avait été assigné à résidence, a introduit un recours auprès de la Cour administrative d'appel de Paris, laquelle a annulé une partie de la décision de l'instance inférieure en septembre 2005, relevant qu'elle s'était basée «sur les informations contenues dans les extraits d'une note blanche des Renseignements Généraux invoquée à la barre par le représentant du préfet, sans que ce document ou les informations qu'il contenait aient été communiqués à M. Ouerghemi».[72]

L'interprétation contraignante du Conseil d'État est qu'une note blanche devrait être rejetée si elle est «lapidaire, fort peu circonstanciée et… se borne à procéder par affirmation».[73] Notant que «la preuve négative n'est pas toujours aisée à apporter», le commissaire du gouvernement, dans une affaire importante relative à l'utilisation de notes blanches, a suggéré une approche qui favorise «une conception équilibrée de la charge de la preuve», prenant en égale considération la nature de la menace, déterminée en grande partie en fonction du contenu des rapports des RG, et les arguments de la défense. Le commissaire a souligné que ces derniers devaient être précis et ne pas simplement consister à protester par principe contre l'utilisation de la note blanche.[74]

Pour sa part, le Ministère de l'Intérieur soutient que «le formalisme ne doit pas être tel que le ministre soit contraint de détailler les circonstances précises de chacun des faits caractérisant le comportement d'un ressortissant étranger faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion».[75] La Cour administrative d'appel de Nantes a souscrit à cet avis dans une affaire remontant à 2001, estimant que le Ministère de l'Intérieur n'était pas tenu de «préciser en quoi le maintien du requérant [la personne faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion] sur le territoire français présenterait un risque d'une particulière gravité pour la sécurité publique».[76]

Le manque de précision du concept juridique de menace à l'ordre public et les critères relativement peu rigoureux qui existent dans le système de justice administrative en matière de preuves donnent aux juges qui statuent sur ces questions un pouvoir de décision considérable. Les avocats de la défense se plaignent du fait que les juges administratifs se fient aveuglément aux rapports des services de renseignement, et beaucoup de jugements examinés par Human Rights Watch citent les notes blanches textuellement. Le commissaire du gouvernement dans l'affaire Bouziane, détaillée plus loin, a constaté «l'absence de jurisprudence bien établie sur l'intensité et la matérialité de la menace permettant d'expulser un étranger relevant de l'une des catégories bénéficiant d'une protection quasi-absolue».[77] 

Human Rights Watch reconnaît le rôle critique des services de renseignement dans les efforts de répression du terrorisme. L'efficacité de la surveillance et du recueil d'informations, conjuguée à une supervision judiciaire appropriée, constitue un élément clé, tant pour la prévention que pour la poursuite des infractions liées au terrorisme. Nous reconnaissons par ailleurs que la jurisprudence du Conseil d'État autorise la présentation de rapports des services de renseignement dans les affaires relatives à l'entrée et au séjour des étrangers, et qu'elle permet de les considérer comme des éléments de preuve parmi d'autres.[78] Néanmoins, nous nous inquiétons du fait que les critères minima établis par le Conseil d'État concernant la recevabilité d'une note blanche ne sont ni suffisamment clairs, ni suffisamment respectés dans la pratique, et qu'ils peuvent aboutir à des expulsions basées sur des informations non vérifiables, difficiles à réfuter. Human Rights Watch s'inquiète également du fait qu'il n'existe aucun moyen d'établir si les informations contenues dans une note blanche ont été arrachées sous la torture. Dans le cadre des procédures judiciaires, l'utilisation d'informations arrachées sous la torture violerait les obligations qui incombent aux États de respecter l'interdiction absolue de la torture.

Impact des demandes d'asile sur l'éloignement

Les personnes confrontées à une interdiction du territoire français ou à une expulsion peuvent demander l'asile.[79] Dans ces circonstances, les demandes d'asile sont traitées selon une procédure «prioritaire» accélérée au cours de laquelle l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) doit examiner la demande et rendre une décision dans un délai de 15 jours, ou de 96 heures si la personne est en rétention dans l'attente de son éloignement.[80] Les recours sont entendus par la Commission des recours des réfugiés (CRR).

L'OFPRA est un organe gouvernemental placé sous la tutelle du Ministère des Affaires Etrangères. La CRR est ce qu'on appelle en France une «juridiction administrative spécialisée» et elle est composée de trois juges dont un magistrat professionnel, un représentant des ministères représentés au conseil d'administration de l'OFPRA et un représentant du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Par conséquent, la CRR jouit d'une crédibilité plus grande en sa qualité d'arbitre autonome des demandes d'asile.[81]

Demander l'asile est le seul moyen certain de suspendre la mesure d'éloignement mais ici aussi, les questions de sécurité nationale constituent des motifs d'exception à la règle générale d'interdiction d'un éloignement pendant toute la période où la demande d'asile est à l'examen. Habituellement, les demandeurs d'asile ont droit à une carte de séjour temporaire pendant la durée de la procédure d'examen de leur demande. Cette procédure comprend une décision initiale de l'OFPRA, ainsi que le recours facultatif auprès de la CRR suite à une décision négative.[82] La décision de la CRR est sans appel et les demandeurs d'asile dont la demande a été rejetée font alors l'objet d'un éloignement. Dans les cas impliquant des personnes considérées comme une menace pour la sûreté de l'État ou l'ordre public, aucun permis de séjour temporaire n'est délivré et la mesure d'éloignement n'est suspendue que pendant l'examen de la demande par l'OFPRA.[83] En cas de décision négative, la personne peut être éloignée même si elle a formé un recours devant la CRR.[84]

Le HCR soutient invariablement que tous les recours concernant des demandes d'asile devraient automatiquement être suspensifs: « Du fait des conséquences éventuellement graves d'une détermination erronée en première instance, le recours en cas de décision négative en première instance est inefficace si le demandeur n'est pas autorisé à attendre sur le territoire de l'État Membre le résultat d'une action en appel…».[85] De même, le Réseau UE d'Experts indépendants en matière de droits fondamentaux a relevé «le lien entre l'exigence d'un recours suspensif et le caractère potentiellement irréversible du dommage que causerait la mise à exécution d'une décision d'éloignement adoptée au départ d'une information lacunaire sur la réalité des risques encourus dans le pays de renvoi».[86]  

L'OFPRA peut accorder une «protection subsidiaire» pour une période d'un an renouvelable à toute personne qui ne remplit pas toutes les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mais qui est exposée, dans son pays, à une menace grave, à savoir la peine de mort, la torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou «s'agissant d'un civil, [à] une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international».[87] Mais l'OFPRA peut refuser ou mettre fin à ce statut de protection subsidiaire dans les cas où la présence de la personne sur le territoire français est considérée comme une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'État.[88]Même lorsque le statut de protection a été annulé pour les raisons susmentionnées, la France est tenue, aux termes du droit international des droits humains, de ne renvoyer aucune personne vers un pays où elle risque d'être soumise à la torture ou à des mauvais traitements interdits (voir plus loin).[89]

IV. Protection contre le renvoi lorsqu'il existe un risque de torture

Il règne un concept de précaution.  Les juges ont peur de commettre des erreurs dans les affaires de terrorisme. [Ils pensent] que c'est moins grave d'expulser et que quelque chose arrive là-bas que de ne pas expulser et qu'ensuite, quelque chose arrive ici.
-Jacques Debray, avocat[90]

Les pays vers lesquels la France renvoie par la force les personnes soupçonnées de terrorisme ont généralement pour points communs une législation antiterroriste draconienne, des dispositions insuffisantes en matière de procès équitable et un piètre bilan sur le plan de la torture. Human Rights Watch est au courant de renvois de la France vers le Maroc, la Tunisie et la Turquie, mais la vaste majorité des personnes éloignées de France pour des raisons de sécurité nationale sont renvoyées en Algérie. Un passé jalonné de menaces et d'attentats réels attribués aux réseaux algériens en France, une importante présence de ressortissants algériens résidant en France et la relation spéciale-voire tourmentée-entre les deux pays en raison de l'histoire coloniale qu'ils partagent expliquent cette prédominance.

En dépit de la considérable amélioration sur le plan de la sécurité générale en Algérie, les preuves ne manquent pas qui semblent indiquer que les terroristes présumés y sont particulièrement exposés au risque de torture et de mauvais traitements. Dans un rapport d'avril 2006 intitulé «Des pouvoirs illimités», Amnesty International décrit des dizaines de cas de torture et de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (mauvais traitements) à l'encontre de personnes détenues par le Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), sur présomption d'implication dans une activité terroriste.[91]

Le DRS, une unité des services de renseignement de l'armée qui, tout au long des années 1990, s'est rendue responsable d'actes de torture systématiques et généralisés, d'exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées, est aujourd'hui, aux dires de tous, spécialisé dans la fourniture de renseignements en rapport avec la lutte contre le terrorisme. Sur la base des dizaines de cas de torture et de mauvais traitements recueillis par Amnesty International entre 2002 et 2006, il y a lieu de penser que le DRS a l'habitude d'arrêter et de maintenir au secret, dans des endroits clandestins, les personnes soupçonnées de terrorisme, sans qu'elles aient accès à un avocat ou le droit de communiquer avec leurs familles. Dans ces conditions, ces personnes risquent tout particulièrement d'être soumises à la torture et aux mauvais traitements. Selon Amnesty International, les formes de torture le plus fréquemment citées sont les coups, les décharges électriques ainsi que le «chiffon», méthode qui consiste à «attacher la victime à un banc et à la forcer à avaler de grandes quantités d'eau sale, d'urine ou de produits chimiques au moyen d'un morceau de tissu imbibé de ces substances et enfoncé dans sa bouche».[92] Une loi d'amnistie adoptée en 2006 a ratifié l'impunité pour les exactions commises par les forces de sécurité algériennes, y compris le DRS.[93]

Les États-Unis n'ont renvoyé aucun ressortissant algérien actuellement en détention à Guantanamo Bay. Dans certains cas tout au moins, la raison en est le risque de torture. Dans ces cas, le gouvernement américain  semble chercher des solutions dans des pays tiers. Par exemple, Fethi Boucetta, un ressortissant algérien, a été libéré de Guantanamo le 17 novembre 2006 et envoyé en Albanie.

 

Des garanties procédurales insuffisantes

Aux termes du droit national et international, avant de procéder à un éloignement, les autorités françaises ont clairement l'obligation d'examiner la situation en détail afin de s'assurer qu'une personne ne risque pas d'être soumise à la torture ou à des mauvais traitements lors de son renvoi. Bien que de prime abord, les divers types de recours dont disposent les personnes faisant l'objet d'une interdiction du territoire français semblent satisfaire à l'exigence de protections adéquates, tel n'est pas le cas dans la pratique. Le fait qu'il n'existe pas de recours automatiquement suspensif et l'usage abusif de la procédure accélérée créent une situation où les personnes confrontées à l'éloignement n'ont pas accès à un recours effectif.

Le droit international interdit le renvoi, l'éloignement ou l'extradition d'une personne lorsqu'il existe un risque de torture ou de mauvais traitements. L'article 3 de la Convention de l'ONU contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants stipule ce qui suit:

Aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture… Pour déterminer s'il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l'existence, dans l'État intéressé, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives.[94]

L'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme stipule que «Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants».[95] La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) n'a cessé d'affirmer invariablement que l'interdiction s'étend au fait d'exposer les personnes à un risque réel de torture ou de mauvais traitements et que l'interdiction du refoulement s'inscrit clairement dans l'interdiction générale et absolue de la torture. Dans sa décision de 1989 dans l'affaire Soering c. Royaume-Uni, la Cour a fermement établi son interprétation de l'article 3 comme une interdiction durefoulement :

Un État contractant se conduirait d'une manière incompatible avec les valeurs sous-jacentes à la Convention, ce «patrimoine commun d'idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit» auquel se réfère le Préambule, s'il remettait consciemment un fugitif - pour odieux que puisse être le crime reproché - à un autre État où il existe des motifs sérieux de penser qu'un danger de torture menace l'intéressé.[96]

La protection absolue contre le refoulement s'applique à toute personne en tout temps, indépendamment de la nature des crimes présumés ou prouvés ou des menaces contre la sécurité nationale. La Cour a défini la norme européenne actuelle dans une affaire qui remonte à 1996 et qui a fait date, Chahal c. Royaume-Uni :

La Cour est parfaitement consciente des énormes difficultés que rencontrent à notre époque les États pour protéger leur population de la violence terroriste.  Cependant, même en tenant compte de ces facteurs, la Convention prohibe en termes absolus la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les agissements de la victime… L'interdiction des mauvais traitements énoncée à l'article 3 (art. 3) est tout aussi absolue en matière d'expulsion... Dans ces conditions, les agissements de la personne considérée, aussi indésirables ou dangereux soient-ils, ne sauraient entrer en ligne de compte.[97] 

De même, la législation nationale française interdit explicitement le refoulement. Le CESEDA dispose qu' «un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales».[98]

Le test déterminant au regard de l'obligation de non-refoulement est la mise en place de procédures et protections appropriées qui permettent un examen approfondi, réalisé en toute bonne foi, du risque de torture et de mauvais traitements interdits en cas de renvoi. Ce qui est en jeu ici, c'est l'existence d'un risque de torture et non de la certitude qu'il y aura torture. Un État peut violer l'article 3 même si une personne refoulée n'a pas été soumise à la torture ou à des mauvais traitements mais que les autorités savaient ou auraient dû savoir qu'il existait une chance raisonnable que la personne puisse être torturée en cas de renvoi.

Absence d'un recours automatiquement suspensif

Comment mon mari  peut-il se défendre s'il n'est pas ici?
-Dilek D., épouse d'un expulsé[99]

Nous avons constaté plus haut que la législation française ne prévoit pas la suspension automatique d'un arrêté d'expulsion ou d'une décision fixant le pays de destination lors d'un recours. La personne concernée doit plutôt former un ou les deux recours en référé conçus pour permettre à un juge de surseoir à l'exécution de l'arrêté d'expulsion alors que le tribunal administratif examine l'appel sur le fond. Jusqu'à ce que le juge ait statué, le gouvernement est libre d'expulser, même dans les cas où la personne invoque un risque de torture en cas de renvoi.

Dans le cas de Nacer Hamani, détaillé plus loin, le gouvernement a effectivement cherché à expulser quelqu'un en ferry à destination de l'Algérie après qu'il eut formé un référé-liberté aux motifs qu'il risquait d'être torturé ou soumis à des mauvais traitements. La mobilisation organisée contre l'expulsion par des groupements locaux de défense des droits des migrants ainsi que le mouvement de protestation du syndicat des travailleurs portuaires ont retardé le départ du bateau suffisamment longtemps pour que le juge des référés surseoie à l'expulsion.

Plusieurs sources ont confié à Human Rights Watch que les juges administratifs considéraient avec énormément de suspicion les requêtes motivées par la crainte de tortures.  Lucile Hugon, chargée de mission Asile à l'ACAT-France (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture), a expliqué que les avocats avaient tendance à éviter d'introduire des requêtes liées à la torture car les tribunaux administratifs se montraient «très réticents» à propos de l'article 3 de la Convention européenne.[100] Deux juges du tribunal administratif de Paris ont confirmé ce point de vue.[101] Selon le Juge Stéphane Julinet, «le juge administratif a du mal à juger sur le risque… il y a une mauvaise connaissance sur les situations dans certains pays…le juge va se réfugier dans les décisions de l'OFPRA et de la CRR».[102] Les recours basés sur le droit à la vie familiale, analysés plus loin dans le présent rapport, sont «mieux connus et plus faciles pour les juges», a-t-il ajouté.[103]

Comme il est noté plus haut au Chapitre III, alors que les demandes d'asile présentées à l'OFPRA ont un effet suspensif, les recours contre les décisions négatives de cet organisme ne sont pas suspensives dans les cas impliquant des menaces pour la sécurité nationale, et les personnes peuvent être éloignées pendant que la CRR examine ce recours.

Human Rights Watch comprend le principe général de droit administratif français selon lequel les recours contre les actes administratifs ne devraient pas être suspensifs, la logique étant qu'une seule personne ne devrait pas être habilitée à bloquer les arrêtés administratifs pris dans l'intérêt public.[104] Nous estimons néanmoins que le système de recours à plusieurs niveaux pour suspendre les éloignements ne fournit pas de protections suffisantes contre ce qui pourrait être un mal irréparable, et qu'il ne répond pas à l'obligation qui incombe à la France d'offrir un recours effectif contre l'éloignement lorsqu'il existe un risque de torture.

Le droit à un recours effectif est un droit humain fondamental ainsi qu'un principe élémentaire de droit. Ce droit, garanti à l'article 13 de la Convention européenne, exige que les États créent des mécanismes appropriés pour les personnes qui cherchent rectification et réparation lorsqu'elles peuvent valablement soutenir que l'un de leurs droits a été violé. La Cour européenne des droits de l'homme examine les cas relatifs aux questions de l'immigration et de l'asile à travers le prisme du droit à un recours effectif,[105] et elle est d'avis que ce droit impose aux États l'obligation de prévoir des procédures contradictoires avec des protections procédurales suffisantes devant un organe indépendant et impartial.[106]

La Cour européenne des droits de l'homme attache une importance particulière au besoin de recours effectifs, et spécialement de recours suspensifs, dans les cas où les personnes sont susceptibles d'être exposées à un risque de torture lors de leur éloignement parce que «toute bonne administration de la justice implique que ne soient pas accomplis, tant qu'une procédure est en cours, des actes de caractère irréparable».[107] Dans l'affaire Conka c. Belgique, par exemple, la Cour a estimé que la Belgique avait violé l'article 13 de la Convention car la législation nationale permettait aux autorités de procéder à une expulsion alors qu'appel avait été interjeté. La Cour a affirmé ce qui suit:

D'abord, l'on ne saurait exclure que, dans un système où la suspension est accordée sur demande, au cas par cas, elle puisse être refusée à tort, notamment s'il devait s'avérer ultérieurement que l'instance statuant au fond doive quand même annuler une décision d'expulsion pour non-respect de la Convention, par exemple parce que l'intéressé aurait subi des mauvais traitements dans le pays de destination…
Ensuite, quand bien même ce risque d'erreur serait négligeable en pratique…, il convient de souligner que les exigences de l'article 13, tout comme celles des autres dispositions de la Convention, sont de l'ordre de la garantie, et non du simple bon vouloir ou de l'arrangement pratique.[108]

La Cour a réaffirmé l'importance d'un recours suspensif dans sa décision d'avril 2007 dans l'Affaire Gebremedhin c. France. Asebeha Gebremedhin était un demandeur d'asile érythréen qui avait été placé en détention dans la «zone internationale d'attente» de l'aéroport  Charles de Gaulle, en périphérie parisienne, lors de son arrivée le 29 juin 2005. Le 5 juillet, l'OFPRA avait rejeté sa demande d'accès officiel au territoire français présentée au titre de l'asile, et le Ministère de l'Intérieur lui avait refusé l'admission en France et avait ordonné qu'il soit réacheminé en Erythrée ou envoyé vers un pays tiers le lendemain. La Cour a estimé que la France avait violé l'article 13 conjointement avec l'article 3 car aucun des recours dont disposait Gebremedhin contre ces décisions n'avait d'effet suspensif. La Cour a relevé que la saisine en référé du tribunal administratif n'était pas suspensive et elle a marqué son accord avec le requérant quant au fait qu'une «pratique» de suspension de l'expulsion jusqu'à ce qu'il soit statué sur les demandes en référé «ne saurait se substituer à la garantie procédurale fondamentale d'un recours suspensif».[109] Aux yeux de la Cour, «l'article 13 exige que l'intéressé ait accès à un recours de plein droit suspensif».[110]

Le Comité de l'ONU contre la torture (CCT), qui supervise le respect de la Convention contre la torture et statue sur des plaintes déposées par des particuliers à l'encontre d'États membres, insiste sur le fait que le recours contre le refoulement requiert «qu'il soit possible de procéder à un examen effectif, indépendant et impartial de la décision d'expulsion ou de renvoi».[111] Dans une décision prise en 2005, le Comité a estimé que la France avait violé l'obligation qui lui incombait aux termes de la Convention contre la torture lorsqu'en septembre 2002, elle a expulsé Mahfoud Brada vers l'Algérie alors qu'il avait interjeté appel devant la Cour administrative d'appel de Bordeaux.[112] En décembre 2001, le CCT avait demandé de surseoir à l'exécution de l'arrêté d'expulsion et il avait réitéré sa demande en septembre 2002, peu avant l'expulsion de Brada. Brada-qui, en tant que pilote de la force aérienne, avait été emprisonné et torturé pendant trois mois dans un brick militaire en Algérie après avoir refusé de bombarder des zones civiles-a disparu pendant un an et demi suite à son expulsion vers l'Algérie. Il a par la suite affirmé avoir été détenu dans différents endroits par les services secrets algériens et avoir subi de graves tortures.

Dans son jugement, le Comité a souligné que les autorités françaises avaient ou auraient dû avoir connaissance du fait que le recours introduit par Brada et toujours en instance contenait des arguments supplémentaires contre son expulsion, lesquels auraient dû faire l'objet d'un réexamen judiciaire à la date à laquelle il a été expulsé.[113] La conclusion du Comité était que :

le fait d'exécuter la mesure d'expulsion rendait le recours en annulation sans intérêt dès lors qu'il vidait de son sens l'effet qu'il tendait à accomplir… le recours en annulation était si intrinsèquement lié au but d'empêcher l'expulsion, et donc à une mesure de suspension de l'arrêté d'expulsion, qu'il ne pouvait être considéré comme une voie de recours efficace si la mesure d'expulsion était exécutée avant qu'il n'aboutisse.[114] 

Le Comité a protesté contre l'inobservation par la France de sa demande de mesures provisoires de protection, déclarant que cela avait rendu l'action du CCT «sans objet» et l'expression de ses constatations «sans valeur».[115] Il a estimé que la France avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 22 de la Convention reconnaissant la compétence du CCT et établissant le système d'examen de plaintes émanant de particuliers.[116] Selon le gouvernement français, c'était la première fois qu'il ne tenait pas compte des demandes du Comité pour surseoir à un éloignement.[117] Ce ne serait pas la dernière.

