Craindre pour sa vie

Violences contre les hommes gays et perçus comme tels au Sénégal

 

Craindre pour sa vie

Violences contre les hommes gays et perçus comme tels au Sénégal

Résumé
Principales recommandations
Remarques méthodologiques et terminologiques
Deux récits illustrant le pouvoir de la police, la « panique morale » et le drame de vies gâchées
Le scandale du « mariage gay
Les « neuf homosexuels de Mbao
Une multitude d’exactions : arrestations arbitraires, violences de la communauté
Arrestations arbitraires et mauvais traitements infligés par la police
Actes de violence commis par des acteurs non étatiques
« Au Sénégal, tu n’as pas besoin de preuves, les soupçons suffisent »
Suspicion et secret
Stratégies de « passing
La valeur culturelle de la vie privée
Les instigateurs de la peur: le rôle des chefs religieux et des médias
Campagne contre les homosexuels
Évolution du paysage religieux
Rôle des chefs religieux condamnant l’homosexualité
Rôle des médias dans l’escalade de la violence
VIH/SIDA et actes homosexuels au Sénégal
Les effets des violences sur le travail de sensibilisation au VIH/SIDA
Témoignages d’hommes gays séropositifs
Normes juridiques internationales et sénégalaises
Recommandations
Glossaire
Remerciements

 

Résumé

Les violences à l’encontre des personnes fondées sur l’orientation sexuelle et l’expression de genre se sont intensifiées au Sénégal début 2008. Les hommes se disant gays ou perçus comme tels sont progressivement devenus la cible de la vindicte populaire et d’arrestations arbitraires. Human Rights Watch a pu établir l’existence de nombreux cas de violences lors d’une enquête menée en 2009 et début 2010 : brutalités policières, détentions arbitraires, menaces physiques, agressions, insultes, chantage, extorsion, et vol. Nous avons également analysé le rôle joué par les médias et les institutions religieuses dans l’instauration du de ce climat de violence.

Bien que de récentes réactions paniquées au Sénégal aient dépeint l’homosexualité comme un phénomène nouveau et d’origine étrangère, l’ensemble des données disponibles - chiffrées ou basées sur des témoignages - tendent à indiquer que les relations homosexuelles entre hommes et entre femmes existent depuis longtemps dans ce pays, même si les conditions ont varié au fil du temps. Le fait nouveau consiste en la manipulation du sentiment anti-gay par certains représentants politiques et religieux, dont le discours de haine exacerbée a conduit à une recrudescence des actes de violence commis par diverses personnes à l’encontre des hommes gay ou perçus comme tels. Cette recrudescence a été aggravée par certains médias sénégalais qui ont consacré un espace important aux diatribes de ces marchands de haine, sans pour autant accorder de la place à des arguments opposés.

Ce rapport permet de combler cette lacune, en révélant les conséquences individuelles de cette violence, et en étudiant quelques-unes des causes sous-jacentes à l’intolérance actuelle. Deux affaires illustrent parfaitement le virage dangereux qu’a pris le Sénégal : le scandale du « mariage gay » de février 2008, et l’arrestation des « neuf homosexuels de Mbao » en décembre 2008. S’appuyant sur les entretiens accordés par plusieurs hommes impliqués dans ces deux affaires, ce rapport apporte un éclairage complet sur ces événements ainsi que sur les conséquences destructrices qu’ils ont eues sur la vie de ces hommes et de nombreux autres Sénégalais. Le rapport rend également compte du cas d’autres hommes gays ou perçus comme tels, arrêtés et torturés par la police, de victimes de violences commises par des acteurs privés, et du contexte social et culturel de peur et de suspicion dans lequel ces attaques ont lieu.

Nous concluons par des recommandations adressées aux principaux ministères gouvernementaux, ainsi qu’aux groupes de la société civile et acteurs internationaux concernés par les récents événements au Sénégal. Il est essentiel que les autorités sénégalaises veillent au respect des droits fondamentaux des résidents sénégalais, qu’elles luttent contre l’impunité des attaques que commettent les acteurs privés contre des individus gays ou perçus comme tels, qu’elles assurent un accès libre à la justice et une réparation aux victimes de violences homophobes, et qu’elles favorisent une culture de la tolérance et de la diversité.

*              *            *

Le droit sénégalais réprime les actes homosexuels entre personnes consentantes. Cela étant, il suffit qu’un individu soit présumé être homosexuel pour que son arrestation soit justifiée. La répression pénale des actes sexuels entre personnes du même sexe va de pair avec l’absence de protection par l’État des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) contre les actes de violences, lesquels marginalisent davantage une population déjà vulnérable. Le fait que le Sénégal conserve cette disposition est une source de préoccupation immédiate et profonde.