En août 2006, les autorités françaises ont expulsé le Tunisien Adel Tebourski vers la Tunisie en dépit de la demande du Comité de surseoir à l'exécution de l'arrêté d'expulsion (voir plus loin une description circonstanciée de ce cas).   Le 11 mai, alors que le présent rapport était sur le point d'être bouclé, le CCT a conclu que la France avait violé l'article 3 de la Convention contre la torture dans l'affaire Tebourski.  Dans les observations adressées au Comité dans l'affaire Brada, le gouvernement français faisait valoir qu'à ses yeux, le Comité n'avait pas le pouvoir de prendre des mesures contraignantes pour les États membres et que si, jusqu'à présent, la France avait toujours coopéré avec les demandes de mesures provisoires de protection, elle l'avait fait de bonne foi et non pour observer ce qui devait être considéré comme une obligation légale.[118] Dans ce cas précis comme dans d'autres, le CCT a souligné que la ratification de la Convention et la reconnaissance de la compétence du CCT pour examiner des plaintes individuelles en vertu de l'article 22 imposaient l'obligation de coopérer pleinement avec le Comité.[119] 

Études de cas

Nacer Hamani

Nacer Hamani, âgé de 41ans, a quitté l'Algérie pour la France alors qu'il avait 13 ans. En 1989, il s'est marié et est aujourd'hui père de trois enfants. En 1999, il a été condamné en dernière instance à huit ans de prison et frappé d'une interdiction définitive du territoire français pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste soutenant le GIA. Le 2 octobre 2001, soit quatre jours avant qu'Hamani ne soit libéré de prison après avoir purgé sa peine, le préfet local a pris un arrêté fixant l'Algérie comme pays de renvoi. Le 6 octobre, Hamani a été transféré de la prison au centre de rétention Saint-Exupéry à Lyon, dans l'attente de son éloignement. Le 8 octobre, son avocat a saisi le tribunal administratif de Lyon d'un référé-liberté, alléguant que l'éloignement d'Hamani l'exposerait à un risque de torture ou de mauvais traitements.

Le lendemain après-midi, 9 octobre 2001, Nacer Hamani a été emmené sous haute surveillance au port de Marseille et embarqué à bord d'un bateau répondant au nom quelque peu ironique de Liberté.  Le personnel portuaire a commencé à avoir des soupçons lorsqu'un important convoi de véhicules a contourné les contrôles de sécurité habituellement très stricts. Les investigations menées par le personnel du port, conjuguées aux protestations des militants locaux de la CIMADE, organisation de défense des droits des migrants et fer de lance du mouvement contre la double peine, ont retardé le départ du bateau. Le Liberté était encore amarré lorsque la nouvelle est arrivée que le juge des référés avait, cet après-midi, suspendu l'expulsion jusqu'à ce qu'une audience complète puisse se tenir le 12 octobre.

A l'époque, Hamani a été cité dans un quotidien,expliquant: «J'étais dans la cellule du bateau. Quand ils ont ouvert, je pensais que j'étais en Algérie, j'étais en train de faire mes prières... Mais c'étaient les mêmes policiers».[120]

Lors de l'audience complète tenue trois jours plus tard, le juge des référés a confirmé la suspension jusqu'à ce que le tribunal puisse statuer sur le fond. Le juge estimait qu'Hamani risquait d'être torturé en raison de sa condamnation antérieure et de son appartenance connue au GIA. Plusieurs organisations françaises de défense des droits humains, notamment la CIMADE, la Ligue des Droits de l'Homme et DiverCité, une association de terrain oeuvrant dans les banlieues de Lyon, ont présenté des documents appuyant la suspension.

 

Le gouvernement français a immédiatement fait appel de la décision et le Conseil d'État a convoqué une session d'urgence le dimanche 14 octobre 2001, à laquelle toutes les parties étaient présentes. Le lendemain, le Conseil d'État a statué comme suit: «Considérant que M. Hamani… vit en France depuis qu'il a atteint l'âge de treize ans [et] n'allègue pas avoir eu d'activité politique ou militante… en Algérie ou en liaison avec l'Algérie… il n'en résulte pas qu'il serait exposé à des risques de la nature» mentionnée à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.[121]  Un représentant de la CIMADE a relevé qu' « on le traite comme un islamiste quand il s'agit de le condamner… et on affirme que ce n'est pas un islamiste quand il s'agit de l'expulser».[122]

Après avoir appris qu'on l'avait emmené hors du centre de rétention où il était détenu en attente de son expulsion, la famille et les amis d'Hamani se sont rassemblés dans le port pour le voir au moment de son embarquement à bord du même bateau, le Liberté, l'après-midi du 16 octobre. Ils ont finalement appris qu'il avait déjà été transféré à Alger, par avion, plus tôt dans la journée. A son arrivée, Hamani a été placé en détention dans un endroit secret pendant 11 jours. Son avocate a déclaré qu'il lui avait dit ne plus vouloir avoir de contact avec elle et il lui avait demandé de se désister de toute action en justice en son nom. Les efforts de Human Rights Watch pour le contacter sont restés vains.

Adel Tebourski

Adel Tebourski est né en Tunisie en 1963. Il a d'abord émigré en Belgique en 1985 avant de s'établir ensuite en France, où il a épousé une ressortissante française en 1995, avec laquelle il a eu un fils en 1996; il a lui-même acquis la nationalité française en 2000. En novembre 2001, Tebourski a été arrêté en rapport avec l'assassinat d'Ahmed Shah Massoud le 9 septembre 2001 en Afghanistan.[123] Il a été accusé d'avoir fourni un soutien logistique aux deux hommes qui ont perpétré l'assassinat (et sont morts en même temps que leur victime). En mai 2005, il a été reconnu coupable d'association de malfaiteurs et condamné à six ans de prison.

Il était prévu que Tebourski soit libéré de la prison de Nantes le 22 juillet 2006. Selon l'intéressé, il attendait avec impatience de pouvoir passer du temps avec son fils et de terminer un livre qu'il écrivait. Mais la veille de sa libération, le 21 juillet, tout a changé lorsqu'il a officiellement été déchu de sa nationalité française.  Le lendemain, 22 juillet, le Ministère de l'Intérieur a émis un arrêté d'expulsion invoquant l'urgence absolue ainsi qu'une décision fixant la Tunisie comme pays de destination.  Au lieu de recouvrer la liberté, Tebourski a été transféré de sa cellule de prison vers un centre de rétention dans l'attente de son expulsion.

Tebourski a demandé l'asile le 21 juillet, jour où il a appris qu'il avait été déchu de sa nationalité française. Deux organisations non gouvernementales, la CIMADE et ACAT-France, ont introduit une requête au nom de Tebourski auprès du Comité des Nations Unies contre la torture, demandant une injonction pour empêcher l'expulsion. Dans une lettre datée du 27 juillet, le CCT a informé les deux organisations que le Comité avait demandé à la France de fournir des informations sur l'affaire en question et de s'abstenir d'expulser Tebourski jusqu'à ce que le Comité ait examiné le dossier sur le fond. D'autres organisations, telles que la section française d'Amnesty International, la FIDH et la Ligue des Droits de l'Homme ont présenté des documents pour fournir des preuves sur le risque de persécution, y compris de torture, auquel serait exposé Tebourski s'il venait à être renvoyé.

L'OFPRA a rejeté la demande d'asile de Tebourski le 28 juillet, signalant que sa crainte d'être persécuté en Tunisie était mal fondée, étant donné qu'il avait quitté ce pays il y a longtemps, ne semblait pas s'être engagé dans des activités importantes contre les autorités tunisiennes, et n'avait pas prouvé qu'il risquait d'être persécuté pour des activités commises en dehors de ce pays. La décision a été notifiée à Tebourski le 1er août; le jour même, il a été emmené au consulat de Tunisie pour recevoir un laissez-passer. Son avocat a introduit un recours devant la Commission des recours des réfugiés (CRR) mais (comme expliqué précédemment au chapitre III), ce type de recours n'est pas suspensif dans les cas où la sécurité nationale est en jeu.

Le 7 août, Tebourski a été embarqué de force dans un avion à destination de Tunis. Accompagné de trois gendarmes français, il a été menotté et mis aux fers, et attaché à son siège à l'aide de sangles velcro à hauteur de la poitrine et des cuisses jusqu'à ce que le vol soit déjà bien avancé.[124] A son arrivée à Tunis, il n'a pas été arrêté ni interrogé.

Le 17 octobre 2006, deux mois après que Tebourski eut été expulsé en Tunisie, la CRR a reconnu que la crainte de Tebourski d'être persécuté était bien fondée au sens de la Convention relative au statut des réfugiés, étant donné que «l'ensemble de son action est de nature à conduire les autorités tunisiennes à la considérer comme une manifestation d'opposition politique…» et que sa crainte d'être jugé en vertu de la législation antiterroriste tunisienne pour les mêmes actes que ceux qui avaient conduit à sa condamnation en France était légitime. La conclusion de la CRR était que «le fait qu'… il est resté en liberté mais a été placé sous une surveillance policière ostentatoire, sans être arrêté, doit être regardé comme traduisant la volonté des autorités tunisiennes de dissimuler leurs intentions réelles à son égard».[125]

La décision de la CRR a rejeté la demande d'asile de Tebourski en vertu de l'article 1F(c) de la Convention relative au statut des réfugiés, lequel exclut de protection toute personne dont il est établi qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, y compris de terrorisme. Cette décision, bien qu'elle ait refusé à Tebourski le statut de réfugié, aurait néanmoins requis que les autorités françaises s'abstiennent de l'expulser vers la Tunisie en raison de l'interdiction absolue de renvoyer quelqu'un dans un pays où cette personne risque d'être soumise à la torture. Si elle était tombée alors que   Tebourski se trouvait encore en France, le gouvernement français aurait dû soit annuler l'arrêté d'expulsion, soit ne pas l'exécuter jusqu'à ce qu'un pays tiers disposé à l'accepter ait pu être identifié.

Usage abusif de la procédure accélérée

Comme expliqué plus haut au Chapitre III, le ministre de l'intérieur peut accélérer les expulsions administratives en invoquant «l'urgence absolue» et ce faisant, il peut éviter la consultation d'une commission d'expulsion.

La procédure accélérée a été créée pour répondre à des situations dans lesquelles le caractère urgent que semble présenter l'expulsion fait que le temps manque pour convoquer la commission. La commission doit convoquer tous les participants 15 jours avant une audience. En ce qui concerne l'utilisation de «l'urgence absolue», la jurisprudence du Conseil d'État charge le gouvernement de prouver l'existence d'une telle urgence, et exige du juge administratif qu'il tienne compte, entre autres, du temps écoulé entre le moment où le Ministère de l'Intérieur a eu connaissance des actes présumés donnant lieu à l'arrêté d'expulsion et la date de l'arrêté d'expulsion.[126] La jurisprudence du Conseil d'État a également établi que la libération de prison imminente d'un étranger dont la «dangerosité est manifeste» justifie le recours à «l'urgence absolue».[127]

Plusieurs cas examinés par Human Rights Watch font craindre que le recours à la procédure accélérée soit davantage une question d'opportunisme qu'un réel besoin.

Samir Korchi, un Marocain de 32 ans qui s'est établi en France avec sa famille dans les années 1980, a été condamné, en décembre 2004, à quatre ans de prison pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Il n'a pas fait l'objet d'une interdiction du territoire français mais six semaines avant la date prévue de sa libération, le 28 février 2005, la préfecture de Paris a pris un arrêté préfectoral d'expulsion et la commission d'expulsion a été chargée d'examiner le cas de Korchi le 19 avril 2005. Toutefois, le 12 avril, deux jours seulement avant que Korchi ne soit libéré de prison, le ministre de l'intérieur a émis son propre arrêté ministériel d'expulsion, invoquant l'urgence absolue et la nécessité impérieuse de protéger la sécurité du public et la sûreté de l'État. Korchi a été libéré de prison le 14 avril mais il a été immédiatement mis en détention administrative et placé dans un centre de rétention dans l'attente de son expulsion. Il a été expulsé vers Casablanca, au Maroc, le lendemain.

Chellali Benchellali, un imam algérien de 62 ans vivant à l'époque à Vénissieux, a été placé en garde à vue le 6 janvier 2004, sur présomption d'appartenance à une association de malfaiteurs en vue de perpétrer un crime terroriste. Le 8 janvier, alors que Benchellali était encore en garde à vue à la police, le Ministère de l'Intérieur a pris un arrêté d'expulsion en urgence absolue.  Benchellali a été placé en détention provisoire le 12 janvier et a finalement été reconnu coupable et condamné à deux ans de prison le 14 juin 2006 (six mois de prison ferme et 18 mois avec sursis). Il a été expulsé le 7 septembre 2006.

Dans ce cas, le gouvernement a avancé que la libération imminente de Benchellali à la fin de sa garde à vue justifiait la procédure d'urgence puisqu'au moment de l'arrêté administratif d'expulsion, rien ne garantissait que Benchellali serait placé en détention provisoire. Or, les rapports des services de renseignement appuyant les arguments du gouvernement datent de juillet 2003 et novembre 2003, soit au minimum 44 jours et au maximum cinq mois avant l'arrêté ministériel d'expulsion. L'avocat de Benchellali a relevé dans son dossier que «l'inertie de l'administration durant ce délai…démontre inévitablement l'absence d'urgence absolue…».[128] Le cas de Benchellali est analysé en détail plus loin (Chapitre V).

Abdullah Cam, un citoyen turc de 43 ans vivant en France depuis 1986, a été arrêté le 6 septembre 2005, devant chez lui dans la banlieue de Lyon, alors qu'il emmenait son jeune enfant à l'école. Il a été expulsé le lendemain. Le Ministère de l'Intérieur avait pris un arrêté d'expulsion le 26 août 2005 mais le préfet local n'a agi que deux semaines plus tard.[129] Le rapport des services de renseignement, daté du 1er juillet 2005 et résumant les arguments du gouvernement contre Cam, dresse une longue liste de chefs d'inculpation à son encontre, dont la majorité datent du milieu des années 1990. L'acte le plus récent-participation à une réunion clandestine de Kaplanites[130] en Allemagne-datait du 18 juin 2005, presque deux mois et demi avant l'émission de l'arrêté d'expulsion. Dans ce cas, qui est analysé plus amplement au Chapitre V, l'expulsion a été à ce point rapide que l'avocat de Cam n'a pu présenter de recours que la veille du jour où son client a été expulsé.

Renvois vers l'Algérie

Le chercheur de Human Rights Watch n'a pas pu obtenir de visa pour se rendre en Algérie afin d'y mener des recherches en vue de l'élaboration du présent rapport.[131] En remplacement, en novembre 2006, un consultant de Human Rights Watch a réalisé des entretiens en Algérie auprès de 12 ressortissants algériens interdits de territoire français. Les entretiens ont confirmé que les terroristes présumés renvoyés en Algérie risquaient d'être arrêtés par le Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS).

Sur les 12 personnes interrogées, huit ont été placées en détention lors de leur retour en Algérie, pendant des périodes allant de quatre à 12 jours.[132] Parmi celles-ci, cinq étaient aux mains du DRS, mais une seule a été en mesure d'identifier l'endroit où elle avait été détenue (la caserne militaire de Ben Aknoun). Un sixième homme a déclaré avoir été détenu par la «police judiciaire» à la caserne militaire de Chateauneuf. Parce que le DRS est habilité par la loi algérienne à exercer les fonctions de la police judiciaire, il est possible que cet homme aussi ait été aux mains du DRS. Les deux expulsés restants ont été détenus au commissariat central de la police à Alger. A l'exception d'Abdelkader Bouziane, un imam expulsé par arrêté ministériel, tous les interrogés ont été frappés d'une interdiction du territoire français suite à des condamnations pour appartenance à ou association avec un réseau terroriste. Ils avaient purgé des peines d'emprisonnement en France allant de un à six ans.[133] Bien qu'aucun de ces hommes n'ait déclaré avoir subi de mauvais traitements lors de leur retour, ils ont passé des jours et des nuits dans l'incertitude, et dans certains cas, ils ont été soumis sans relâche à des interrogatoires.

Mehdi E., un ressortissant algérien de 46 ans, né en France et y ayant vécu toute sa vie, a été embarqué de force dans un bateau à destination d'Alger le 25 février 2005. A son arrivée, Mehdi a été emmené par le DRS dans un endroit inconnu. Il y a été interrogé et détenu pendant 10 jours.[134] Son épouse, Nejla, a confié qu'elle avait développé un ulcère suite au stress émotionnel ressenti à ce moment-là: «Quand il a été expulsé, je suis allée voir des sites Internet et j'ai vu ce qui arrivait aux gens en Algérie et j'ai eu très peur».[135]

Driss Saiad, 41ans, a été placé pendant 18 jours dans un centre de rétention dans l'attente de son expulsion, avant d'être emmené en avion à destination d'Alger le 26 mars 2006. A son arrivée, il a été incarcéré à la caserne militaire de Ben Aknoun pendant 12 jours, au cours desquels son épouse et ses enfants (deux avec sa femme actuelle et deux d'un précédent mariage) n'avaient aucune information quant à l'endroit où il se trouvait.[136]

Hazim S., 42 ans, a été arrêté et envoyé à Alger par avion le 11 décembre 2002. Hazim a été arrêté à son arrivée. «Les services de police algérienne m'ont conduit vers un centre de détention inconnu où j'ai passé 8 jours sans que personne, ni l'avocat ni ma femme ni mes parents en Algérie, ne sache où je me trouvais. Le 18 décembre 2002, vers 19 h, ils m'ont libéré et déposé au niveau de l'autoroute tout près de chez moi».[137]

Khelif Zoubir, 52 ans, a été expulsé vers Alger par bateau le 28 juin 2006. Il a raconté à Human Rights Watch qu'il avait été incarcéré pendant quatre jours par la police judiciaire algérienne à la caserne militaire de Chateauneuf.[138]

Abdelkader Bouziane, 54 ans, a été envoyé par avion en Algérie le 21 avril 2004. A l'aéroport d'Alger, on l'a fait monter dans une camionnette et conduit dans un lieu inconnu où il a été détenu pendant sept jours pour interrogatoire. Pendant ce temps, sa famille n'avait aucune idée de l'endroit où il se trouvait et il était interdit à Bouziane d'utiliser le téléphone.[139]

Mohamed Touam, 50 ans, a été expulsé en octobre 2001. Il a été incarcéré pendant huit jours au commissariat central de la police à Alger. «On m'a interrogé de jour et de nuit», a-t-il confié à Human Rights Watch.[140] Touam a expliqué qu'il souffrait d'hypertension des suites de cette expérience. «J'étais en isolement tout le temps. Ils m'interrogeaient jusqu'à 9 heures du soir par exemple et puis ils venaient me réveiller à 2 ou 3 heures du matin pour m'interroger encore. Ils disaient: 'Vois ce qu'on doit faire pour te faire parler'», a raconté Touam.[141]

Plusieurs ont dénoncé des mauvais traitements infligés par les policiers français au moment de l'arrestation ou pendant le voyage. Hazim S. a été appréhendé devant la garderie de son fils et placé en détention dans l'attente de son éloignement :   

Ils m'ont mis dans leur voiture les mains menottées sous le regard de ma femme [et] mon fils.  En arrivant à la préfecture de Paris, un agent est venu me dire que «c'est fini pour moi et que je suis indésirable en France».  Au lendemain… les mêmes agents sont venus me récupérer dans ma cellule et quand j'ai demandé vers quelle destination je serais conduit, ils m'ont répondu, c'est vers le centre de rétention de Vincennes, mais en vérité, ils m'ont entraîné vers l'aéroport militaire du Bourget où un avion spécial m'attendait. J'ai montré une certaine résistance, ils ont utilisé la force et ils ont réussi à me faire pénétrer dans l'avion… nous avons décollé vers une destination inconnue… pendant tout le trajet les mains et les pieds étaient attachés, sans boire et sans manger. Quand j'ai vu les agents des renseignements généraux en train de rigoler, j'ai compris que la destination était bien l'Algérie.[142] 

En ce qui concerne Mehdi E., on l'a fait sortir de sa cellule de prison à 5 heures du matin, on lui a mis une camisole de force et on l'a conduit à Marseille, où on l'a «jeté dans une cellule» sur un bateau à destination d'Alger.[143]

V. Le droit à la liberté d'expression

Nous ne garderons pas sur notre territoire des gens qui tiennent des propos qui sont des appels à la haine, à la violence et au non respect des valeurs démocratiques. Ils quitteront le territoire. Et ils le quitteront rapidement.
-Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l'Intérieur[144]

La France a fait les gros titres de l'actualité internationale ces dernières années avec son attitude intransigeante à l'égard de ceux que les autorités qualifient de «prêcheurs de haine». Il est difficile de déterminer clairement combien d'imams ou de dirigeants religieux associés à des mosquées ou des salles de prière ont vraiment été expulsés. Le problème vient en partie du fait que les déclarations des politiciens et les reportages de la presse tendent à parler d'expulsions de «radicaux islamistes», faisant l'amalgame entre ceux qui ont été expulsés en vertu d'une interdiction du territoire suite à une condamnation liée au terrorisme et ceux que les services de renseignement ont identifiés comme prêchant une forme radicale d'islam et qui ont ensuite été expulsés en vertu d'un arrêté administratif. En septembre 2006, l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) de la police a rapporté que depuis le 11 septembre 2001,  71 «fondamentalistes islamiques», dont 15 imams, avaient été expulsés en dehors du cadre des procédures judiciaires (en d'autres termes en vertu d'arrêtés administratifs).[145] En janvier 2007, l'UCLAT a déclaré que la France avait expulsé 17 «activistes islamistes», dont 4 imams, au cours de l'année 2006.[146]

Au moment où ont été rédigées ces lignes, le gouvernement français n'avait pas répondu à la demande introduite par Human Rights Watch en octobre 2006 pour recevoir des informations concernant le nombre exact de résidents en situation régulière en France expulsés pour incitation à la discrimination, à la haine, ou à la violence. Human Rights Watch a connaissance de huit cas depuis 2003 : Larbi Moulaye, algérien, expulsé en octobre 2003; Orhan Arslan, turc, expulsé en janvier 2004; Omer Ozturk, turc, expulsé en février 2004; Abdelkader Yahia Cherif, algérien, expulsé en avril 2004; Abdelkader Bouziane, algérien, expulsé en avril 2004 et à nouveau en octobre 2004; Midhat Guler, turc, expulsé en mai 2004; Abdullah Cam, turc, expulsé en septembre 2005; et Chellali Benchellali, algérien, expulsé en septembre 2006.[147] Yashar Ali, un imam irakien bénéficiant du statut de réfugié en France depuis 1983, a été assigné à résidence en 2004 parce qu'il ne pouvait pas être expulsé.

La détermination d'exiler les «prêcheurs radicaux» découle de plusieurs objectifs étroitement liés: promouvoir un islam modéré et marginaliser les représentants de certains mouvements islamiques, en particulier le salafisme;[148] lutter contre la radicalisation et le recrutement pour le terrorisme dans les mosquées et les salles de prière; et faire progresser l'intégration de l'importante population musulmane de France. Ce n'est pas une coïncidence si peu après les premières élections du nouveau Conseil français du Culte musulman (CFCM) en avril 2003, Sarkozy, alors Ministre de l'Intérieur, a averti que «les imams qui tiendraient des propos contraires aux valeurs républicaines seront expulsés».[149] (Le CFCM est abordé plus loin au Chapitre VIII.) L'Union des organisations islamiques de France (UOIF)-l'affilié français des Frères musulmans, un groupe islamique interdit en Egypte-qui préconise un engagement politique basé sur une identité islamique communautariste, a remporté un nombre considérable de sièges au CFCM.[150] A diverses reprises, des responsables publics ont insisté sur le besoin de protéger «les plus jeunes et les plus faibles d'esprit» de ceux qui promeuvent des idéologies séparatistes, discriminatoires ou violentes. L'article de 2004 du CESEDA autorisant l'expulsion d'étrangers pour des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, la haine ou la violence «contre une personne déterminée ou un groupe de personnes» traduit cette détermination.

Les formes d'expression publique qui incitent directement ou indirectement à la discrimination, la haine ou la violence en raison de l'appartenance ethnique, la nationalité, la race, la religion, le sexe, l'orientation sexuelle ou le handicap, ou qui provoquent directement aux actes terroristes ou justifient de tels actes, constituent toutes, en France, des infractions punissables.[151] Les peines vont d'un à cinq ans de prison et elles sont assorties de lourdes amendes; la loi ne prévoit toutefois pas d'interdiction du territoire français comme sanction complémentaire pour ces infractions. Human Rights Watch n'a connaissance que d'un seul cas où un imam a été poursuivi pour incitation à la violence physique (voir plus loin l'analyse du cas d'Abdelkader Bouziane).

Nombre de responsables publics et d'analystes soulignent que le manque de solidarité dont fait preuve le public dans les cas d'expulsions d'imams démontre qu'il existe un consensus national autour du fait que les promoteurs de certaines idées ne sont tout simplement pas les bienvenus en France. Un commentateur a exprimé ce sentiment en ces termes: «Vous êtes un islamiste radical prêchant la haine tous les vendredis? Eh bien! désolé, mais au revoir».[152]

Début avril 2003, IPSOS France, un institut de sondage, a réalisé une enquête téléphonique auprès de 523 musulmans de France, sur une variété de sujets, entre autres sur les «mesures destinées à favoriser l'émergence d'un islam en France». Une écrasante majorité (83 pour cent) des personnes interviewées étaient favorables à la création d'un institut de formation des imams de France afin d'éviter que «des imams étrangers prônant un islam fondamentaliste extrémiste ne viennent en France». Interrogés sur leur sentiment à l'égard d'une interdiction de prêche pour les imams prônant «un islam fondamentaliste extrémiste contraire aux valeurs de la République Française», 55 pour cent des interviewés ont répondu qu'ils étaient favorables à ces mesures, tandis que 39 pour cent ont dit y être opposés.[153]

Comment sont perçues les expulsions au sein de la communauté musulmane de France et comment elles peuvent se révéler contre-productives pour les objectifs du gouvernement français sont des questions qui seront explorées plus loin, au Chapitre VIII.

La liberté d'expression en Europe

Le droit à la liberté d'expression occupe une place particulière dans le droit international des droits humains et dans les sociétés européennes. Consacrée dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l'homme, la liberté d'expression est considérée comme un droit fondamental.[154] L'article 10 de la Convention européenne stipule que toute personne a droit à la liberté d'expression, ce droit comprenant «la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière». La Cour européenne des droits de l'homme estime que la liberté d'expression «constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun».[155] La liberté d'opinion, de pensée et d'expression est fréquemment identifiée par les institutions et les politiciens européens comme une «valeur européenne» primordiale. Cela a été nettement démontré par la défense concertée du droit du journal danois Jyllands-Posten de publier une série de caricatures du Prophète Mahomet, caricatures qui ont déclenché une controverse mondiale et parfois de violentes protestations dans les pays musulmans et ailleurs en février 2006.

En même temps, la liberté d'expression n'est pas un droit absolu: le droit international prévoit expressément des restrictions dans l'intérêt du bien public, de l'ordre public et de la sécurité nationale.[156] Le PIDCP interdit «tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence » et la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR) exige que les Étatsdéclarent délits punissables par la loi toute diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous actes de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés «contre toute race ou tout groupe de personnes d'une autre couleur ou d'une autre origine ethnique».[157] 

En Europe, l'expérience du fascisme et les horreurs de l'Holocauste ont créé une forte sensibilité aux dommages que peuvent réellement infliger les opinions et formes d'expression haineuses et racistes. Plusieurs directives et instruments contraignants de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe traitent la question du discours haineux, et un certain nombre de pays ont des lois spécifiques qui font des propos haineux un délit. Sept pays d'Europe, dont la France, ont fait du déni de l'Holocauste un délit punissable par la loi. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme reflète cette sensibilité. La Cour a affirmé qu' «on peut juger nécessaire, dans les sociétés démocratiques, de sanctionner voire de prévenir toutes les formes d'expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine fondée sur l'intolérance», [158] et elle soutient invariablement que les discours qui nient l'Holocauste ne bénéficient pas de la protection de l'article 10 de la Convention européenne.

La Cour européenne est fréquemment en prise avec la tension qui existe entre d'une part, la liberté d'expression, et d'autre part, le pouvoir des gouvernements de restreindre certaines formes d'expression. Conformément à la jurisprudence de la Cour, l'ingérence légitime dans l'exercice du droit à la liberté d'expression selon le sens qui lui est donné à l'article 10 doit être prescrite par la loi, elle doit poursuivre un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique. Il incombe principalement à la Cour de déterminer si l'ingérence était absolument nécessaire pour répondre à un besoin social impérieux et si elle était proportionnée aux buts légitimes poursuivis. Les autorités nationales doivent fournir des motifs suffisants et pertinents pour justifier l'ingérence.[159]

Afin de déterminer si une ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression était nécessaire et proportionnée, la Cour tient compte d'un certain nombre de critères, notamment l'impact éventuel des déclarations au regard du lieu et de la façon dont elles ont été diffusées; le profil, la position et l'histoire personnelle de l'auteur de ces déclarations; la nature de la cible des critiques; ainsi que le contexte dans lequel les déclarations s'inscrivent.  Le point crucial, néanmoins, est de déterminer si les déclarations ont incité à la violence ou communiqué un message faisant valoir que la violence était nécessaire ou justifiée.

La Cour a donc considéré que l'ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression pourrait se justifier lorsque les propos exprimés «préconisaient l'intensification de la lutte armée, glorifiaient la guerre et énonçaient l'intention de combattre jusqu'à la dernière goutte de sang», dans le contexte d'un conflit en cours,[160] mais elle a statué que même les déclarations apportant un soutien moral à des mouvements terroristes sont protégées par l'article 10 si les autorités sont incapables de fournir des preuves convaincantes que lesdites déclarations pourraient avoir « des conséquences néfastes pour la défense de l'ordre et la prévention du crime».[161] La Cour a estimé que les déclarations exprimant de l'hostilité à l'encontre des autorités nationales, un soutien à des aspirations séparatistes, des critiques virulentes à l'égard de l'action gouvernementale, une condamnation de la démocratie, ou promouvant la charia sont protégées au sens de l'article 10 dans la mesure où elles ne prônent pas directement la violence.[162]

Deux éléments cruciaux d'incitation-l'intention et la causalité-ressortent de la jurisprudence de la CEDH. Ils se retrouvent dans d'autres instruments internationaux. En mai 2005, le Conseil de l'Europe a adopté la Convention pour la prévention du terrorisme, imposant aux États d'ériger en infraction pénale la «provocation publique à commettre une infraction terroriste».[163] Celle-ci est définie comme étant la diffusion d'un message au public «avec l'intention d'inciter à la commission d'une infraction terroriste, lorsqu'un tel comportement, qu'il préconise directement ou non la commission d'infractions terroristes, crée un danger qu'une ou plusieurs de ces infractions puissent être commises».[164] La Convention établit clairement un lien causal entre une déclaration considérée comme provocante et l'acte qu'il convient de prévenir; elle pose par ailleurs le critère de la «disposition mentale» en stipulant que ladite provocation publique devrait être érigée en infraction pénale si elle est commise «intentionnellement».[165] 

Les Principes de Johannesburg relatifs à la sécurité nationale, à la liberté d'expression et à l'accès à l'information, ensemble de lignes directrices non contraignantes élaborées en 1995 par un groupe d'experts internationaux, stipulent que les autorités peuvent légitimement sanctionner l'expression en tant que menace à la sûreté nationale uniquement dans les conditions suivantes: 1) l'expression est destinée à provoquer la violence de manière imminente ; 2) elle est susceptible de provoquer une telle violence ; 3) il y a un lien immédiat et direct entre l'expression et des actes de violence ou de potentiels actes de violence.[166]

Études de cas

Les trois cas décrits ci-dessous reflètent le type d'expression donnant lieu à l'expulsion du territoire français et le contenu des rapports des services de renseignement utilisés au tribunal. Toutes les preuves avancées par l'État, généralement contenues dans les rapports susmentionnés, doivent être mises à la disposition de la défense; l'utilisation de preuves classées secrètes n'est pas autorisée. Il ne fait guère de doute qu'une grande partie des commentaires que ces trois imams auraient émis sont contraires aux principes de la dignité humaine, de la tolérance et du respect, et qu'ils sont profondément offensants pour bon nombre de personnes en France. Dans certains cas, ces commentaires semblent justifier le recours à la violence. Néanmoins, il est fort douteux que ces commentaires constituent une incitation criminelle à la violence et/ou au terrorisme au regard du droit international.

Abdelkader Bouziane

Abdelkader Bouziane, 54 ans, imam de la mosquée El Forquan de Vénissieux, dans la banlieue lyonnaise, a été expulsé de France à deux reprises en 2004 dans ce qui constitue indubitablement, à ce jour, l'affaire la plus médiatisée d'expulsion administrative d'un imam. Cette affaire a incité le gouvernement français à modifier la loi de façon à élargir les motifs d'expulsions liées aux propos haineux et à centraliser tous les recours contre les arrêtés ministériels d'expulsion devant le Tribunal administratif de Paris (comme mentionné précédemment au Chapitre III). Human Rights Watch partage le point de vue minoritaire de deux juges administratifs qui ont examiné l'affaire et ont estimé que le gouvernement n'avait pas présenté d'arguments convaincants pour démontrer que l'expulsion était nécessaire.[167]

Bouziane a quitté son Algérie natale en 1979 pour s'installer en France et il y a résidé légalement jusqu'en 2004. Il est père de 16 enfants, dont 14 sont des ressortissants français, qu'il a eus avec deux épouses différentes. Le 26 février 2004, Dominique de Villepin, alors Ministre de l'Intérieur, a pris un arrêté ministériel d'expulsion déclarant que Bouziane «appelle ouvertement à la violence et à la haine…apparaît comme l'un des principaux vecteurs de l'idéologie salafiste de la région lyonnaise… il apparaît qu'il entretient de façon active des contacts avec des éléments très déterminés de la mouvance intégriste islamiste de la région lyonnaise et internationale en relation avec des organisations prônant des actes terroristes».[168] Son expulsion a été considérée comme une «nécessité impérieuse» et une «urgence absolue».

Ignorant l'existence de l'arrêté ministériel d'expulsion, lequel avait déjà été émis mais ne lui avait pas encore été communiqué, Bouziane a accordé une interview à un magazine local, Lyon Mag, publiée le 1er avril 2004. Il y était cité déclarant que les femmes n'étaient pas les égales des hommes, qu'elles n'avaient pas le droit de travailler aux côtés des hommes car elles seraient tentées de commettre des adultères, et que les maris étaient autorisés par le Coran à battre leurs femmes dans certaines situations telles que l'adultère. Il aurait expliqué qu'un mari ne pouvait pas frapper son épouse n'importe où: «Il ne doit pas frapper au visage mais viser le bas, les jambes ou le ventre. Et il peut frapper fort pour faire peur à sa femme, afin qu'elle ne recommence plus».[169] 

Il semble que la fureur publique provoquée par ces déclarations ait poussé les autorités à agir plus rapidement. Le 20 avril, Bouziane recevait notification de l'arrêté d'expulsion et était appréhendé. Le lendemain, il était expulsé vers l'Algérie.

L'avocat de Bouziane a formé des recours le jour même de l'expulsion, et le 23 avril, le juge des référés du Tribunal administratif de Lyon a confirmé le référé-suspension introduit par Bouziane, aux motifs que les rapports des services de renseignement ne démontraient pas de façon probante que l'expulsion était justifiée. Le juge a confirmé son jugement trois jours plus tard, après que le gouvernement eut contesté la décision et présenté des documents supplémentaires. Suite à ce jugement, Bouziane est retourné en France le 21 mai. Le Ministère de l'Intérieur a formé un pourvoi en cassation contre la décision de l'instance inférieure devant le Conseil d'État, lequel a statué en faveur dudit ministère le 4 octobre. Bouziane a été expulsé pour la seconde fois le 6 octobre. En juillet 2005, le Tribunal administratif de Lyon a rejeté le recours sur le fond formé par Bouziane contre l'arrêté d'expulsion et la Cour administrative d'appel a confirmé cette décision en novembre 2006.  Selon l'avocat de Bouziane: «J'ai demandé au juge d'exercer un contrôle sur la matérialité des faits, de vérifier que le discours de ce monsieur [Bouziane] est subversif, d'aller plus loin, mais le juge a dit non, on ne peut pas, le dossier des RG est complet».[170]

Les rapports des services de renseignement présentés par le gouvernement pour appuyer l'argument de la menace posée par Bouziane se sont trouvés au coeur du débat juridique. Le gouvernement a présenté trois rapports des services de renseignement (notes blanches) au juge des référés qui a examiné une demande visant à surseoir à l'expulsion en avril 2004, et un quatrième a été présenté au Conseil d'État en mai 2004. Selon les conclusions du commissaire du gouvernement[171] pour l'affaire portée devant le Conseil d'État, la première note est «à la fois lapidaire et fort peu circonstanciée», et «se borne à procéder par affirmation». La deuxième est une analyse du salafisme, tandis que la troisième est un rapport de deux pages décrivant le rôle de Bouziane en tant que «référent religieux» pour les groupes salafistes et son «contact privilégié» avec des activistes qui fournissent un soutien logistique aux mouvements djihadistes.[172] Le commissaire du gouvernement a déclaré que cette note, bien que plus détaillée que d'autres, «ne comporte toujours aucun élément de faits précis, aucune date, aucun nom qui permettraient d'étayer les allégations qu'elle contient».[173]

Human Rights Watch a été en mesure d'étudier la quatrième note blanche, présentée au Conseil d'État en mai. Elle décrit Bouziane comme étant un «véritable chef spirituel» des groupes salafistes de la région lyonnaise et sa doctrine comme consistant essentiellement en «une dénonciation permanente de l'Occident, de ses valeurs et des règles de la démocratie… Cette propagande, à forte dimension antichrétienne et antisémite, est identique à celle utilisée par les imams salafistes déjà expulsés [Larbi Moulaye et Yahia Cherif, cités dans le rapport]».[174] Le rapport soutient que Bouziane «a tissé un réseau de fidèles engagés dans le militantisme djihadiste» et qu'il avait entretenu des relations avec les «éléments les plus extrémistes» de Châlons-en-Champagne et de Villefranche-sur-Saône où il avait été imam, mais il clarifie que Bouziane n'utilise pas ses sermons habituels comme «vecteur» afin d'éviter d'attirer l'attention, mais que «ses déclarations extrémistes sont réservées au cercle des militants convaincus qu'il a sélectionnés». Selon le même rapport, le 28 mars 2003, Bouziane aurait appelé à une fatwa contre les ressortissants américains en Irak, en ces termes: «Celui qui veut mourir en martyr et aller au paradis doit maintenant prendre les armes et combattre les athées».

Le rapport contient beaucoup d'informations au sujet du salafisme djihadiste et des relations entre les salafistes de France et les « structures terroristes implantées à Francfort [-sur-le-Main, en Allemagne]». Il comporte également des informations à propos d'une fusillade qui a eu lieu à Francfort en juin 1999 et du complot pour commettre un attentat sur le marché de Noël de Strasbourg. Bouziane n'est toutefois pas mentionné en rapport avec ces événements ni avec des personnes liées à ces événements. Quelque attention est consacrée au «fidèle lieutenant» de Bouziane dont le nom n'est pas cité mais qui aurait prôné la résistance face aux imams qu'il qualifiait d' «hommes de Chirac» et qui aurait été en contact avec certaines personnes identifiées comme des activistes. Le rapport conclut que Bouziane présente un «degré élevé de dangerosité» et est «un acteur déterminant du processus de recrutement conduisant à l'intégration dans les filières djihadistes».

Le juge des référés de Lyon qui avait initialement sursis à l'expulsion, ouvrant ainsi la voie au retour de Bouziane en France, a mis en balance d'une part, les dénégations de Bouziane face aux accusations spécifiques de la note blanche ainsi que la transcription complète de l'interview accordée à Lyon Mag, et d'autre part, le rapport des services de renseignement. Il en a conclu qu'il planait un sérieux doute quant à la légalité de l'expulsion. Bouziane a nié avoir jamais prononcé une fatwa, voire d'être en position de pouvoir le faire. Dans la transcription complète de l'interview du magazine, Bouziane a dit qu'il était salafiste, «c'est-à-dire que je suis partisan d'un retour à la vraie religion musulmane avec le strict respect de la prière, du pèlerinage, du ramadan, etc.» et qu'il souhaitait que non seulement la France, mais le monde entier, soit musulman. Il précise toutefois que le Coran interdit de forcer les gens à se convertir à l'islam et que «[m]ême si je critique l'Occident, je demande toujours aux musulmans qui m'écoutent de respecter la loi du pays où ils vivent». A propos du terrorisme, Bouziane a déclaré que «c'est un grand péché de poser une bombe» et «je condamne fermement le terrorisme dans mes prêches». Interrogé au sujet du foulard, Bouziane a répondu: «On ne force pas les femmes à porter le voile… On dit c'est un péché.  Mais pas avec le bâton… avec la parole et la parole douce.  C'est pas avec le bâton.  On va pas lui dire 'tu vas en enfer, tu es contre la religion…' Non.  On lui dit que c'est une obligation». Dans ses recours, l'avocat de Bouziane a posé comme argument que son client était un adepte reconnu de ce que Gilles Kepel, un éminent spécialiste de l'islam et professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris (Sciences Po), appelle la branche «piétiste» du salafisme, alors que le Ministère de l'Intérieur l'avait qualifié, à tort, de représentant de la branche «djihadiste».

Il convient de souligner à nouveau que l'arrêté ministériel d'expulsion a été pris avant que Bouziane n'accorde l'interview à Lyon Mag dans laquelle il aurait incité les hommes musulmans à commettre des actes de violence conjugale. La décision d'expulser se fondait sur les propos tenus et la question de l'association détaillés dans les rapports des services de renseignement. En octobre 2005, la Cour d'appel de Lyon a reconnu Bouziane coupable de «provocation non suivie d'effet à commettre une atteinte involontaire à l'intégrité physique d'une personne», sur la base de l'interview publiée dansLyon Mag, une infraction punissable de cinq ans de prison. Il a été condamné, par contumace, à une peine de six mois de prison avec sursis et à une amende de 2 000€. La cour d'appel a rejeté le raisonnement de l'instance inférieure, laquelle avait acquitté Bouziane en juin 2005 jugeant qu'il avait parlé en sa qualité d'imam et était par conséquent protégé par la liberté de religion.

Chellali Benchellali

Chellali Benchellali a quitté son Algérie natale en 1963 pour s'établir en France et il a vécu à Lyon jusqu'à son expulsion le 7 septembre 2006. Il était imam à la mosquée Abou Bakr de Vénissieux. Le 6 janvier 2004, Benchellali, son épouse Hafsa Benchellali, et l'un de leurs fils, Hafed, ont été arrêtés pour terrorisme. Un autre fils, Menad, avait été arrêté et placé en détention provisoire en 2002 pour terrorisme; un troisième fils, Mourad, avait été appréhendé en Afghanistan en février 2002 et, à l'époque, il était détenu à Guantanamo.[175] Le 8 janvier 2004, alors que Benchellali était encore en garde à vue, le ministre de l'intérieur a pris un arrêté ministériel d'expulsion posant comme argument que Benchellali incitait ouvertement à la violence et à la haine. Le 12 janvier, Benchellali a été placé en détention provisoire jusqu'en mai  2005. Le 16 juin 2006, il a été reconnu coupable d'association de malfaiteurs et condamné à deux ans de prison (dont 18 mois avec sursis); il n'a pas fait l'objet d'une décision d'interdiction du territoire français.[176] Néanmoins, il a été arrêté le 5 septembre 2006, et expulsé deux jours plus tard pour mettre à exécution l'arrêté ministériel d'expulsion de 2004. Benchellali a formé un recours contre l'expulsion aux motifs qu'elle était illégale car elle se basait uniquement sur des propos protégés par la liberté d'expression et violait son droit à la vie familiale.

Les deux rapports des services de renseignement remis par le gouvernement pour étayer l'argument de l'expulsion précisent que Benchellali «appelle ouvertement au djihad lors de prêches très politisés». Ils donnent plusieurs exemples. Tout d'abord, ils mentionnent sept prêches séparés de 2003 dans lesquels  Benchellali aurait dit: «Que l'Irak soit le tombeau des Américains, que la Palestine soit le tombeau des juifs, et que la Tchétchénie soit le tombeau des Russes».Lors d'un autre prêche, également en 2003, l'imam se serait plaint de l'humiliation infligée aux musulmans par une «poignée de juifs que Dieu a maudits» et à une autre occasion, il aurait dénoncé ce qu'il estimait être la passivité des musulmans, disant que «les juifs dominent le monde bien qu'ils ne soient que 14 millions».[177]

Dans son recours, l'avocat de Benchellali a fait valoir qu' «aucun de ces propos… n'appelle quiconque, ni directement ni indirectement ni tacitement, à la perpétration d'actes de terrorisme», ajoutant qu'ils «ne visent aucunement la situation des musulmans en France ni le comportement, les prises de positions ou l'attitude de l'État français relativement aux conflits armés précités…Pour virulents qu'ils soient, [ces propos] ne font qu'exprimer une opinion sur des conflits armés en cours dans lesquels des musulmans sont engagés».[178] Ces déclarations, a indiqué l'avocat, soutiennent effectivement les moudjahiddines, «c'est-à-dire des combattants en résistance à ce qui est considéré dans l'opinion de M. Benchellali, et plusamplement dans une grande frange de l'opinion publique, comme une oppression injustifiée».[179]

L'une des notes blanches affirme en outre que Benchellali est proche du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) et en relation étroite avec des «éléments très déterminés de la mouvance intégriste islamiste de la région lyonnaise». Mais selon l'avocat de Benchellali, les seules personnes mentionnées directement dans le rapport sont les fils de Benchellali, Menad et Mourad, et l'ami de Mourad, Nizar Sassi (également détenu à Guantanamo et dans l'attente d'un verdict en France pour le chef d'inculpation d'association de malfaiteurs). Hormis les citations tirées de ses prêches, aucun élément n'est apporté pour étayer l'affirmation que Benchellali est proche du GSPC.

Boualam Azzaoum, un militant de DiverCité, une association de terrain oeuvrant dans les banlieues de Lyon, a minimisé l'influence qu'a pu avoir Benchellali: «Il peut à peine parler français, personne ne l'écoute. Il est en marge de la communauté».[180] Dans les rapports des services de renseignement, il semble y avoir très peu d'éléments en dehors des citations tirées de ses prêches. L'avocat de Benchellali a signalé à Human Rights Watch: «Il n'y a rien d'autre là-dedans, donc cela doit être le pire qu'il ait dit… C'est un crime d'opinion. C'est la porte ouverte à l'expulsion de n'importe qui s'ils peuvent expulser [quelqu'un] pour avoir dit des choses virulentes».[181]   

Abdullah Cam

Abdullah Cam, un ressortissant turc, vivait en France depuis près de 20 ans lorsqu'il a été expulsé le 7 septembre 2005. S'étant établi à Villeurbanne, dans la banlieue lyonnaise, Cam a épousé une Turque qui était venue vivre en France à l'âge de cinq ans. Ils ont eu quatre enfants, tous nés en France. L'arrêté ministériel d'expulsion pris le 26 août 2005 le qualifiait d' «un des principaux responsables religieux en France de la mouvance islamique extrémiste dite 'KAPLAN' prônant le recours à la violence et à l'action terroriste».[182] Metin Kaplan est le leader du «Califat», qui chercherait à renverser le gouvernement turc et à instaurer un État islamique.[183] L'arrêté d'expulsion a été notifié à Cam le 6 septembre, date à laquelle il a été arrêté. Il a été embarqué à bord d'un avion à destination d'Istanbul le jour suivant. Son avocat a pu présenter un référé-suspension le 8 septembre après que Cam eut déjà été expulsé; sa requête a été rejetée le 26 septembre. Le 7 juillet 2006, le Tribunal administratif de Paris a rejeté le recours sur le fond introduit par Cam contre l'arrêté d'expulsion et contre la décision fixant le pays de destination.

Début 2004, les autorités françaises avaient expulsé deux autres disciples présumés de Metin Kaplan-Omer Ozturk et Orhan Arslan-par arrêté ministériel. En janvier 2006, Ilyas Harman, autre membre présumé de la mouvance Kaplan, recevait notification d'un arrêté d'expulsion adopté le 24 octobre 2005. L'organisation a été interdite en Allemagne en 2001. Les services de renseignement français s'inquiètent du fait que «l'existence de noyaux composés de jeunes islamistes turcs issus de la mouvance Kaplan… est de nature à favoriser la constitution de réseaux de soutien actif à la cause islamiste radicale internationale.  Par ailleurs, la dissolution de l'organisation en Allemagne pourrait inciter les dirigeants… à transférer leurs activités en France et à radicaliser leur position».[184]

Le rapport des services de renseignement présenté comme preuve par le gouvernement dans l'affaire Cam est assez détaillé. A la connaissance de Human Rights Watch, d'après les informations émanant de l'avocat de Cam et de sa famille, ledit rapport constitue le seul élément de preuve présenté par le gouvernement. Il contient des informations relatives aux déplacements, aux rencontres et à l'association avec certaines personnes, notamment Ozturk et Arslan, cherchant à établir que Cam est un disciple de Metin Kaplan. Par ailleurs, le rapport laisse entendre que Cam est un sympathisant actif du Front Islamique du Salut algérien et relèveque « son apparence physique (barbe et couvre-chef) ne laisse planer aucun doute sur ses convictions intégristes».[185]

L'accent est mis tout particulièrement sur les critiques émises par Cam à propos des lois, de la société et des autorités françaises, ainsi que sur des déclarations critiquant l'intégration. Le rapport signale que les prêches de Cam «vilipendent l'État français, les gouvernements occidentaux et Israël, incitant les fidèles à un repli communautaire et à la désobéissance civile.  Faisant parfois l'apologie du terrorisme, il confine également la femme musulmane dans un statut d'infériorité».[186] Le rapport reprend des déclarations faites dès 1994, lorsque par exemple il aurait qualifié le ministre de l'intérieur de «serpent venimeux désirant la mort de l'islam afin d'asservir les musulmans et de les intégrer dans la société européenne». Un an plus tard, il aurait vivement recommandé aux personnes rassemblées à la prière du vendredi de «se révolter contre le diktat des Français» et il aurait déclaré que «la France n'est plus un pays de libertés». Il a qualifié l'État français de «raciste et laïque» et a poussé les fidèles à ignorer les «avertissements anti-musulmans lancés par le gouvernement français». Il aurait découragé les mariages mixtes et les achats dans des magasins non-musulmans, aurait encouragé les parents à retirer leurs filles de l'école lorsqu'elles n'étaient pas autorisées à porter le foulard (ceci, avant la loi interdisant tous les symboles religieux dans les écoles publiques), et aurait vivement conseillé aux jeunes étudiants de «refuser toute intégration dans une societé qui n'est pas celle de l'islam».

Les références à des propos qui inciteraient prétendument à la violence sont très rares et indirectes. Au milieu des années 1990, Cam aurait annoncé qu'il était en faveur d'un soutien «à tous les combattants de l'islam» et il se serait réjoui d'un attentat perpétré en mai 1996 contre la personne du président turc lors d'une rencontre après la prière du vendredi. Le rapport affirme que Cam «réclame la poursuite des attentats et invite les jeunes à rejoindre les rangs de la mouvance Kaplan afin de participer à ces actions violentes, pour soutenir le combat des islamistes algériens».

Impact sur la liberté d'expression

Human Rights Watch reconnaît que la teneur des propos mentionnés dans les cas analysés plus haut prête fortement à controverse, que dans certaines circonstances, ces propos sont largement considérés comme offensants, et que beaucoup en France estiment que des mesures visant à restreindre ce type de déclarations sont à la fois positives et nécessaires. Néanmoins, nous restons préoccupés par le fait que l'expulsion d'imams accusés de prêcher la haine équivaut à une ingérence disproportionnée dans le droit à la liberté d'expression. L'expulsion administrative, bien que n'étant pas une sanction pénale, est une forme de peine très sévère imposée dans ces cas en réponse à un exercice de la liberté d'expression. Il est effectivement difficile de décrire cette mesure autrement que comme une ingérence grave dans la liberté de toute personne à avoir des opinions et à recevoir et communiquer des informations. Il est bon de rappeler la position de la Cour européenne selon laquelle le droit à la liberté d'expression vaut:

pour les «informations» ou «idées» accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de «société démocratique».[187]

Eu égard aux dispositions du PIDCP et de la CIEDR relatives à la liberté d'expression, ainsi qu'aux Principes de Johannesburg, Human Rights Watch estime que les restrictions relatives au contenu des propos exprimés doivent viser les déclarations susceptibles d'inciter à la violence, à la discrimination ou à l'hostilité contre une personne ou un groupe clairement défini de personnes dans des circonstances où cette violence, cette discrimination ou cette hostilité est imminente et où l'on peut raisonnablement penser que des mesures alternatives pour prévenir ce comportement ne sont pas disponibles.

Il y a toujours un risque que les lois qui répriment les propos exprimés aient un effet réfrigérant sur la liberté d'expression en général, créant une autocensure et inhibant le discours politique, y compris les critiques à l'égard du gouvernement. Cela va directement à l'encontre de l'opinion selon laquelle les débats publics qui se fondent sur la diffusion libre et sans entrave d'idées et d'opinions constituent une manière importante de lutter contre la radicalisation et de promouvoir la compréhension et la tolérance dans le but général de prévenir le terrorisme.

Lorsque des personnes incitent délibérément et directement à la violence, à la discrimination ou à l'hostilité (type de comportement puni par la loi), le système de justice pénale, avec ses critères de preuves rigoureux, constitue une réponse plus appropriée que l'utilisation des mesures administratives en matière d'immigration.

VI. Le droit à la vie familiale et privée

Les expulsions créent des veuves et des orphelins … Je ne comprends pas pourquoi on veut obliger quelqu'un à payer plus qu'il ne peut supporter.
-Mahmoud Hébia, avocat[188]

Les éloignements ont un impact direct sur le droit à la vie familiale et privée, tant pour les personnes elles-mêmes que pour leurs familles. Dans un nombre considérable de cas examinés par Human Rights Watch, des hommes qui avaient vécu en France pendant de nombreuses années ont été renvoyés dans des pays qu'ils ne connaissaient plus (ou n'avaient jamais connus) et où ils n'avaient ni emploi, ni réseau social. Ils ont laissé derrière eux des épouses et des enfants en âge scolaire-dont beaucoup avaient la nationalité française-dans une situation financière et émotionnelle précaire.

En France, le droit à la vie familiale bénéficie d'une place importante tant dans l'opinion publique que dans la loi. Une coalition d'organisations non gouvernementales et d'associations de terrain a incité à un vaste débat sur l'impact des interdictions du territoire français sur les personnes et les familles. Comme mentionné précédemment (voir Chapitre III), la coalition a mené avec succès une campagne aboutissant, en 2003, à des réformes qui ont accru les protections contre l'éloignement de certaines catégories de personnes.[189] Toutefois, aucune de ces protections ne s'applique en cas de menaces pour la sécurité nationale. En d'autres termes, même quelqu'un qui jouirait normalement d'une protection absolue contre l'interdiction du territoire français peut être expulsé si les autorités allèguent qu'il est impliqué dans des activités terroristes. La plupart des recours formés contre les arrêtés ministériels d'expulsion et les décisions administratives visant à exécuter une peine d'interdiction du territoire français dans des cas liés au terrorisme sont liés à la question du droit à la vie familiale.

Le droit à la vie familiale dans le droit international et français

Aux termes de la législation internationale et nationale, le droit à la vie familiale est un droit qui n'est pas absolu dans le sens où l'ingérence dans son exercice est légitime lorsqu'elle est nécessaire pour protéger un intérêt public plus important-tel que la sécurité nationale-et lorsqu'elle est proportionnée à la menace. Dans les cas où il est incontestable que l'expulsion interférera avec le droit d'une personne à la vie familiale, l'autorité judiciaire chargée d'examiner la légalité de la mesure doit estimer si cette ingérence est effectivement nécessaire-à savoir si la personne constitue une menace et s'il n'existe aucun autre moyen d'éliminer ladite menace-et proportionnée-à savoir si la gravité de la menace justifie le non-respect d'un droit fondamental.

Telle est l'approche adoptée par la Cour européenne des droits de l'homme dans bon nombre de cas portant sur des violations présumées du droit à la vie privée et familiale garanti en vertu de l'article 8 de la Convention européenne. Afin d'évaluer si l'ingérence dans l'exercice de ce droit met correctement en balance d'une part, l'intérêt privé d'une personne à avoir une vie familiale, et d'autre part, l'intérêt public qui est de prévenir le désordre et les délits, la CEDH tient compte, entre autres facteurs, de la nature de l'infraction commise par la personne, de la conduite de l'intéressé durant la période qui s'est écoulée depuis la perpétration de l'infraction, des liens qui unissent la personne au pays où elle réside et au pays dont elle a la nationalité, de sa situation familiale, et des obstacles auxquels risquent de se heurter le conjoint ou les enfants dans le pays d'origine de l'intéressé.[190]

En France, tant dans les systèmes de justice pénale qu'administrative, les autorités judiciaires doivent examiner la proportionnalité lorsqu'elles statuent sur les interdictions du territoire français et les expulsions administratives. Cela n'a pas toujours été le cas. Jusqu'au début des années 1990, le Conseil d'État considérait comme irrecevables les recours contre les mesures d'éloignement qui étaient fondés sur le droit à la vie familiale.[191]

L'affaire Beldjoudi a marqué un tournant en 1991.  Mohand Beldjoudi est né en France en 1950 de parents algériens. Lorsque l'Algérie a acquis son indépendance en 1962, les parents de Beldjoudi n'ont pas déclaré leur intention de conserver la nationalité française aux termes de l'ordonnance adoptée par le parlement français le 21 juillet 1962. Beldjoudi, alors mineur, a perdu sa nationalité française le 1er janvier 1963. En 1970, il a épousé une Française née de parents français. A l'époque, le gouvernement français cherchait à l'interdire du territoire; Beldjoudi avait été reconnu coupable d'une série d'infractions, dont des coups et blessures, possession d'armes, vol et vol qualifié, et il avait passé près de huit années en prison. Le commissaire du gouvernement a recommandé dans ce cas que le Conseil d'État revoie sa jurisprudence, reconnaisse l'effet de l'article 8 dans les affaires d'interdiction du territoire, et mène un examen approfondi de la proportionnalité. Le tribunal administratif a donné son accord et, après avoir évalué la proportionnalité, a maintenu la mesure d'interdiction frappant Beldjoudi. Le Conseil d'État a réaffirmé cette nouvelle approche la même année, dans deux autres affaires importantes. L'applicabilité de l'article 8 de la Convention européenne dans les affaires d'expulsion et le besoin d'examiner la proportionnalité sont aujourd'hui bien établis dans la jurisprudence administrative française. 

La Cour européenne a toutefois estimé que la France avait violé l'article 8 dans un certain nombre de cas, notamment celui de Beldjoudi.[192] Dans le cas d'Ali Mehemi (1997) et de Boubaker Mokrani (2003), tous deux ressortissants algériens, la Cour a jugé que le fait qu'ils étaient nés en France, y avaient vécu toute leur vie, et y avaient de solides attaches familiales l'emportait sur la gravité de leurs infractions (trafic de drogue dans les deux cas).[193] En deux autres circonstances impliquant des étrangers établis en France dès leur plus jeune âge, la Cour a également estimé qu'une expulsion donnerait lieu à une ingérence disproportionnée dans l'exercice de leur droit à la vie familiale, même si aucun des deux n'était marié ni n'avait d'enfants.[194] Au moment de la rédaction du présent rapport, la Cour européenne n'avait pas encore eu à examiner, aux termes de l'article 8, un dossier où la France avait éloigné un résident de longue durée sur présomption de liens avec le terrorisme ou d'incitation au terrorisme.

Impact sur les personnes frappées d'une mesure d'éloignement

L'éloignement de personnes qui sont nées en France ou y ont vécu la majeure partie de leur vie, ou qui ont un mariage stable et des enfants de nationalité française, peut équivaloir à une ingérence disproportionnée dans l'exercice du droit à la vie privée et familiale des personnes éloignées et de leurs proches, même dans des cas touchant à la sécurité nationale. Au moins sept des personnes éloignées dont Human Rights Watch a examiné le dossier auraient été protégées contre l'expulsion si l'exception relative à la sécurité nationale n'existait pas.

Mahdi E. était né en France et y avait vécu toute sa vie; ses quatre enfants, tous mineurs, ont la nationalité française. Bien qu'il ait séjourné pendant quelques brèves périodes en Algérie, Mahdi ne parlait pas couramment l'arabe lorsqu'il a été interdit de France en 2005.  Mohamed Chalabi était également né en France, de parents algériens, et il y avait vécu toute sa vie jusqu'à son interdiction du territoire français en novembre 2001. Il est père de quatre enfants de nationalité française. Nacer Hamani, autre homme reconnu coupable dans l'affaire Chalabi, s'était établi en France à l'âge de 13 ans. Il s'est marié en 1989 et a trois enfants, tous nés en France.  Khelif Zoubir vivait en France depuis 30 ans lorsqu'il a été frappé d'une interdiction du territoire en 2006. Il est père de cinq enfants, dont quatre sont français. Zoubir a été condamné à deux ans de prison et à une interdiction définitive du territoire français.  Abdelkader Bouziane vivait légalement en France depuis 1979 et, comme il est mentionné plus haut, il est père de 16 enfants, dont 14 de nationalité française; la plupart sont mineurs.

La Cour européenne a, dans le passé, jugé que même des personnes reconnues coupables d'infractions graves devraient avoir le droit de rester en France lorsqu'elles ont de fortes attaches familiales dans le pays. Dans l'affaire Beldjoudi, par exemple, le Juge Martens a rédigé une opinion concordante, dans laquelle il fait valoir que «l'expulsion rompt de manière irrévocable tous les liens sociaux entre l'expulsé et la communauté où il vit, et je pense que l'ensemble de ces liens peut être réputé relever de la notion de vie privée au sens de l'article 8».[195] A cet égard, il se rallie à l'avis de Henry G. Schermers, de l'ex-Commission européenne des droits de l'homme,[196] pour dire que les dispositions de l'article 8 devraient protéger certaines catégories de personnes contre l'expulsion, même en l'absence de liens familiaux étroits, car l'expulsion d'un immigré de la deuxième génération totalement intégré dans la société française « détruit nécessairement sa vie privée».[197] Se faisant l'écho de l'idée que les résidents étrangers de longue durée, en particulier les immigrés de la deuxième génération, devraient bénéficier de la même sécurité de résidence que les ressortissants du pays, Schermers a écrit ce qui suit:

S'il y a un pays responsable pour l'éducation et le comportement criminel du requérant, il y a lieu de considérer qu'il s'agit de la France plutôt que de l'Algérie.  S'Il n'est pas illégal, il est en tout cas moralement rejetable de renvoyer en Algérie ceux des nombreux immigrés qui deviennent criminels, tandis que ceux qui contribuent à la prospérité du pays peuvent rester en France.  Il me semble plus juste que la France garde tant les bons que les mauvais immigrés.[198] 

Dans une opinion séparée de l'arrêt de la Cour, le Juge De Meyer est allé encore plus loin, faisant valoir que l'éloignement de Beldjoudi constituerait aussi un traitement inhumain, «en ce que M. Beldjoudi serait chassé, après plus de quarante ans, d'un pays qui, même s'il n'en a pas la 'nationalité', a toujours, en fait, été le 'sien' depuis la naissance».[199]

Impact sur les membres de la famille

L'éloignement constitue également une ingérence dans l'exercice du droit à la vie familiale des conjoints et enfants des personnes frappées par cette mesure. Bien que l'impact de l'éloignement sur la famille de la personne soit généralement pris en compte par les tribunaux lors de leur examen de la proportionnalité de la mesure, cet examen n'évalue pas si l'éloignement risque de violer le droit autonome des membres de la famille au respect de leur vie privée et familiale. Nous croyons comprendre qu'il n'existe pas, en France, de jurisprudence établie indiquant qu'une épouse ou un enfant de personne frappée d'une interdiction du territoire aurait le droit d'invoquer une violation de ses droits au regard de l'article 8 dans le cadre d'une procédure visant à déterminer la légalité d'une mesure d'éloignement. A condition que les membres de la famille ne soient pas impliqués dans les activités de l'intéressé donnant lieu à son éloignement, il peut y avoir des cas où l'ingérence dans l'exercice du droit à la vie familiale est disproportionnée, même si les droits de la personne faisant l'objet de l'éloignement n'ont pas été violés.

L'impossibilité d'être ensemble, que la Cour européenne des droits de l'homme considère représenter un élément fondamental du droit à la vie familiale, est la conséquence la plus évidente d'une mesure d'éloignement.[200] Les sept familles dont nous avons interrogé les membres sont toutes bien établies en France: les épouses sont soit des ressortissantes françaises, soit des résidentes de longue durée, et aucune ne considère viable de s'établir dans le pays de nationalité de leur mari. Pour expliquer pourquoi elles ne seraient pas en mesure de rejoindre leurs époux de façon permanente, les mères d'enfants en âge scolaire ont non seulement indiqué que la France était la seule patrie que leurs enfants aient jamais connue mais elles ont également souligné le besoin d'assurer la continuité et la qualité de leur éducation.

La plupart du temps, le seul contact entre les personnes interdites du territoire et leurs familles-dont beaucoup comptent de jeunes enfants-a lieu par téléphone et, dans certains cas, par Internet. Une femme a confié que ses enfants disent qu'ils ont un «père par Internet».[201] La majorité des familles se trouvent réunies lors de visites très occasionnelles, quoique deux personnes interdites de territoire nous aient dit qu'elles n'avaient pas pu voir leurs familles depuis leur expulsion (à savoir depuis sept mois et deux ans). La fréquence des appels téléphoniques et des visites est limitée en raison de considérations financières. La majorité des personnes éloignées avec lesquelles nous avons parlé en Algérie sont actuellement sans emploi et incapables de contribuer aux revenus familiaux, et la plupart des familles que nous avons rencontrées dépendent d'une forme ou l'autre d'aide publique.

Human Rights Watch a eu des entretiens avec sept épouses et deux fils adultes de personnes éloignées. Dans certains cas, nous nous sommes également entretenus avec des enfants mineurs, ou alors ils étaient présents ou se trouvaient à proximité au moment de l'entretien. Tous ont évoqué le stress émotionnel causé par la séparation et le caractère désespéré de la situation. Tous les noms ont été changés afin de protéger l'identité des mineurs.

L'épouse d'Hazim S. a expliqué pourquoi elle était obligée de demeurer en France en dépit de l'éloignement de son mari:

Comment pourrai-je quitter le pays de mes racines, de mes repères, de ma famille et de mon entourage dont je suis très attachée… Malgré l'environnement défavorisé et 'banlieusard' où j'ai grandi, je me suis tant battue pour prouver ma citoyenneté et mes capacités d'intégration en France… De plus, j'ai acquis la conviction que l'on peut être en France une musulmane pratiquante, intègre et intégrée, tout en étant une bonne citoyenne française.[202]

La principale préoccupation de la plupart des épouses est l'impact sur leurs enfants. Il est particulièrement profond pour les plus jeunes enfants et ceux qui ont été témoins de l'arrestation de leur père. Dilek D., une ressortissante turque qui vit en France depuis l'âge de cinq ans, a expliqué que son fils de 11 ans n'était plus le même depuis qu'il avait assisté à l'arrestation de son père dans le parking de leur immeuble à appartements en 2005. «Depuis ce jour-là, mon fils est agressif, il a la rage en lui. Il a des problèmes à l'école. Et puis ils disent que mon enfant pose problème mais d'où est-ce que cela vient, qui a créé cela? Nous voulons que nos enfants soient intégrés, qu'ils fassent confiance aux gens ici. Mais comment le pourraient-ils s'ils voient qui a déchiré leur famille?»[203]

Plusieurs mères ont eu recours à une assistance psychologique pour leurs enfants. Nadija R. a raconté qu'elle avait commencé à s'inquiéter parce que son fils de 11 ans, qui avait assisté à l'arrestation de son père, était effondré après l'expulsion. «Il pleurait tout le temps.  [Nom omis; sa fille aînée] garde tout pour elle, mais lui, il pleure beaucoup encore. Je leur ai interdit de raconter [l'expulsion] à leurs maîtresses d'école et un jour, la petite a pleuré et personne n'a compris pourquoi. Je sais que ça va faire du mal à mes enfants».[204]  Haala L. a confié que sa fille de six ans souffrait d'anxiété et de maux d'estomac, et que son fils de neuf ans avait constamment des cauchemars. Lui et sa sœur aînée, âgée de 10 ans, sont tous deux pris en charge par la psychologue de leur école pour des problèmes de développement cognitif et affectif. La psychologue travaille avec eux «afin d'élaborer et de calmer la tension et l'angoisse de tous… La situation complexe de leur père et l'expulsion en cours les angoissent beaucoup».[205]

Plusieurs se sont dites préoccupées par le fait que leurs fils risquaient d'être harcelés, incarcérés, ou limités d'une manière ou l'autre au niveau de leurs choix dans la vie, en raison de l'expulsion de leur père. Florence T., une Française convertie à l'islam, a expliqué: «J'ai peur pour mon fils qui pourrait être incarcéré à cause de son père. J'ai peur qu'il fasse certaines études comme la chimie [qui attireraient l'attention]… Je me suis aperçue que je ne pouvais pas acheter d'ammoniaque pour la maison pour éviter des problèmes…».[206]  Florence a sept enfants: cinq de son premier mariage, et deux avec l'homme qui a été éloigné.

A l'image de beaucoup d'autres, Florence a parlé des difficultés économiques provoquées ou exacerbées par l'éloignement. Bien qu'elle ait reçu des allocations versées par l'État lorsque son mari était en prison, elle a expliqué avoir été informée qu'elle n'y avait plus droit après son éloignement car il ne s'agissait que d'une séparation géographique et non d'une impossibilité pour lui de gagner de l'argent et de contribuer au bien-être de ses enfants. Florence a confié qu'on lui avait dit qu'il faudrait qu'elle soit mère célibataire pour recevoir plus d'aide financière: «Je devrais divorcer pour pouvoir nourrir mes enfants», a-t-elle déploré.[207] En revanche, plusieurs autres femmes bénéficient d'une aide de l'État bien qu'elles aient dit que celle-ci était insuffisante et problématique. Laila N. est une ressortissante française de 22 ans qui a donné naissance à son fils en mars 2005, environ un mois avant que son mari ne soit éloigné. Incapable de trouver une place pour son enfant dans une crèche publique, elle ne travaille pas et survit avec les quelque 750€ d'allocations mensuelles versés par l'État. Chaque mois, il y a des retards car les autorités insistent pour obtenir la signature de son époux, même si ce dernier se trouve en Algérie. Laila essaie maintenant de trouver un travail de nuit afin de pouvoir continuer à s'occuper de son enfant pendant la journée jusqu'à ce qu'elle trouve une autre solution. En tout cas, elle a confié: «Je ne dors pas du tout. J'ai des crises d'angoisse. Je dois avoir la télé et les lumières allumées. Je ne sais pas où je suis et où je vais».[208]

Nejla E. a abandonné ses études en 2004, lorsque son mari a été renvoyé en prison pour purger les six mois qui lui restaient d'une peine de trois ans à laquelle il avait été condamné en 1999 pour association de malfaiteurs. Avec des enfants de treize, dix, huit et quatre ans, Nejla ne travaille pas. « Déjà qu'ils n'ont pas leur père auprès d'eux, je ne veux pas qu'ils soient vraiment touchés par ça, alors il faut que je sois là à 100 pour cent pour eux.  Ils font leurs activités de sport, je leur dis toujours qu'il faut étudier… Je ne veux pas en faire des gens malades».[209]

VII. Alternative à l'éloignement

Je veux juste qu'il revienne. Même s'il reste à la maison [assigné à résidence], je suis d'accord, comme ça au moins, les enfants peuvent grandir avec leur père. On a assez payé.
-Nadija R., épouse d'un homme éloigné de France[210]   

L'interdiction du territoire français et l'expulsion ne constituent pas les seuls instruments dont dispose le gouvernement pour traiter les cas de personnes considérées comme une menace pour la sécurité nationale. Et dans bon nombre de circonstances, notamment lorsqu'une personne est exposée à un risque de torture si elle est expulsée, l'éloignement est une réponse inappropriée. Même dans d'autres cas, comme par exemple lorsque la personne entretient depuis longtemps des liens avec la France du fait de sa résidence, de son mariage et de ses enfants, le gouvernement devrait envisager des méthodes alternatives de protection contre le terrorisme. La loi française prévoit déjà une alternative à l'interdiction du territoire français, bien qu'imparfaite aux yeux de Human Rights Watch: l'utilisation d'arrêtés d'assignation à résidence.

Pourvu que les arrêtés d'assignation à résidence ne comprennent pas de conditions strictes au point d'équivaloir à une sanction pénale, et pourvu que des protections judiciaires adéquates soient mises en place, ces arrêtés peuvent représenter une alternative viable à l'éloignement, lorsque cette mesure exposerait l'intéressé à un risque de torture. Les protections judiciaires devraient être les suivantes: un arrêté ne devrait pouvoir être émis que par un tribunal (et non par le pouvoir exécutif); un arrêté ne devrait pouvoir être émis que suite à une procédure au cours de laquelle des éléments de preuve crédibles démontrant sa nécessité ont été présentés au tribunal et à la personne faisant l'objet de l'éloignement; l'intéressé devrait avoir l'opportunité de contester ces éléments de preuve; et il devrait avoir un accès approprié à un recours et à un réexamen sérieux de son dossier. Les arrêtés doivent être limités dans le temps et susceptibles de faire l'objet d'une abrogation et d'une modification des conditions lors de la présentation de nouveaux éléments de preuve. Par ailleurs, la personne visée par l'arrêté doit être capable d'entretenir une vie de famille et être autorisée à travailler.

L'assignation à résidence appliquée selon ces critères conviendrait également à des cas en rapport avec la sécurité nationale, où l'intéressé aurait en d'autres circonstances été protégé contre l'expulsion en raison de la durée de sa résidence, de l'intensité et de la stabilité de ses liens sociaux et familiaux en France, et où l'expulsion constituerait une ingérence disproportionnée dans le droit à la vie familiale du conjoint et des enfants de la personne.

 

L'utilisation actuelle de l'assignation à résidence en France

Dans les cas où les tribunaux jugent que l'éloignement vers le pays d'origine est impossible pour des raisons de droits humains ou autres, ou lorsque l'intéressé a déjà un statut de réfugié et ne peut être renvoyé vers son pays d'origine, le ministre de l'intérieur peut émettre un arrêté d'assignation à résidence.[211] En vertu de cette mesure, une personne est astreinte à vivre dans les lieux précis qui lui sont fixés, elle doit se présenter périodiquement à la préfecture locale et demander une autorisation préalable pour tout déplacement à l'extérieur du périmètre défini. La personne qui ne respecte pas l'une des dispositions de l'arrêté d'assignation à résidence est passible d'une peine d'emprisonnement de trois ans.[212] Les personnes assignées à résidence dans ces cas n'ont généralement pas le droit de travailler et elles sont invitées à entreprendre les démarches nécessaires pour trouver un pays tiers disposé à les accueillir.

L'objectif explicite est que l'assignation à résidence serve de mesure à court terme prise jusqu'à ce qu'il soit possible d'expulser la personne, et ceci est généralement indiqué dans l'arrêté ministériel.[213] Cela expliquerait en partie pourquoi les personnes assignées à résidence se voient habituellement privées d'une auto risation de travailler. Les intéressés doivent eux-mêmes trouver un pays tiers prêt à les accueillir, ce qui dans la plupart des cas se traduit par un exercice plutôt futile de rédaction périodique de lettres à divers pays. On ignore si, de son côté, le gouvernement français entreprend des démarches pour trouver une solution avec un pays tiers. Par voie de conséquence, nombreuses sont les personnes assignées à résidence qui vivent indéfiniment dans l'incertitude et le flou.

Néanmoins, selon un fonctionnaire du Ministère de l'Inté rieur, assigner quelqu'un à résidence remplit deux autres objectifs clés: faciliter la surveillance et réduire la menace à un minimum, par exemple en éloignant quelqu'un de sa base urbaine et en l'envoyant dans une zone rurale.[214] Human Rights Watch estime qu'imposer des restrictions à la liberté de circulation dans le simple but d'exercer une surveillance sans supervision judiciaire viole plusieurs droits liés aux procédures équitables et équivaut à une ingérence disproportionnée dans l'exercice d'autres droits.

Comme nous l'a expliqué ce fonctionnaire, un autre but est de créer une situation tellement désagréable que la personne elle-même prendra les arrangements nécessaires pour quitter la France.[215]

Les conditions dans lesquelles vivent ces personnes varient considérablement. En ce qui concerne Yashar Ali, un réfugié et imam irakien soupçonné de liens avec les islamistes radicaux, les autorités lui ont fait quitter Paris, où il était imam, et l'ont assigné à résidence à Mende, en Lozère, un département du sud. La région est connue pour avoir très peu de résidents musulmans et il semble que l'objectif immédiat de l'arrêté ministériel d'expulsion à l'encontre d'Ali et de son assignation à résidence ait été de l'éloigner de sa base de soutien afin de «déstabiliser la mouvance salafiste en région parisienne et de réduire les velléités de constitution de réseaux à vocation djihadiste sur le sol national».[216] Au départ, Ali a passé deux mois en détention provisoire pour ne pas s'être présenté à Mende-il prétend ne jamais avoir reçu de convocation lui intimant de se présenter dans les huit jours à la préfecture de Mende-avant d'être condamné à un mois de prison pour cette infraction.[217]

Autre cas, celui de Mohamed Kerrouche, assigné à résidence à 150 kilomètres de son domicile parisien. Il a vécu dans un hôtel pendant un an et demi avant de « craquer», pour reprendre le terme employé par son avocate, et de retourner de lui-même en Algérie.[218]  Salah Karker, cofondateur du mouvement islamiste tunisien Ennadha, a obtenu le statut de réfugié en 1988. Le Ministère de l'Intérieur a ordonné son expulsion en 1993 et l'a assigné à résidence à Dignes-les-Bains, près de la frontière italienne. Il a été de nouveau transféré à son domicile près de Paris 12 ans plus tard, en 2005, suite à une hémorragie cérébrale.[219] En revanche, Mouldi Gharbi, un réfugié tunisien, a été assigné à résidence en 1998 dans son appartement parisien après que le préfet de Paris eut ordonné son expulsion aux motifs qu'il représentait une «grave menace pour l'ordre public». Gharbi avait obtenu le statut de réfugié alors qu'il se trouvait en détention provisoire pour association de malfaiteurs et il était par conséquent protégé contre l'expulsion. Il a finalement été condamné à un an de prison-peine déjà purgée en détention provisoire-et n'a pas fait l'objet d'une mesure d'interdiction du territoire français. Gharbi, tailleur dans un atelier des Champs-Élysées, a reçu l'autorisation de travailler en 2004.[220]

Les arrêtés d'assignation à résidence constituent clairement une ingérence importante dans l'exercice de certains droits fondamentaux tels que le droit d'une personne à la liberté de circulation, le droit au respect de la vie familiale et, dans le cas de la France, le droit de travailler. Tant le PIDCP que la Convention européenne des droits de l'homme garantissent le droit à la liberté de circulation, notamment le droit de quiconque se trouvant légalement sur le territoire d'un État d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence. Des restrictions peuvent toutefois s'appliquer à ces droits conformément à la loi, dans l'intérêt de la sécurité nationale ou de la sûreté publique et pour la prévention des infractions pénales, entre autres raisons.[221]

D'aucuns soutiendront qu'il se pourrait que les conditions imposées  rendent l'assignation à résidence comparable à une détention.[222] Néanmoins, comme chaque ensemble de conditions imposées dans le cadre d'une assignation à résidence peut varier d'un cas à l'autre, il est probable que la plupart des arrêtés n'atteindraient pas le degré de sévérité nécessaire pour être considérés comme analogues à une sanction pénale.

Etant donné que les arrêtés d'assignation à résidence sont basés sur des critères de preuve peu exigeants et sur l'utilisation de rapports non vérifiables des services de renseignement, comme expliqué précédemment pour les recours contre les arrêtés d'expulsion, les mêmes préoccupations sont de mise quant à la compatibilité de ces arrêtés avec le droit international des droits humains, nonobstant le droit de former un recours contre les arrêtés dans le système de justice administrative.

A ce jour, le Comité des droits de l'homme de l'ONU a confirmé l'imposition d'une assignation à résidence en France, l'estimant compatible avec le PIDCP. Dans le cas de Salah Karker, mentionné plus haut, son épouse Samira a déposé plainte devant le Comité des droits de l'homme en vertu du PIDCP, expliquant en quoi l'arrêté constituait une ingérence dans leur droit au respect de la vie familiale et dans l'exercice de la liberté de circulation de son mari, et alléguant que les conditions de résidence étaient analogues à celles d'une détention. Le Comité a confirmé les restrictions, estimant que la France «a produit devant les tribunaux des preuves montrant que M. Karker était un partisan actif d'un mouvement qui prône l'action violente»; que «les mesures restrictives de la liberté de circulation permettent à M. Karker de résider dans un périmètre relativement étendu»; et que «ces restrictions ont été examinées par les juridictions internes qui, après avoir étudié tous les éléments du dossier, les ont jugées nécessaires pour des raisons de sécurité».[223]

L'utilisation de mesures de contrôle par d'autres pays

Human Rights Watch s'oppose aux mesures restrictives qui équivalent à une sanction pénale lorsqu'elles ne sont pas imposées par un tribunal de justice pénale, conformément aux normes internationales relatives au procès équitable.

Au Royaume-Uni, par exemple, les «ordonnances de contrôle» (control orders) prises à l'encontre des personnes soupçonnées de liens avec le terrorisme peuvent comprendre des couvre-feux, des marquages électroniques, des restrictions visant l'emploi de certains articles (tels qu'un ordinateur), des restrictions visant l'emploi de certaines technologies de la communication (telles que l'Internet), des limitations portant sur les personnes que l'intéressé peut fréquenter, et des interdictions frappant les déplacements. Human Rights Watch considère que les restrictions imposées par le biais des ordonnances de contrôle peuvent se révéler si sévères qu'elles équivalent à des peines qui seraient encourues en cas d'inculpation au pénal. Pourtant, ces ordonnances sont prises par le ministre de l'intérieur sur la base de critères de preuve peu exigeants et sans supervision judiciaire suffisante. Pour cette raison, Human Rights Watch estime que le système des ordonnances de contrôle ne respecte pas le droit international des droits humains.[224]

En Italie, la loi prévoit un mécanisme pour placer sous le contrôle spécial de la police une personne considérée comme un danger pour la société.[225] Cette mesure peut être assortie, s'il y a lieu, de la condition de ne pas demeurer dans une ou plusieurs villes ou provinces déterminées, ou-si la personne concernée est considérée comme particulièrement dangereuse-la mesure peut être assortie d'une assignation à résidence exigeant que l'intéressé vive dans une municipalité déterminée.[226]

Les contrôles policiers et les assignations à résidence peuvent uniquement être imposés par un tribunal. Le tribunal siège à huis clos mais il doit rendre une décision motivée après avoir entendu le représentant du ministère public et la personne à l'encontre de laquelle la mesure est proposée. Lorsqu'il impose une telle mesure, le tribunal doit en fixer la durée-de un an à cinq ans maximum-et préciser les conditions que doit respecter l'intéressé. La personne faisant l'objet de ces mesures a le droit d'interjeter appel, tout d'abord auprès de la Cour d'appel, et ensuite auprès de la Cour de cassation, et elle a le droit d'être représentée par un avocat.

Bien que le contrôle policier et l'assignation à résidence puissent être imposés à l'encontre de personnes qui n'ont pas été reconnues coupables d'une infraction, et qui en fait peuvent avoir été acquittées, ils font l'objet d'une limitation dans le temps, ne peuvent être imposés que par un tribunal, et sont soumis à une supervision judiciaire. En outre, la loi applicable a été amendée en 1988 et elle dispose aujourd'hui qu'une personne ne peut être assignée à résidence que dans la ville où elle est domiciliée ou a sa résidence.[227]

La Cour européenne des droits de l'homme a examiné la compatibilité de ces dispositions de la loi italienne avec la Convention européenne et, bien qu'elle ait à ce jour confirmé le principe du mécanisme mis en place, elle a estimé que dans certaines circonstances, le recours à ces mesures ou la portée de celles-ci équivalait à une ingérence injustifiée dans l'exercice de la liberté de circulation.[228]

Dans le passé, la Suède prévoyait également des mesures d'assignation à résidence similaires au système français. La Loi suédoise de 1980 relative aux étrangers donnait au gouvernement le pouvoir de prescrire des restrictions et des conditions au niveau du lieu de résidence, du changement de domicile et de l'emploi dans les cas où un arrêté d'expulsion ne pouvait être appliqué aux motifs que la personne concernée risquait d'être exposée à des persécutions politiques ou des actes de torture en cas de renvoi.[229]  Dans un dossier datant de 1991, le Comité des droits de l'homme a confirmé l'imposition de ces mesures à l'encontre d'un suspect kurde vivant en Suède.[230] Le Comité a simplement indiqué que puisque la Suède avait invoqué des raisons de sécurité nationale pour justifier les restrictions à la liberté de circulation, les restrictions auxquelles était soumis le suspect étaient compatibles avec celles autorisées aux termes de l'article 12, paragraphe 3, du PIDCP.[231] La Loi de 1991 relative aux contrôles spéciaux à l'égard des étrangers a aboli le système d'assignation à résidence. Aux termes de la loi actuellement en vigueur, la police peut ordonner à des étrangers qui ne peuvent être expulsés de se présenter à la police à intervalles réguliers et elle peut opérer des fouilles sur les lieux où ils se trouvent et sur leur personne.[232] Un tribunal peut autoriser la police à intercepter les communications et la correspondance des étrangers.[233]

VIII. Impact sur les communautés musulmanes de France

Les estimations relatives au nombre de musulmans vivant en France oscillent entre trois et cinq millions. La vaste majorité d'entre eux sont de nationalité ou d'origine algérienne, marocaine ou tunisienne. Une petite partie sont entre autres de nationalité ou d'origine turque, irakienne, bosniaque ou ils ont la nationalité ou sont originaires d'autres pays arabes ou d'Afrique sub-saharienne. Dans les décennies qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, des centaines de milliers d'immigrés du Maghreb, en particulier des Algériens, sont arrivés en quête de travail, certains dans l'idée de retourner un jour dans leur pays. Néanmoins, les politiques de regroupement familial instaurées au milieu des années 1960 ont permis à beaucoup de faire venir leurs familles en France. C'est ainsi que l'immigration de courte durée s'est transformée en installation permanente.

Au cours des dernières années, une discussion malaisée sur la place des musulmans, et de la foi musulmane, a dominé le débat public en France. La résidence de longue durée, l'acquisition de la nationalité française et les mariages mixtes, entre autres facteurs, ont contribué à une meilleure intégration des communautés maghrébines de France.[234] Toutefois, les émeutes généralisées qui ont touché les banlieues pauvres, à prédominance immigrée, de la périphérie de Paris et d'autres grandes villes en octobre et novembre 2005 ont fortement remis en question l'approche assimilationniste de la France. Alors que certains commentateurs ont tenté de faire le lien entre la révolte et l'influence de l'islam politique, la plupart des analystes s'accordent aujourd'hui à dire que les émeutes étaient en grande partie l'expression de la rage entretenue surtout chez les jeunes musulmans à l'encontre de ce qu'ils perçoivent comme une marginalisation économique et sociale.[235] Samy Debah, un militant anti-discrimination, dit que son association, le Collectif contre l'islamophobie, ne cesse de recueillir des informations sur des cas de discrimination à l'embauche et au logement contre des musulmans. A son avis, «personne en France ne dirait, 'je ne vous engage pas parce que vous êtes une femme, ou vous êtes noir, ou vous êtes juif'. Mais on peut dire, 'je ne vous engage pas parce que vous portez le foulard'. C'est totalement acceptable. Et vous ne pouvez parler comme cela que dans un contexte politique particulier de discrimination».[236]

Le débat sur l'intégration a ététransposésur le plansécuritaire dans le contexte de la lutte contre le terrorisme et rien peut-être ne traduit plus ouvertement cet amalgame que l'accent qui est mis sur le contrôle et le façonnement de la foi musulmane en France. Au nom d'un «islam de France» dont il faut encourager l'émergence, le gouvernement français a créé, en 2003, le Conseil français du culte musulman (CFCM). Le but était de fournir au gouvernement un interlocuteur institutionnel pour les questions liées à la pratique de l'islam, ainsi qu'un organe pouvant superviser les mosquées et les salles de prière, former des imams s'exprimant en français, et organiser des services religieux dans les prisons.[237] L'idée derrière la création du CFCM était surtout que les imams nés à l'étranger, dont beaucoup ne parlent pas le français et prêchent la stricte adhésion à des principes islamiques fondamentalistes, sont surreprésentés dans les lieux de culte musulman du pays. Selon cette logique, leurs enseignements sont en décalage avec les valeurs françaises et peuvent contribuer à une radicalisation. Parlant de la lutte contre la radicalisation en général, Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l'Intérieur, avait affirmé: « Nous devons agir contre ces imams radicaux car ils sont capables d'influer sur les jeunes et les esprits faibles».[238]

La loi de 2004 interdisant les signes religieux dans les écoles publiques peut également être vue sous cet éclairage. Bien que la loi interdise tous les signes qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse, y compris la kippa juive, le turban sikh et les grandes croix chrétiennes, elle a été tellement interprétée comme visant le foulard islamique qu'il est courant que l'on y fasse référence en l'appelant tout simplement «la loi sur le foulard». Les partisans de l'interdiction considéraient qu'il s'agissait d'un impératif pour défendre non seulement la tradition française qu'est la laïcité, mais également la «valeur française» qu'est l'égalité des genres.

Des mesures antiterroristes contre-productives

De nombreux musulmans ressentent intensément ce qu'une analyste a qualifié de «représentation courante erronée selon laquelle l'islam est intrinsèquement radical ou résolument incompatible avec le républicanisme français».[239] Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon, a expliqué:

Chaque fois que quelqu'un revendique un droit, il est vu comme un intégriste.  Alors le simple acte de porter le foulard est interprété comme une violence à la société… le fait de porter la barbe, prier, lire le coran, tu deviens suspect.  Les musulmans savent que chaque mot, chaque geste, est interprété dans un contexte de soupçon permanent.[240] 

Lhaj Thami Breze, président de l'Union des Organisations Islamiques de France, l'une des principales associations de musulmans du pays, a déclaré que les expulsions d'imams «alimentent la peur de la communauté musulmane qui est, une fois encore, montrée du doigt… Cela donne l'impression que la France persécute les musulmans».[241] Samy Debah, du Collectif non gouvernemental contre l'islamophobie, a expliqué pourquoi il estime qu'il existe «deux régimes différents» en France par rapport à la liberté d'expression, soulignant le contraste entre l'expulsion d'imams pour les choses qu'ils disent et la défense de ceux qui expriment des opinions insultantes sur l'islam: «Lorsqu'il s'agit des caricatures danoises ou de Redeker, les gens ont dit, 'Je ne suis pas d'accord mais je défends ton droit de le dire', et ils nous disent [à nous les musulmans] que nous n'avons pas le droit d'être offensés».[242]

L'expulsion d'imams identifiés comme étant des «prêcheurs de haine» constitue clairement une mesure antiterroriste axée spécifiquement sur la prévention de la radicalisation violente et du recrutement pour le terrorisme. Ici aussi pourtant, les arguments du gouvernement visent souvent des opinions ou des déclarations qui sont «contraires aux valeurs françaises» ou qui promeuvent le séparatisme et le rejet de l'intégration dans la société traditionnelle.[243] Azzedine Gaci, le représentant du Conseil régional du culte musulman de Lyon, reconnaît la préoccupation légitime que fait naître la radicalisation des jeunes «qui ont développé la haine et un rejet de la République», mais il met en garde contre le fait que:

Il s'agit d'exclusion politique, sociale et économique… Il y a une lecture de plus en plus extrémiste de l'islam en France par ceux qui profitent de cette exclusion et stigmatisation, surtout chez les jeunes.  Nous en sommes conscients et nous sommes disposés à travailler sur ça, mais l'État doit aussi changer son discours et arrêter de stigmatiser l'islam.[244]

Il a fait valoir que dans ce contexte, les expulsions fortement politisées et médiatisées sont contre-productives car:

Elles installent la peur dans les associations [musulmanes] et les imams.  Tellement de peur qu'ils ne savent pas ce qu'ils peuvent dire dans leurs prêches. Les imams font de moins en moins dans les mosquées, ils ne veulent pas entrer en relation avec les jeunes, alors ils les repoussent, et ils peuvent se radicaliser. On doit trouver les solutions, mais pas celles qui peuvent radicaliser. Les expulsions apportent plus d'incompréhension, plus de peur, qu'une solution au problème.[245]  

Kamel Kabtane est d'accord avec l'idée que l'impact global de ce type de mesures est nuisible dans le sens où elles envoient le message que les membres de la communauté musulmane ne sont pas les bienvenus. «Plus [il y a] de mesures d'exception, plus on met les gens dans une situation d'exclusion.  Et plus on radicalise», a-t-il expliqué.[246] S'exprimant à propos des personnes les plus directement affectées par les expulsions, l'avocat Mahmoud Hébia partageait ce point de vue: «Les expulsions… génèrent des familles pleines de haine [et] les rendent susceptibles de pression des groupes terroristes».[247]

Dans un rapport de 2004 relatif à la diffamation des religions et au racisme, le rapporteur spécial des Nations Unies sur le racisme, Doudou Diène, a observé ce qu'il a qualifié de«nombre alarmant d'expulsions d'imams dans certains pays européens au nom de la lutte contre l'intégrisme». Il a particulièrement attiré l'attention sur les expulsions de France, déclarant que la procédure d'expulsion d'urgence octroyait aux autorités une latitude trop importante dans les décisions d'expulsion des imams.[248]

Au sein des communautés musulmanes françaises, certains ont le sentiment que les pouvoirs étendus dont jouissent les magistrats instructeurs de la section antiterroriste donnent lieu à des arrestations massives et des accusations d'association avec des réseaux terroristes qui reposent sur des preuves ténues, donnant à entendre que tous les musulmans sont en quelque sorte suspects.   «Ils nous disent de séparer le plastique et le papier pour le recyclage, mais ils ne font pas de différence entre nous [les musulmans]», a déploré Dilek D., dont le mari a été expulsé.[249]   

Cette perception est alimentée par des expériences telle que celle vécue par une figure de l'opposition tunisienne, Mouldi Gharbi, qui se trouvait dans l'appartement d'un ami lors d'une descente de la police antiterroriste en 1995. Gharbi se souvient que l'un des policiers a téléphoné au magistrat instructeur qui avait ordonné la descente pour demander s'il devait également arrêter Gharbi.  Selon ce dernier, le policier aurait déclaré que le magistrat lui avait dit d'arrêter tous ceux qui se trouvaient là.[250] Gharbi a finalement été reconnu coupable d'association de malfaiteurs et condamné à un an de prison, peine qu'il avait déjà purgée en détention provisoire.  Il a obtenu l'asile en 1996, alors qu'il était encore en détention provisoire. 

Les statistiques officielles sembleraient étayer l'affirmation selon laquelle les magistrats instructeurs spécialisés dans le contre-terrorisme ont tendance à pencher pour la «prévention». Il n'y a pas si longtemps, Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l'Intérieur, a déclaré que 1 161 personnes avaient été interpellées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Seules 462 d'entre elles ont officiellement été mises en examen.[251]

Certains constatent que beaucoup de personnes au sein de la communauté musulmane hésitent à parler en faveur de quelqu'un étiqueté comme «radical» ou «islamiste», de crainte de se retrouver elles-mêmes associées au terrorisme. Kamel Kabtane a confié à Human Rights Watch que lorsqu'il avait protesté contre l'expulsion d'Abdelkader Bouziane, «j'ai été tout de suite classé, on a dit que j'étais en train de me radicaliser».[252] 

Recommandations détaillées

La France est en position de s'ériger en leader mondial dans l'effort de lutte contre le terrorisme. Ce n'est qu'en défendant  fermement les principes des droits humains dans tous les volets de sa stratégie antiterroriste qu'elle pourra le mieux concrétiser cette promesse de leadership. Nous recommandons vivement au gouvernement français de prendre les mesures suivantes :

Aux Ministères de l'Intérieur et de la Justice

  • Aligner la législation de la France sur les obligations qui lui incombent aux termes de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Convention contre la torture en entreprenant conjointement une réforme législative afin de veiller à ce que tous les recours formés contre les expulsions aient un effet suspensif automatique. Le parlement devrait en particulier :
    • Réformer le Code de justice administrative de façon à rendre automatiquement suspensifs les recours contre les arrêtés ministériels d'expulsion;
    • Réformer le Code de justice administrative de façon à rendre automatiquement suspensifs les recours contre les arrêtés fixant le pays de destination;
    • Réformer le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile de façon à rendre automatiquement suspensifs tous les recours formés devant la Commission des Recours des Réfugiés, y compris dans les cas liés à la sécurité nationale;
    • Réformer le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile de façon à ce que l'exception qui, pour des raisons de sécurité nationale, frappe l'octroi de la «protection subsidiaire» soit supprimée lorsqu'une personne risque soit la peine de mort, soit la torture ou autres mauvais traitements.

Au Ministère de l'Intérieur

  • Jusqu'à ce que les réformes législatives nécessaires soient  promulguées, adopter une politique visant à surseoir à l'exécution de tous les éloignements jusqu'à ce que tous les recours aient été épuisés, y compris le recours sur le fond.
  • S'abstenir de prendre contact avec des consulats nationaux en vue d'organiser un éloignement (en fait pour vérifier la nationalité ou obtenir des documents de voyage) jusqu'à ce que tous les recours, y compris sur le fond, aient été épuisés. Les consulats nationaux ne devraient jamais être contactés alors que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Commission des Recours des Réfugiés (CRR) procèdent à l'examen des demandes d'asile.
  • Proposer une loi visant à supprimer la procédure d'expulsion accélérée répondant à une  «urgence absolue» afin de veiller à ce que la Commission d'expulsion ait la chance d'examiner toutes les mesures d'éloignement et de présenter son avis.
  • Revoir le système d'arrêtés d'assignation à résidence de façon à ce que ces arrêtés soient émis par un tribunal, à la demande du ministère public, au lieu d'être pris par le ministre de l'intérieur. Prévoir obligatoirement une durée maximale pour les arrêtés. Prévoir par ailleurs un système de réexamens périodiques automatiques des arrêtés d'assignation à résidence afin d'envisager des changements positifs dans les conditions imposées, telles qu'une réinstallation dans la zone de résidence habituelle et l'octroi d'une autorisation de travail.
  • Veiller à ce qu'aucune personne ne soit renvoyée lorsqu'elle risque d'être torturée dans son pays d'origine. Dans les cas où ce risque existe, recourir aux arrêtés d'assignation à résidence, dans la mesure où les conditions imposées ne sont pas strictes au point d'équivaloir à une sanction pénale ou à une ingérence disproportionnée dans le droit à la vie familiale.
  • L'assignation à résidence ne devrait pas être utilisée simplement pour faciliter la surveillance.
  • Veiller à ce que les arrêtés d'assignation à résidence soient utilisés en tant qu'alternative à l'éloignement pour des motifs de sécurité nationale, lorsque l'intéressé aurait en toute autre circonstance été protégé contre l'éloignement en raison de la durée, de l'intensité et de la stabilité de ses liens sociaux et familiaux en France, et lorsque l'expulsion constitue une ingérence disproportionnée dans le droit du conjoint et des enfants à la vie familiale, dans la mesure où les conditions imposées ne sont pas strictes au point d'équivaloir à une sanction pénale ou à une ingérence disproportionnée dans le droit à la vie familiale.
  • Veiller à ce que les rapports des services de renseignement, ou «notes blanches», indiquent correctement les sources et soient divulgués aux avocats qui agissent au nom de toute personne faisant l'objet d'un arrêté administratif d'expulsion. En général, par principe, les rapports devraient révéler les sources et les méthodes utilisées pour recueillir les informations. Dans les cas où les témoins du gouvernement seraient mis en danger si leur identité venait à être révélée, des pseudonymes pourraient être utilisés.

Au Ministère de la Justice

  • Mettre sur pied un groupe de travail chargé d'élaborer des repères juridiques plus précis concernant la matérialité et l'intensité de la menace qui doit se poser à l'égard de la sécurité nationale pour justifier une expulsion, en particulier dans les cas de délits d'expression.

Au Ministère des Affaires étrangères

  • Promouvoir et appuyer un changement législatif de façon à faire en sorte que tous les recours formés devant la CRR contre les décisions négatives de l'OFPRA soient suspensifs.

A l'Assemblée nationale et au Sénat

  • Mettre sur pied une commission parlementaire d'enquête chargée d'examiner les protections procédurales dans les cas d'éloignement pour des raisons de sécurité nationale, mettant particulièrement l'accent sur l'émission de recommandations relatives à la matérialité et à l'intensité de la menace qui justifierait une mesure d'éloignement.
  • Ladite commission devrait explorer des alternatives à l'assignation à résidence qui auraient un impact plus limité sur les droits fondamentaux.

A la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme

  • Charger la sous-commission Questions nationales d'élaborer une recommandation à l'intention du gouvernement sur les protections procédurales appropriées dans les cas d'éloignement pour des motifs de sécurité nationale, mettant particulièrement l'accent sur des recommandations relatives à la matérialité et l'intensité de la menace qui justifierait la mesure d'éloignement.
  • Charger la même sous-commission d'élaborer une recommandation à l'intention du gouvernement sur des alternatives appropriées qui se substitueraient à l'assignation à résidence et auraient un impact plus limité sur les droits fondamentaux.

Les organisations régionales et internationales chargées de contrôler la conformité des politiques antiterroristes avec le droit international des droits humains jouent un rôle capital. Alors que l'Union européenne, par exemple, ne cesse de développer sa stratégie visant à lutter contre la radicalisation violente et le recrutement pour le terrorisme, les autorités des droits humains devraient veiller à ce que le droit international des droits humains, et en particulier les normes relatives aux procédures équitables et à la vie familiale, soient respectés dans toute démarche visant à dégager une approche commune de l'éloignement pour des raisons de sécurité nationale. A cette fin, Human Rights Watch émet les recommandations suivantes:

Au Conseil de l'Europe

  • En ce qui concerne les expulsions basées sur des raisons liées à la sécurité nationale, le Commissaire aux droits de l'homme devrait envisager d'élaborer un avis ou une recommandation sur les meilleures pratiques en conformité avec le droit international des droits de l'homme. Les recommandations du Commissaire devraient orienter tant les États membres pris individuellement que les institutions concernées de l'UE sur le plan des protections procédurales à appliquer dans ces cas ainsi qu'en matière d'alternatives viables à l'éloignement.
  • L'Assemblée parlementaire devrait envisager un rapport de suivi relatif à sa Recommandation 1504 (2001) sur la non-expulsion des immigrés de longue durée et elle devrait en particulier clarifier sa position à propos des «cas tout à fait exceptionnels» dans lesquels elle considère que les expulsions sont acceptables.
  • La Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) devrait envisager d'élaborer une recommandation de politique générale sur les limites légitimes au droit à la liberté d'expression et à la protection contre le racisme et la discrimination.

A la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen

  • Elaborer de sa propre initiative un rapport relatif aux éloignements pour des raisons liées à la sécurité nationale, incluant des recommandations spécifiques sur les protections procédurales minimales et les alternatives viables susceptibles de remplacer l'éloignement.

Aux Nations Unies

  • Le Comité contre la torture devrait recommander que la France instaure un recours automatiquement suspensif contre les arrêtés d'expulsion.
  • Les rapporteurs spéciaux sur la liberté d'expression, sur les droits de l'homme et la lutte contre le terrorisme, sur la torture, ainsi que sur le racisme devraient examiner les préoccupations soulevées dans le présent rapport et élaborer des recommandations dans leurs domaines de compétence respectifs, afin de faire en sorte que les violations telles que celles décrites ici ne se reproduisent plus.

Remerciements

Judith Sunderland, chercheuse à la Division Europe et Asie centrale de Human Rights Watch, a rédigé le présent rapport sur la base de recherches effectuées en France et en Algérie de mai à décembre 2006. Samir Ben Amor, consultant à Human Rights Watch, a réalisé les entretiens en Algérie. Le rapport a été révisé par Ben Ward, directeur adjoint à la Division Europe et Asie centrale. Aisling Reidy, conseillère juridique principale, et Ian Gorvin, consultant au Bureau du programme, ont assuré la révision respectivement pour le Bureau juridique et le Bureau du programme. Le rapport a été revu par Ricky Goldstein, directeur des recherches à la Division Moyen-Orient et Afrique du nord; Joanne Mariner, directrice du Programme Terrorisme/Contre-terrorisme; Veronika Szente-Goldston, directrice de campagne à la Division Europe et Asie centrale, et Julia Hall, chercheuse principale à la Division Europe et Asie centrale. Iwona Zielinska, associée à la Division Europe et Asie centrale, Andrea Holley, directrice des Publications, et Fitzroy Hepkins, chargé de la gestion du courrier, ont apporté leur concours à la production du présent rapport.

Human Rights Watch voudrait exprimer sa gratitude aux organisations de défense des droits humains et aux associations de terrain pour l'assistance qu'elles nous ont apportée au cours de nos recherches, notamment l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT-France), Amnesty International, la CIMADE, le Collectif contre l'Islamophobie (CCIF), DiverCité, la Ligue des Droits de l'Homme (LDH) ainsi que le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI). Luiza Toscane, chercheuse indépendante, nous a fourni de précieux conseils et informations. De nombreux avocats de la défense ont généreusement partagé le temps limité dont ils disposaient pour discuter du cas de leurs clients et apporter leur éclairage sur des questions de droit. Nous sommes reconnaissants aux juges et aux fonctionnaires du gouvernement qui ont accepté de s'entretenir avec nous lors du présent travail de recherche. Enfin, nous voudrions remercier les personnes qui ont fait l'objet d'un éloignement de France et qui ont accepté de nous parler, ainsi que les membres de leurs familles en France qui ont partagé leur expérience avec nous.

L'auteur tient à remercier tout particulièrement Stéphane Julinet, pour avoir patiemment partagé sa connaissance approfondie des procédures et du droit administratifs et avoir révisé le présent rapport.

Human Rights Watch voudrait exprimer sa gratitude à la Third Millennium Foundation pour le généreux soutien financier qu'elle nous a prodigué.

Ce rapport a été traduit de l'anglais par Françoise Denayer.

[1] Policier spécialiste du contre-terrorisme dont le nom n'a pas été révélé, cité dans Jean Chichizola, «Onze religieux islamistes en instance d'expulsion», Le Figaro (Paris), 27 septembre 2006.

[2] A la connaissance de Human Rights Watch, aucune femme n'a fait l'objet d'un éloignement pour des raisons de sécurité nationale en lien avec le terrorisme islamiste.

[3] Il faut noter que la France a commencé à éloigner les Basques de nationalité espagnole au milieu des années 1980, tout d'abord vers des pays tiers (surtout en Amérique latine) car elle craignait des actes de torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants en Espagne, puis directement vers l'Espagne.

[4] Antoine Garapon, «Is there a French Advantage in the Fight Against Terrorism?»,Análisis del Real Instituto (ARI),  110/2005,  2005, Real Instituto Elcano, http://www.realinstitutoelcano.org/analisis.807.asp ( 2006).

[5] Pour une analyse de l'histoire des attentats en France et l'évolution du modèle français de répression du terrorisme, voir Jeremy Shapiro et Benedicte Suzan, "The French Experience of Counter-terrorism," Survival, vol. 45, no. 1, printemps 2003.

[6] Ibid.

[7] Thomas Deltombe, «Quand l'islamisme devient spectacle», Le Monde Diplomatique (Paris), août 2004, http://www.monde-diplomatique.fr/2004/08/DELTOMBE/11466 (consulté le 7 juillet 2006).

[8] A la date de 2004, six vivaient toujours au Burkina Faso; un homme était parvenu à obtenir l'annulation de son expulsion et était retourné en France; les autres étaient partis au Royaume-Uni, en Suisse, aux Pays-Bas et au Maroc.

[9] Deltombe, «Quand l'islamisme devient spectacle», Le Monde Diplomatique.

[10] Quarante-quatre ont été interdits du territoire français à titre définitif, quatre pendant dix ans, deux pendant cinq ans, et un pendant trois ans. Arrêt du 11 janvier 1999, 11e Chambre du Tribunal Correctionnel de Paris, pp. 639-743. Copie en possession de Human Rights Watch.

[11] Loi 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme. Il existe trois catégories d'infractions dans la loi française: les contraventions, les délits et les crimes.

[12] Loi No. 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, art. 17.

[13] Article 421-2-1 du Code pénal, introduit par la Loi 96-647 du 22 juillet 1996. En vertu de la loi adoptée en janvier 2006, la participation à un groupement formé aux fins de commettre un acte de terrorisme susceptible d'entraîner la mort d'une ou de plusieurs personnes constitue aujourd'hui un crime passible de 20 ans de réclusion criminelle; le fait de diriger un tel groupement est maintenant passible de trente ans de réclusion criminelle. Loi No. 2006-64 du 23 janvier 2006, art. 11.

[14] Une analyse circonstanciée de l'infraction qu'est l'association de malfaiteurs sort du cadre du présent rapport.

[15] FIDH, «France: La porte ouverte à l'arbitraire», no. 271-2, mars 1999,   http://www.fidh.org/rapports/r271.htm (consulté le 10 octobre 2005), p. 9.

[16] Joint Committee on Human Rights (Comité conjoint des droits humains), Parlement britannique, «Counter-Terrorism Policy and Human Rights: Prosecution and Pre-Charge Detention», 1er août 2006, http://www.publications.parliament.uk/pa/jt200506/jtselect/jtrights/240/24002.htm (consulté le 20 octobre 2006), para. 92.

[17] Entretien de Human Rights Watch avec Jean-Jacques de Felice, Paris, 7 juin 2006.

[18] Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), adopté le 16 décembre 1966, G.A. Res. 2200A (XXI), 21 U.N. GAOR Supp. (No. 16) at 52, U.N. Doc. A/6316 (1966), 999 U.N.T.S. 171, entré en vigueur le 23 mars 1976.

[19] Comité des droits de l'homme de l'ONU, Observation générale No. 15, Situation des étrangers au regard du Pacte (vingt-septième session, 1986), Compilation des commentaires généraux et recommandations générales adoptés par les organes des traités, U.N. Doc. HRI\GEN\1\Rev.6 at 140 (2003), paras. 9-10.

[20] Ibid., para. 5.

[21] Protocole No. 4 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, STE No. 46, entré en vigueur le 2 mai 1968, art. 4.

[22] Protocole No. 7 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, STE No. 117, entré en vigueur le 1er novembre 1988, art. 1(1).

[23] Ibid., art. 1 (2).

[24] Charte sociale européenne (révisée), STE 163, 1996, art. 19, para. 8.

[25] Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, Recommandation 1504 (2001) relative à la non-expulsion des immigrés de longue durée, http://assembly.coe.int/MainF.asp?link=/Documents/AdoptedText/ta01/FREC1504.htm (consulté le 2 juillet 2006), paras. 3-4.

[26]Directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, Journal officiel de l'Union européenne L 16/44, 23 janvier 2004, art. 12, para. 1.

[27] Ibid., para. 3.

[28] Note de la présidence de l'UE, «JHA Council Declaration: Follow-Up», Doc. 11330/05 du Conseil de l'Union européenne, 19 juillet 2005, http://www.statewatch.org/news/2005/aug/jha-declaration-follow-up.pdf (consulté le 25 janvier 2007).

[29] Conseil de l'Union européenne, «Draft Council Resolution on information exchange on the expulsion of radical preachers inciting violence and racial hatred», Doc. 5824/07, 5 février 2007, http://www.statewatch.org/news/2007/feb/eu-radicals-resolution-5424-07.pdf (consulté le 5 mars 2007).

[30] Voir par exemple ECRE, «Comments from the European Council on Refugees and Exiles on the Proposal for a Directive of the European Parliament and the Council on common standards and procedures in Member States for returning illegally staying third country nationals (COM(2005) 391 final)», mai 2006, http://www.ecre.org/files/Comretdir.pdf (consulté le 26 février 2007).

[31] Loi 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, publiée au Journalofficiel No. 274, 27 novembre 2003, p. 20136.

[32] Code pénal (CP), arts. 131-30-1 et 131-30-2.

[33] Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), art. 521-4.

[34] CP, art. 131-30-2.  Les personnes ayant commis une infraction en matière de fausse monnaie ne bénéficient pas non plus de protection. Les étrangers qui seraient normalement protégés contre une mesure d'éloignement par le fait qu'ils sont mariés à un ressortissant français et résident régulièrement en France depuis plus de 10 ans, ou qu'ils sont père ou mère d'un enfant français mineur et résident régulièrement en France depuis plus de 10 ans, ne bénéficient pas de cette protection lorsque les faits à l'origine de leur condamnation ont été commis à l'encontre de leur conjoint ou de leurs enfants.

[35] CP, art. 422-4. Lorsqu'elle n'est pas prononcée à titre définitif, la durée maximale de l'interdiction du territoire français sera de 10 ans.

[36] Les crimes sont à prio ri considérés comme étant suffisamment graves pour prévaloir sur ces facteurs; dans ces cas, le tribunal n'est pas tenu de motiver sa décision d'interdiction du territoire français.

[37] Depuis janvier 2006, cette infraction peut également conduire à une condamnation pour crime dans les cas où le complot vise à perpétrer un attentat susceptible d'entraîner la mort d'une ou plusieurs personnes.

[38] Cette règle admet une seule exception: une personne libérée de prison moins de six mois après sa condamnation peut introduire immédiatement une demande de relèvement.  

[39] Les personnes peuvent également saisir le ministre de la justice d'un recours en grâce mais cela ne semble arriver que très rarement.

[40] CESEDA, art. L.521-1.

[41] Ces critères sont prévus aux articles L521-2 et L.521-3. Des amendements adoptés en juillet 2006 pour modifier le CESEDA ont rendu certains critères plus stricts: pour pouvoir bénéficier d'une protection, les étrangers doivent être mariés à un ressortissant français depuis trois ans au lieu de deux dans certains cas, et de quatre ans au lieu de trois dans d'autres; et les étrangers qui peuvent prouver qu'ils résident habituellement-en d'autres termes, pas nécessairement légalement-en France depuis au moins 15 ans ne sont plus protégés. Loi 2006-911 du 24 juillet 2006, arts. 67 et 68, modifiant l'art. L. 521-2 du CESEDA.

[42] CESEDA, art. L. 521-2.

[43] CESEDA, art. L. 521-3.

[44] CESEDA, art. L. 522-1.

[45] Ibid.

[46] CESEDA, art. L. 521-3.

[47] Benchellali a en fait été placé en détention provisoire et finalement reconnu coupable. Son cas est décrit plus loin.

[48] Le cas de Tebourski est décrit en détail plus loin.

[49] Il existe 27 TA en France métropolitaine et un en Corse; il existe neuf tribunaux administratifs supplémentaires dans les territoires français.

[50] Par ailleurs, les personnes peuvent à tout moment introduire une demande d'abrogation de l'arrêté d'expulsion. Cette demande d'abrogation peut être présentée à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêté d'expulsion mais uniquement si l'intéressé réside déjà hors de France, s'il est incarcéré en France, ou est assigné à résidence. Les demandes présentées après cinq ans ne peuvent être rejetées qu'après avis de la commission d'expulsion. La loi dispose que tous les arrêtés d'expulsion effectivement exécutés doivent faire l'objet d'un réexamen après cinq ans. L'autorité compétente doit tenir compte de l'évolution de la menace que constitue pour l'ordre public la présence de l'intéressé en France, des changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et des garanties de réinsertion professionnelle ou sociale qu'il présente. Ce réexamen automatique ne donne pas lieu à consultation de la commission d'expulsion mais une décision négative est susceptible de recours. CESEDA, art. L.524.

[51] Interview de Dominique de Villepin, Le Figaro, 13 mai 2004.

[52] Assemblée nationale, «Compte rendu, première séance du mercredi 19 mai 2004», http://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2003-2004/20040224.asp (consulté le 17 novembre 2006).

[53] Le SJA a souligné qu' «un tel projet manifeste une défiance du Gouvernement vis-à-vis de l'aptitude des tribunaux administratifs à concilier les exigences de l'ordre public et la protection des libertés et remet en cause les principes mêmes qui sont à la base de la création des tribunaux administratifs». «Projet de transfert de compétence juridictionnelle en matière d'expulsion et de modification du champ d'application de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945: Analyses critiques du SJA, étude du 18 juin 2004», dans Syndicat de la Juridiction Administrative, «Dossier documentaire relatif au projet de réforme de la procédure juridictionnelle aux arrêtés ministériels d'expulsion des étrangers», 26 juin 2004, http://www.rajf.org/article.php3?id_article=2583 (consulté le 10 octobre 2006).

[54] Code de justice administrative (CJA), art. L. 521-1. 

[55] Dans sa décision dans l'affaire Dos Santos Martins, le Conseil d'État a relevé que «la condition d'urgence est remplie quand la suspension d'un arrêté d'expulsion est demandée dès lors que cet arrêté est immédiatement exécutoire et qu'il n'existe aucun recours suspensif», décision du Conseil d'État, 14 décembre 2001, Ministre de l'Intérieur c. Dos Santos Martins, No. 234323.

[56] CJA, art. L. 523-1.

[57] CJA, art. L. 521-2.

[58] Ibid.

[59] CJA, art. L. 523-1.

[60] CJA, art. L. 522-1.

[61] CJA, art. L. 522-3.

[62] CJA, art. L. 523-1.

[63] Entretien de Human Rights Watch avec Emmanuelle Prada-Bordenave, commissaire du gouvernement, Conseil d'État, Paris, 6 décembre 2006.

[64] En dépit de son nom, le commissaire du gouvernement est un conseiller indépendant qui présente un rapport sur un cas déterminé et recommande la décision à prendre de préférence. Ses avis ne sont pas contraignants pour les juges du Conseil d'État mais ils sont souvent suivis.

[65] Ibid.

[66] Décision du Conseil d'État, 3 mars 2003, Ministre de l'Intérieur c. Rakhimov, No. 238662.

[67] Décision du Conseil d'État, 29 décembre 1997, Ministre de l'Intérieur c. Salah Karker, No. 168042; décision du Conseil d'État, 25 février 1998, Ministre de l'Intérieur c. Monsieur Magri, No. 163007; et décision du Conseil d'État, 29 juillet 1998, Ministre de l'Intérieur c. Monsieur Chiabani, No. 165622.  Cité dans le dossier soumis par le Ministre de l'Intérieur au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, daté du 24 mars 2006, dans l'affaire Ministre de l'Intérieur c. Mister Yashar Ali, No. 0401902-2.  Copie en possession de Human Rights Watch.

[68] Bien que Nicolas Sarkozy, lors de son premier mandat de ministre de l'intérieur, ait annoncé en octobre 2002 que les notes blanches non signées ne seraient plus autorisées et que Dominique De Villepin ait réaffirmé cette politique en juin 2004 lorsqu'il a assumé cette fonction, les notes blanches  non signées continuent d'être présentées comme preuves dans les affaires d'expulsion, comme le démontrent des cas récents examinés par Human Rights Watch et comme l'ont confirmé des représentants du Ministère de l'Intérieur. Entretien de Human Rights Watch avec Jean-Pierre Guardiola, Chef de service à la Sous-Direction des étrangers et de la circulation transfrontière, et Christian Pouget, Chef du bureau du droit et des procédures d'éloignement, Direction des libertés publiques et des affaires juridiques, Ministère de l'Intérieur, Paris, 6 décembre 2006.

[69] Entretien de Human Rights Watch avec un agent des RG qui a tenu à préserver son anonymat, Paris, 30 juin 2006. Plusieurs personnes frappées d'une interdiction du territoire français ont également confié à Human Rights Watch qu'on leur avait dit qu'elles pourraient rester en France si elles devenaient des indicateurs.

[70] Entretien de Human Rights Watch avec Mahmoud Hébia, avocat, Lyon, 22 juin 2006.

[71] L'OFPRA peut octroyer une «protection subsidiaire» d'un an, renouvelable, aux personnes qui ne remplissent pas toutes les conditions relatives au statut de réfugié mais qui, en cas de renvoi, seraient exposées à une menace grave de mort, de torture ou de traitements inhumains.

[72] Entretien de Human Rights Watch avec Dominique Noguères, avocate, Paris, 6 octobre 2006.

[73] Décision du Conseil d'État, 3 mars 2003, Ministre de l'Intérieur c. Rakhimov, No. 238662.

[74] Cité dans le rapport du commissaire du gouvernement Mattias Guyomar dans Conseil d'État, Ministre de l'Intérieur c. Bouziane, 4 octobre 2004, Nos. 266947 et 266948, p. 5.  Copie en possession de Human Rights Watch.

[75] Mémoire du Ministère de l'Inté rieur contre le recours déposé par Chellali Benchellali, présenté au tribunal administratif de Lyon le 20 avril 2004.

[76] Décision de la Cour administrative d'appel de Nantes, 3 mai 2001, Ministre de l'Intérieur c. Jean-Claude Ndouke, No. 98NTO2794.

[77] Rapport du Commissaire du Gouvernement Guyomar, Conseil d'État, Ministre de l'Intérieur c. Bouziane, p. 9.

[78] Décision du Conseil d'État, 11 octobre 1991, Ministre de l'Intérieur c. Diori, No. 128160; décision du Conseil d'État, 3 mars 2003, Ministre de l'Intérieur c. Rakhimov, No. 238662; décision du Conseil d'État, 4 octobre 2004, Ministre de l'Intérieur c. Bouziane, No. 266948.

[79] La France a ratifié la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, 189 U.N.T.S. 150, le 23 juin 1954. La Convention est entrée en vigueur le 22 avril 1954.

[80] La législation française prévoit le placement en rétention dans l'attente d'un éloignement lorsque le gouvernement a besoin de temps pour organiser l'éloignement physique d'une personne, par exemple lorsqu'il doit obtenir un passeport ou un laissez-passer pour cette personne auprès du pays dont elle a la nationalité. Le préfet local peut placer une personne en rétention pendant 48 heures; si ce délai est insuffisant, une autorité judiciaire spéciale dénommée «juge des libertés et de la détention» peut prolonger la rétention pour une période de 15 jours, renouvelable une fois. La durée totale maximale de rétention d'une personne en attente d'éloignement est par conséquent de 32 jours. CESEDA, art. L. 552-1. 

[81] Entretiens de Human Rights Watch avec Stéphane Julinet, membre du Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), Paris, 6 décembre 2006, et avec Lucile Hugon et Sophie Crozet, Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT-France), Paris, 5 octobre 2006.  Le budget de la CRR est toutefois déterminé par l'OFPRA avec lequel elle partage également son personnel.

[82] CESEDA, art. L. 742-3.

[83] CESEDA, art. L. 742-6.  La procédure prioritaire est appliquée dans d'autres cas également, notamment lorsque la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile, ou que la personne est un ressortissant d'un pays considéré comme un«pays d'origine sûr» (CESEDA, art. L. 741-4).

[84] En 2004, l'OFPRA a traité 9 212 demandes d'asile dans le cadre de la procédure prioritaire accélérée (16 pour cent du nombre total de demandes d'asile traitées cette même année). Le taux de reconnaissance dans ces cas est peu élevé: seul 1,8 pour cent des personnes dont la demande a été traitée selon cette procédure a obtenu l'un ou l'autre type de protection (soit le statut de réfugié, soit la protection subsidiaire). Le taux de reconnaissance général pour les demandes d'asile de 2004 s'élevait à 16,6 pour cent. Conseil européen sur les réfugiés et les exilés, "Country Report 2004: France,"  www.ecre.org/country04/France%20-%20FINAL.pdf (consulté le 1er août 2006).

[85]HCR, «Observations du HCR relatives à la Communication de la Commission européenne sur 'Un régime d'asile européen commun plus efficace : la procédure unique comme prochaine étape'»

août 2004,

http://www.unhcr.fr/cgi-bin/texis/vtx/protect/opendoc.pdf?tbl=PROTECTION&id=43661fb22

(consulté le 15 novembre 2006), para. 10

[86]Réseau UE d'Experts indépendants en matière de droits fondamentaux, «Rapport relatif à la situation des droits fondamentaux dans l'Union européenne et ses États membres en 2005: Conclusions et recommandations», http://ec.europa.eu/justice_home/cfr_cdf/doc/report_eu_2005_fr.pdf (consulté le 21 novembre 2006), p. 140.

[87] CESEDA, art. L. 712-1. 

[88] Ibid., arts. L. 712-2 et 712-3. La protection subsidiaire est également refusée ou annulée si la personne a commis un crime de guerre, un crime contre la paix, un crime contre l'humanité, un crime grave de droit commun, ou si elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

[89] Le renvoi vers un pays où il existe un risque de torture est interdit par la Convention européenne des droits de l'homme, la Convention contre la torture et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La France a ratifié ces trois traités. Pour de plus amples informations, voir plus loin le chapitre sur la Protection contre le renvoi lorsqu'il existe un risque de torture.

[90] Entretien de Human Rights Watch avec Jacques Debray, avocat, Lyon, 22 juin 2006.

[91] Amnesty International, «Des pouvoirs illimités: La pratique de la torture par la Sécurité militaire en Algérie», AI Index: MDE 28/004/2006, 10 juillet 2006, http://web.amnesty.org/library/index/framde280042006 (consulté le 1er septembre 2006). 

[92] Ibid., p. 16.

[93] Pour une analyse de l'amnistie, voir «Algérie: La nouvelle loi d'amnistie assure l'impunité aux responsables des atrocités», communiqué de presse de Human Rights Watch, 1er mars 2006, http://hrw.org/french/docs/2006/03/01/algeri12747.htm

[94] Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture), adoptée le 10 décembre 1984, G.A. Res. 39/46, annex, 39 UN GAOR Supp. (No. 51) at 197, UN Doc A/39/51 (1984), entrée en vigueur le 26 juin 1987.

[95] Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 213 U.N.T.S. 222, entrée en vigueur le 3 septembre 1953, telle qu'amendée par les Protocoles 3, 5, 8 et 11, lesquels sont entrés en vigueur respectivement le 21 septembre 1970, le 20 décembre 1971, le 1er janvier 1990, et le 1er novembre 1998.

[96]AffaireSoering c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, Séries A no. 161, disponible sur www.echr.coe.int, para. 88.

[97]Affaire Chahal c. Royaume-Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Arrêts et décisions 1996-V, disponible sur www.echr.coe.int, para. 79-80. Le Comité contre la torture, organe de l'ONU chargé de superviser la mise en œuvre de la Convention contre la torture, a déclaré que «la nature des agissements de la personne concernée ne peut entrer en ligne de compte au moment de prendre une décision en vertu de l'article 3 de la Convention» [Traduction de Human Rights Watch],Décision du Comité de l'ONU contre la torture: Tapia Paez c. Suède, CAT/C/18/D/39/1996, 28 avril 1997, http://www1.umn.edu/humanrts/cat/decisions/39-1996.html (consulté le 20 novembre 2006), para. 14.5.

[98] CESEDA, art. L. 513-2.

[99] Entretien de Human Rights Watch avec Dilek D. (pseudonyme), Villeurbanne, France, 23 juin 2006.

[100] Entretien de Human Rights Watch avec Lucile Hugon, chargée de mission Asile, ACAT-France, Paris, 5 octobre 2006.

[101] Entretien de Human Rights Watch avec Stéphane Julinet, magistrat administratif, Paris, 6 décembre 2006. Le Magistrat Julinet a parlé en sa qualité de représentant du Syndicat de la Juridiction Administrative (SJA), qui regroupe les magistrats administratifs. Entretien séparé de Human Rights Watch avec un juge administratif qui a tenu à garder l'anonymat, Paris, 6 décembre 2006.

[102] Entretien de Human Rights Watch avec Stéphane Julinet, magistrat administratif, Paris, 6 décembre 2006. 

[103] Ibid.

[104] Il est intéressant de noter qu'une exception existe déjà: les recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière des immigrés en situation irrégulière  sont automatiquement suspensifs. Des experts en droit administratif ont expliqué à Human Rights Watch que ce droit avait été fermement établi au début des années 1990 après qu'une série de réformes contradictoires eut, à plusieurs reprises, transféré ces recours de la juridiction administrative à la juridiction pénale et inversement. Le principe qui est aujourd'hui accepté est que les immigrés en situation irrégulière ne constituent pas par nature une menace pour l'ordre public et qu'ils devraient par conséquent bénéficier d'une plus grande protection. Entretien de Human Rights Watch avec Emmanuelle Prada-Bordenave, commissaire du gouvernement, Conseil d'État, Paris, 6 décembre 2006; entretien de Human Rights Watch avec Stéphane Julinet, magistrat administratif,  Paris, 6 décembre 2006.

[105]La CEDH a statué que puisque la majorité des affaires d'immigration ou d'asile ne consistaient pas à résoudre des litiges portant sur les droits et obligations civils et qu'il ne s'agissait pas d'affaires pénales, le droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention ne pouvait être invoqué. Voir Affaire Maaouia c. France [GC], no. 39652/98, ECHR 2000-X, disponible sur www.echr.coe.int, paras. 35-40.

[106] Voir Affaire Al-Nashif c. Bulgarie , no. 50963/99, 20 juin 2002, disponible sur www.echr.coe.int, paras. 123, 133.

[107]AffaireMamatkulov et Askarov c. Turquie  [GC], nos. 46827/99 et 46951/99), ECHR 2005-I, disponible sur www.echr.coe.int, para. 124.

[108]Affaire Conka c. Belgique, no. 51564/99, ECHR 2002-I, disponible sur www.echr.coe.int, paras. 82-83.

[109]Affaire Gebremedhin c. France, no.25389/05, disponible sur www.echr.coe.int, paras. 65-66.

[110] Ibid., para. 66.

[111] Comité de l'ONU contre la torture, Décision: Agiza c. Suède, CAT/C/34/D/233/2003, 20 mai 2005, http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(Symbol)/3ef42bcd48fe9d9bc1257020005533ca?Opendocument (consulté le 1er janvier 2007), para. 13.7.

[112] Comité de l'ONU contre la torture, Décision: Brada c. France, CAT/C/34/D/195/2002, 24  mai 2005, http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(Symbol)/0f6b68ebf5876f0bc12570210047b6b4?Opendocument (consulté le 22 novembre 2006). Brada avait été condamné en 1998 à huit ans de prison et une interdiction du territoire français de dix ans.

[113] Ibid., para. 13.3.

[114] Ibid., para. 7.8

[115] Ibid., para. 6.1

[116] Ibid., para. 13.4.

[117] Ibid., para. 8.2

[118] Ibid.

[119]Comité de l'ONU contre la torture, Décision: Agiza c. Suède, para. 13.10.

[120] Charlotte Rotman et Michel Henry, «Le cas de Monsieur Hamani», Libération (Paris), 12 octobre 2001.

[121] Décision du Conseil d'État, 15 octobre 2001, Ministre de l'Intérieur c. Hamani, Nos. 238943 et 239022.

[122] Michel Samson, «Le Conseil d'État autorise l'expulsion vers l'Algérie de l'islamiste Nacer Hamani», Le Monde, 16 octobre 2001.

[123] Massoud était un chef militaire qui s'est battu contre l'occupation soviétique de l'Afghanistan. Il est ensuite devenu le dirigeant du Front islamique uni pour le salut de l'Afghanistan, combattant les Talibans.

[124] Entretien de Human Rights Watch avec Adel Tebourski, Tunis, 31 octobre 2006.

[125] Décision de la Commission des recours des réfugiés, datée du 17 octobre 2006.  Copie en possession de Human Rights Watch.

[126] Voir, par exemple, la décision du Conseil d'État, 1er avril 1998, Ministère de l'Intérieur c. Kisa, No. 163901.

[127] Décision du Conseil d'État, 16 octobre 1998, Ministre de l'Intérieur c. Antate, No. 171333.

[128] Mémoire Appel du Jugement rendu le 7 juillet 2005 par la 1ere Chambre du Tribunal Administratif de Lyon (Dossier No. 0401903-1), déposé par Bérenger Tourné au nom de Chellali Benchellali devant la Cour administrative d'appel de Lyon, 7 septembre 2005. 

[129] Le préfet local est chargé de prendre les mesures nécessaires pour effectuer l'éloignement physique, notamment, dans la plupart des cas, en prenant un arrêté fixant le pays de destination.

[130] Les «Kaplanites» sont des disciples de Metin Kaplan, le chef du «Califat» qui chercherait à renverser le gouvernement turc et à instaurer un État islamique dans ce pays. Cette organisation, basée en Allemagne, a été interdite par le gouvernement allemand en 2001.

[131] Plusieurs demandes de visa introduites aux consulats algériens de Rome et de Milan ont été rejetées pour des motifs procéduraux. Le consulat d'Algérie à Milan a accepté la demande fin octobre 2006. En mars 2007, aucune décision n'avait encore été prise à propos de la demande de visa, en dépit d'appels téléphoniques répétés et de visites personnelles au consulat.

[132] Les quatre autres ont été interrogés pendant des périodes allant de 30 minutes à plusieurs heures, avant d'être relâchés.

[133] Certains ont été condamnés à des peines de trois ou quatre ans, dont deux ou trois ans avec sursis. Par conséquent, la peine de prison ferme n'était que d'un an.

[134] Entretien de Human Rights Watch avec Mehdi E. (pseudonyme), Alger, 17 novembre 2006.

[135] Entretien de Human Rights Watch avec Nejla E. (pseudonyme), Vaulx-en-Velin, France, 7 décembre 2006.

[136] Entretien de Human Rights Watch avec Driss Saiad, Alger, 14 novembre 2006.

[137] Entretien de Human Rights Watch avec Hazim S. (pseudonyme), Alger, 14 novembre 2006.

[138] Entretien de Human Rights avec Khelif Zoubir, Alger, 14 novembre 2006.

[139] Entretien de Human Rights Watch avec Abdelkader Bouziane, Oran, Algérie, 16 novembre 2006.

[140] Entretien de Human Rights Watch avec Mohamed Touam, Alger, 15 novembre 2006.

[141] Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Mohamed Touam, 21 décembre 2006.

[142] Entretien de Human Rights Watch avec Hazim S., Alger, 14 novembre 2006.

[143] Entretien de Human Rights Watch avec Mehdi E., 17 novembre 2006.

[144] Katrin Bennhold, «France stands firm on deportation of cleric», International Herald Tribune, 26 juillet 2005.

[145] Migration Policy Group, «Migration News Sheet», octobre 2006, p. 3.

[146] Jean Chichizola, «Dix-sept activistes islamistes expulsés en 2006», Le Figaro, 16 janvier 2007.

[147] Cette liste ne comprend que les personnes résidant légalement en France, qui ont fait l'objet d'un arrêté ministériel d'expulsion en vertu de l'article L. 521-3 du CESEDA, ou de son précurseur, l'article 26 de l'Ordonnance de 1945.

[148] Le terme «salafisme» se réfère à une interprétation fondamentaliste de l'islam. Le spécialiste français de l'islam, Gilles Kepel, affirme que le salafisme contemporain compte deux branches: la salafisme conservateur ou «piétiste» qui prône une interprétation rigoureuse de l'islam mais pas un engagement politique, et le salafisme «djihadiste» qui conjugue une lecture fondamentaliste de l'islam à une conviction que l'engagement dans une guerre sainte contre les ennemis de l'islam, y compris les mauvais musulmans, est nécessaire.

[149] Kim Housego, «France May Expel Islamic Extremists», Associated Press, 17 avril 2003.

[150] Pour une analyse des différentes idéologies islamistes fondamentalistes rivales représentées en France, voir Gilles Kepel, «The Battle for Europe» dansThe War for Muslim Minds: Islam and the West (Boston: Harvard University Press, 2004).

[151] Loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, arts. 23 et 24.

[152] Entretien de Human Rights Watch avec un journaliste (qui a souhaité garder l'anonymat), Paris, 4 octobre 2006.

[153] IPSOS, «L'opinion des Français musulmans», 7 avril 2003, www.ipsos.fr/CanalIpsos/poll/7756.asp (consulté le 5 février 2007).

[154] PIDCP, art. 19; Convention européenne, art. 10.

[155]Affaire Handyside c. Royaume-Uni, arrêt du 7 décembre 1976, Séries A no. 24, disponible sur www.echr.coe.int, para. 49.

[156] PIDCP, art. 19, (3)(b) et Convention européenne, art. 10 (2).

[157] PIDCP, art. 20; Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptée le 21 décembre 1965, G.A. Res. 2106 (XX), annex, 20 U.N. GAOR Supp. (No. 14) at 47, U.N. Doc. A/6014 (1966), 660 U.N.T.S. 195, entrée en vigueur le 4 janvier 1969, art. 4.

[158]Affaire Müslüm Gündüz c. Turquie No. 1, no. 35071/97, ECHR 2003-XI, disponible sur www.echr.coe.int, para. 40.

[159] Voir par exemple, AffaireCeylan c. Turquie [GC], no. 23556/94, ECHR 1999-IV, disponible sur www.echr.coe.int, para. 32.

[160]AffaireÖzgür Gündem c. Turquie , no. 23144/93, ECHR 2000-III, disponible sur www.echr.coe.int, para. 65. 

[161]AffaireÖztürk  c. Turquie  [GC], no. 22479/93, ECHR 1999-VI, disponible sur www.echr.coe.int, para. 69.

[162] Voir AffaireAssociation Ekin c. France, no. 39288/98, ECHR 2001-VIII; Affaire Okçuoglu c. Turquie  [GC], no. 24246/94, 8 juillet 1999; et AffaireMüslüm Gündüz c. Turquie No. 1.  Toutes disponibles sur www.echr.coe.int.

[163] Convention du Conseil de l'Europe pour la  prévention du terrorisme, CETS 196, Varsovie, 16 mai 2005, article 5(1).

[164] Ibid.

[165] Ibid., art. 5(2).

[166] Les Principes de Johannesburg relatifs à la sécurité nationale, à la liberté d'expression et à l'accès à l'information, U.N. Doc E/CN.4/1996.39 (1996), http://wwwserver.law.wits.ac.za/humanrts/instree/Fjohannesburg.html (consulté le 10 novembre 2006), principe 6.

[167] Ordonnance No. 0402886 du 23 avril 2004 du Juge des référés, M. du Besset, Tribunal administratif de Lyon, suspendant l'exécution de l'expulsion administrative; Conclusions du Commissaire du gouvernement, Mattias Guyomar, Conseil d'État, dans l'affaire du Ministère de l'Intérieur c. M. Bouziane, 4 octobre 2004.  Copies des deux documents en possession de Human Rights Watch.

[168] Arrêté ministériel d'expulsion, 26 février 2004, DA No. 002572056/No. 280.

[169] Interview d'Abdelkader Bouziane, Lyon Mag, 2 avril 2004.

[170]Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Mahmoud Hébia, avocat, 17 mai 2007.

[171]En dépit de son nom, le commissaire du gouvernement est un conseiller indépendant qui présente un rapport sur un cas déterminé et recommande la décision à prendre de préférence. Ses avis ne sont pas contraignants pour les juges du Conseil d'État mais ils sont souvent suivis. 

[172] Conclusions du Commissaire du Gouvernement Mattias Guyomar, Conseil d'État, dans l'affaire Ministre de l'Intérieur c. M. Bouziane, 4 octobre 2004, p. 9.

[173] Ibid., pp. 9-10.

[174]Note Blanche sur Abdelkader Bouziane, titre DCRG/SDR, présentée comme preuve au Conseil d'État le 12 mai 2004, p. 4.

[175] Mourad Benchellali, accompagné de trois des cinq autres ressortissants français détenus à Guantanamo, a été renvoyé en France en juillet 2004 et placé en détention provisoire pour association de malfaiteurs. Il fait actuellement l'objet d'un procès pour association de malfaiteurs.

[176] Son fils, Menad Benchellali, jugé avec lui, a été condamné à 10 ans de prison, la peine maximale prévue en cas d'association de malfaiteurs. Hafsa Benchellali a été condamnée à deux ans de prison avec sursis, tandis que Hafed Benchellali a été condamné à quatre ans de prison.

[177] Cité dans Mémoire Appel du Jugement rendu le 7 juillet 2005 par la 1ere chambre du Tribunal Administratif de Lyon, No. 0401903-1), présenté par Bérenger Tourné au nom de Chellali Benchellali.

[178] Ibid.

[179] Ibid.

[180] Entretien de Human Rights Watch avec Boualam Azzaoum, militant, DiverCité, Lyon, 23 juin 2006.

[181] Entretien de Human Rights Watch avec Bérenger Tourné, avocat, Paris, 27 juin 2006.

[182] Arrêté ministériel d'expulsion, 26 août 2005.  En lettres majuscules dans l'original.

[183] Le gouvernement allemand a expulsé Metin Kaplan vers la Turquie en octobre 2004 sur la base d'assurances diplomatiques. Pour une analyse de ce cas, voir Human Rights Watch,Cas liés aux assurances diplomatiques contre la torture: Faits nouveaux depuis mai 2005,  janvier 2007, http://www.hrw.org/french/backgrounder/2007/eu0107/ ; et "Empty Promises": Diplomatic Assurances No Safeguard Against Torture, vol. 16, no. 4 (D), avril 2004, http://www.hrw.org/reports/2004/un0404/diplomatic0404.pdf.

[184] Rapport des Renseignements Généraux sur Abdullah Cam, présenté comme preuve dans l'affaire d'expulsion, daté du 1er juillet 2005, p. 15.

[185] Ibid., p. 5.

[186] Ibid., p. 4.

[187] CEDH, Affaire Öztürk  c. Turquie, para. 64.

[188] Entretien de Human Rights Watch avec Mahmoud Hébia, avocat, Lyon, 22 juin 2006.

[189] Dans son rapport le plus récent, publié en 2005, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) « note avec inquiétude que la loi ne garantit pas pleinement le droit à la vie privée et familiale, dans toute son acception» et «recommande vivement aux autorités françaises de s'assurer qu'aucune mesure d'éloignement ne soit prononcée contre un non-ressortissant en violation de son droit à la vie privée et familiale». ECRI, Troisième rapport sur la France, adopté le 25 juin 2004 et rendu public le 15 février 2005, CRI (2005) 3, http://www.coe.int/t/f/droits_de_l'homme/ecri/1-ecri/2-pays-par-pays/france/France_CBC_3.asp (consulté le 6 février 2007), paras. 47-48.

[190] Voir AffaireBoultif c. Suisse, no. 54273/00, ECHR 2001-IX, para. 48; AffaireMokrani c. France, no. 52206/99, 15 juillet 2003, para. 30.  Toutes deux disponibles sur www.echr.coe.int.

[191] Voir décision du Conseil d'État, 25 juillet 1980, Touami ben Abdeslem c. Ministre de l'Intérieur, No. 21222, et décision du Conseil d'État, 6 décembre 1985, Ministre de l'Intérieur c. Chrouki, No. 55912.

[192]AffaireBeldjoudi c. France, arrêt du 26 mars 1992, Séries A no. 234-A, disponible sur www.echr.coe.int. 

[193]Affaire Mokrani c. France; Affaire Mehemi c. France, arrêt du 26 septembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI., disponibles sur www.echr.coe.int.  Suite à l'arrêt dans l'Affaire Ali Mehemi, la cour d'appel compétente a commué l'interdiction à titre définitif en interdiction temporaire de 10 ans et le Ministère de l'Inté rieur a délivré un visa à Mehemi pour revenir en France, assorti d'un arrêté d'assignation à résidence. Mehemi a introduit une seconde requête auprès de la CEDH, alléguant que l'existence continue de la peine d'interdiction temporaire constituait une ingérence disproportionnée dans l'exercice de son droit à la vie familiale, mais la Cour a estimé que comme la délivrance du visa avait privé l'arrêté de tout effet légal, il n'y avait pas violation de l'article 8. En ce qui concerne l'arrêté d'assignation à résidence, la Cour ne l'a pas examiné sur le fond car Mehemi ne l'avait pas contesté devant les tribunaux français, et lorsque l'arrêté d'interdiction de 10 ans est arrivé à échéance, le Ministère a levé l'assignation à résidence. Affaire Mehemi c. France (no. 2), no. 53470/99, ECHR 2003-IV, disponible sur www.echr.coe.int.

[194]Affaire Ezzouhdi c. France, no. 47160/99, 13 février 2001, disponible sur www.echr.coe.int; Affaire Nasri c. France, arrêt du 13 juillet 1995, Séries A no. 320-B, disponible sur www.echr.coe.int.

[195] CEDH, Affaire Beldjoudi c. France, Opinion concordante du Juge Martens.

[196] Henry G. Schermers était membre de la Commission européenne des droits de l'homme, aujourd'hui disparue, qui, avant 1998, examinait et publiait un rapport sur le fond pour toute affaire avant que celle-ci ne puisse être transmise à la Cour européenne des droits de l'homme.

[197]Affaire Beldjoudi/Teychene c. France  (Requête N° 12083/86) (Rapport de la Commission) (Opinion Concordante de M.H.G. Schermers à laquelle Mme G.H. Thune déclare se rallier) (1990), disponible sur http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?action=html&documentId=684216&portal=hbkm&source=externalbydocnumber&table=1132746FF1FE2A468ACCBCD1763D4D8149 (consulté le 19 octobre 2006).

[198] Ibid. 

[199] CEDH, Affaire Beldjoudi c. France, Opinion concordante du Juge De Meyer. Le Comité des droits de l'homme de l'ONU a affirmé que l'interprétation du terme «son propre pays» dans l'article 12 du PIDCP, garantissant le droit à la liberté de circulation, n'est «pas limitée à la nationalité au sens strict du terme, à savoir la nationalité conférée à la naissance ou acquise par la suite; l'expression s'applique pour le moins à toute personne qui, en raison de ses liens particuliers avec un pays ou de ses prétentions à l'égard d'un pays, ne peut être considérée dans ce même pays comme un simple étranger…» Observation générale 27 du Comité des droits de l'homme, Liberté de circulation (Art. 12), Doc. ONU CCPR/C/21/Rev.1/Add.9 (1999), http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(Symbol)/8266a76bd97f1a43802568240057b10c?Opendocument (consulté le 10 décembre 2006).

[200] Voir par exemple Affaire Mehemi c. France (no. 2), para. 45.

[201] Entretien de Human Rights Watch avec Nadija R., Paris, 5 décembre 2006.

[202] Lettre datée du 30 septembre 2002.  Copie en possession de Human Rights Watch.

[203] Entretien de Human Rights Watch avec Dilek D., Villeurbanne, France, 23 juin 2006.

[204] Entretien de Human Rights Watch avec Nadija R., Paris, 5 décembre 2006.

[205] Note manuscrite de la psychologue de l'Education nationale, datée du 3 octobre 2006.

[206] Entretien de Human Rights Watch avec Florence T., Montfermeil, France, 7 décembre 2006.

[207] Ibid.

[208] Entretien de Human Rights Watch avec Leila N., Paris, 4 décembre 2006.

[209] Ibid.

[210] Entretien de Human Rights Watch avec Nadija R., Paris, 5 décembre 2006.

[211] CESEDA, arts. L. 513-4, L. 523-3 à L 523-5, L. 541-3. Les arrêtés d'assignation à résidence peuvent être imposés dans une variété de situations où une personne forcée de quitter le territoire démontre qu'elle ne peut être renvoyée vers son pays d'origine. Leur usage ne se limite pas aux cas liés à la sécurité nationale.

[212] CESEDA, art. L 624-4.

[213] Par exemple, l'arrêté assignant à résidence Yashar Ali, un réfugié irakien, indique en son article 1 qu'il est assigné à résidence «jusqu'au moment où il  aura la possibilité de déférer à l'arrêté d'expulsion» L'article 2 précise que chaque mois, il doit fournir la preuve de ses efforts pour trouver un pays tiers disposé à l'accepter. Ministère de l'Intérieur, arrêté daté du 24 février 2004. Copie en possession de Human Rights Watch.

[214] Entretien de Human Rights Watch avec Jean-Pierre Guardiola, Ministère de l'Intérieur, Paris, 6 décembre 2006.

[215] Ibid.

[216] Note blanche sur Yashar Ali, non datée et non signée, présentée au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 19 mars 2004.  Copie en possession de Human Rights Watch.

[217] Entretien de Human Rights Watch avec Stéphane Nakache et Abdel Kherrar, avocats, Paris, 4 octobre 2006.

[218] Entretien de Human Rights Watch avec Dominique Noguères, avocate, Paris, 29 juin 2006.

[219] Cette affaire a également fait l'objet d'une décision du Comité des droits de l'homme de l'ONU. Communication No 833/1998, 30 octobre 2000, CCPR/C/70/D/833/1998, http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(Symbol)/CPPR.C.70.D.833.1998.Fr?Opendocument (consulté le 20 janvier 2007).

[220] Entretien de Human Rights Watch avec Mouldi Gharbi, Paris, 3 octobre 2006.

[221] Protocole 4 à la Convention européenne, art. 2; PIDCP, art. 12.

[222] Voir, par exemple, AffaireGuzzardi c. Italie, arrêt du 6 novembre 1980, Séries A. no. 39, disponible sur www.echr.coe.int, para. 95, dans lequel la Cour européenne des droits de l'homme a estimé que les conditions imposées en Italie dans un arrêté d'assignation à résidence se rangeaient dans la catégorie des privations de liberté.

[223]Communication No 833/1998 Karker c. France, Décision du 30 octobre 2000, CCPR/C/70/D/833/1998, http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(Symbol)/CPPR.C.70.D.833.1998.Fr?Opendocument (consulté le 20 janvier 2007).

[224] Pour une analyse circonstanciée des ordonnances de contrôle au Royaume-Uni, voir Human Rights Watch, Commentary on Prevention of Terrorism Bill 2005, 1er mars 2005, http://hrw.org/backgrounder/eca/uk0305/.

[225] Loi no. 1423 du 27 décembre 1956.

[226] Section 3 de la Loi 1423/56.

[227] Loi no. 327 du 3 août 1988.

[228] Voir AffaireGuzzardi c. Italie ; Affaire Raimondo c Italie , arrêt du 22 février 1994, Séries A no. 281-A, disponible sur www.echr.coe.int ; et AffaireLabita c. Italie  [GC], no. 26772/95, ECHR 2000-IV, disponible sur www.echr.coe.int. Toutes ces affaires concernaient des personnes soupçonnées d'implication dans la mafia.

[229] Loi suédoise de 1980 relative aux étrangers, art. 48 (1).

[230] Comité des droits de l'homme, Celepli c. Suède, Communication No. 456/1991, Décision du 2 août 1994, CCPR/C/51/D/456/1991.

[231] Le paragraphe 3 prévoit des restrictions à la liberté de circulation qui sont «prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l'ordre public, … et compatibles avec les autres droits reconnus par le présent Pacte».

[232] Loi de 1991 relative aux contrôles spéciaux à l'égard des étrangers, article 11.

[233] Ibid., article 20.

[234] International Crisis Group (ICG), «La France face à ses musulmans: émeutes, jihadisme et dépolitisation», Rapport Europe No. 172, 9 mars 2006, http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?l=2&id=4014 (consulté le 10 avril 2006).

[235] Ibid., p. 4.

[236] Entretien de Human Rights Watch avec Samy Debah, Collectif contre l'islamophobie, Paris, 30 juin 2006.

[237] Interview de Dominique de Villepin, Ministre de l'Intérieur à l'époque, Le Figaro, 13 mai 2004.

[238] "The French lesson," The Economist, 13 août 2005.

[239] Stéphanie Giry, "France and its Muslims," Foreign Affairs, septembre/octobre 2006, http://www.foreignaffairs.org/20050901faessay85508/stephanie-giry/france-and-its-muslims.html (consulté le 17 octobre 2006).

[240] Entretien de Human Rights Watch avec Kamel Kabtane, recteur, Grande Mosquée de Lyon, Lyon, 23 juin 2006.

[241] Elaine Ganley, «France targets radical imams in bid to keep terrorism at bay», Associated Press, 3 mai 2004.

[242] Entretien de Human Rights Watch avec Samy Debah, Collectif contre l'islamophobie, 1er février 2007. En septembre 2006, Robert Redeker, écrivain et philosophe français, a publié une tribune dans le quotidien français Le Figaro, dans laquelle il décrivait le Prophète Mahomet comme étant un «chef de guerre impitoyable, pillard, massacreur de juifs et polygame» et qualifiait le Coran de «livre d'inouïe violence». Il a bénéficié par la suite d'une protection policière après avoir reçu des menaces de mort. Un groupe d'intellectuels français a publié une défense du droit de Redeker à la liberté d'expression. La position de Human Rights Watch à propos des caricatures danoises et de la liberté d'expression est expliquée dans http://hrw.org/english/docs/2006/02/15/denmar12676.htm.

[243] Voir par exemple les notes blanches concernant Abdelkader Bouziane et Abdullah Cam, mentionnées au Chapitre V.

[244] Entretien de Human Rights Watch avec Azzedine Gaci, représentant du Conseil régional du culte musulman Rhône Alpes, Lyon, 26 juin 2006.

[245] Ibid.

[246] Entretien de Human Rights Watch avec Kamel Kabtane, 23 juin 2006.

[247] Entretien de Human Rights Watch avec Mahmoud Hébia, avocat, Lyon, 22 juin 2006.

[248]Commission des droits de l'homme de l'ONU, «Rapport soumis par le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance qui y est associée, Doudou Diène - Additif: diffamation des religions et combat global contre le racisme: antisémitisme, christianophobie et islamophobie», E/CN.4/2005/18/Add.4, 13 décembre 2004, http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/G05/102/19/PDF/G0510219.pdf?OpenElement, para. 27.

[249] Entretien de Human Rights Watch avec Dilek D., Lyon, 23 juin 2006.

[250] Entretien de Human Rights Watch avec Mouldi Gharbi, Paris, 3 octobre 2006.

[251] Intervention de Nicolas Sarkozy, Ministre de l'Intérieur, lors d'une conférence de presse tenue le 8 juin 2006, http://www.interieur.gouv.fr/misill/sections/a_l_interieur/le_ministre/interventions/08-06-2006-evolutions-securite/view (consulté le 15 juin 2006).

[252] Entretien de Human Rights Watch avec Kamel Kabtane, Lyon, 23 juin 2006.