L’article 319.3 du Code pénal sénégalais (adopté en 1965) réprime les actes sexuels « contre nature » de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 francs CFA (soit environ 150 à 2 000 euros). Alors même que la loi condamne une pratique et non une caractéristique individuelle (en d’autres termes, un acte, et non une identité), ce rapport montre que la loi est utilisée comme moyen de cibler certains « types » d’individus au motif de leur orientation sexuelle réelle ou perçue et/ou de leur identité et expression de genre. Leurs comportements homosexuels sont déduits de leur apparence ou s’appuient sur des ouï-dire, parfois en l’absence de toute preuve.[1]

Comme l’a affirmé la 15e conférence internationale sur le SIDA et les IST en Afrique (ICASA), qui s’est tenue au Sénégal du 3 au 7 décembre 2008, la répression pénale des actes homosexuels constitue un obstacle majeur à l’éducation, au dépistage et au traitement des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH)[2] en Afrique. Ses conséquences directes, et l’exacerbation de la réprobation que l’homosexualité suscite, poussent les populations HSH à la clandestinité, par crainte des discriminations, des violences et des arrestations.[3] Au demeurant, comme le montre le cas de Babacar dont il est rendu compte ci-dessous, les personnes qui interviennent sur le terrain pour sensibiliser les populations HSH aux risques du VIH/SIDA deviennent elles-mêmes la cible de la police et de groupes vigilantistes, fragilisant grandement la lutte contre le VIH/SIDA au Sénégal.

Au cours des trois ou quatre dernières années, les efforts du gouvernement pour favoriser la prévention du VIH/SIDA et la sensibilisation au VIH/SIDA auprès des populations HSH et homosexuelles ont facilité la création et l’intervention d’associations HSH. Faute toutefois d’organisation formelle autour de l’orientation et de l’identité sexuelles, les associations HSH offrent le seul espace social et politique pour les homosexuels et les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. S’il faut se féliciter de la prise en compte des populations HSH dans les programmes de lutte contre le VIH/SIDA, cette décision politique a eu pour effet de rendre les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes plus visibles, tant individuellement (par exemple, lorsqu’ils interviennent en tant que pair éducateur) qu’en tant que catégorie identitaire, et, par contrecoup, de rendre cette communauté, et en particulier ses membres les plus politiquement actifs et exposés, encore plus vulnérables qu’auparavant aux violences publiques et privées, ce que dénonce ce rapport.

Babacar a 36 ans. Trésorier d’une association HSH, il vit avec sa famille à Guédiawaye, ville située au nord-est de Dakar où il fait de la prévention auprès de la communauté HSH. L’association, qui compte environ 200 membres, assure des services de médiation familiale et organise des ateliers de sensibilisation aux pratiques sexuelles à moindre risque pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. Ses membres vont également à la rencontre des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes dans les lieux de drague, pour distribuer du matériel de sexe à moindre risque et donner des informations.

Babacar raconte : 

Personne ne sait que je suis gay. Les gens pensent que je suis hétéro. Mais parce que je fais du travail de prévention avec des HSH, je vais dans des lieux de drague, je parle à des hommes gays, je leur donne des préservatifs et du gel. Les gens nous traitent parfois de tous les noms lorsqu’ils nous voient. J’ai été menacé plusieurs fois [...].
 
Je ne prends aucun risque. Les gens savent que je fais de la prévention au VIH mais c’est tout, ils ne savent pas que je travaille avec des HSH. Il ne faudrait pas qu’ils apprennent que je travaille avec des gays. Sinon ils sauraient. Beaucoup de gens [de l’association HSH] sortent avec des femmes et se marient pour se couvrir, mais ça ne les empêchent pas d’avoir des relations avec des hommes.

Juillet 2008, il est 20 heures environ. Babacar et un collègue mènent une action de sensibilisation au VIH/SIDA dans un lieu fréquenté par des homosexuels lorsqu’un homme les agresse. Sachant que l’ami de Babacar est gay, pour l’agresseur, Babacar l’est aussi. L’agresseur dit à la foule qui s’amasse que Babacar et son ami sont des « goorjigeen »(terme wolof discriminatoire désignant les homosexuels. Littéralement, un « homme-femme »). Très vite, les gendarmes arrivent.

L’agresseur dit aux gendarmes avoir surpris Babacar et son ami en plein rapport sexuel. Les gendarmes fouillent Babacar et son collègue et trouvent dans leur sac des préservatifs et du gel. Babacar explique que les gendarmes ont « su » qu’ils étaient homosexuels dès qu’ils ont vu le gel : « [Le gel] prouve que vous êtes des goorjigeen car cela facilite les relations [sexuelles anales]. »[4] Les gendarmes placent les trois hommes en garde à vue[5], qui restent toute la nuit au commissariat du tribunal régional de Dakar.

Pour Babacar, ce fut une « nuit en enfer » :

Il y avait une dizaine de gendarmes. Ils nous ont fait faire des pompes pendant plus d’une heure. Si l’on refusait ou arrêtait, ils nous battaient. Ils nous demandaient d’aller de plus en plus vite et si l’on n’y arrivait pas, ils nous aspergeaient d’eau. Ils ne nous ont pas laissé téléphoner. Ils nous traitaient de goorjigeen et de pédés. Ils disaient : « Pourquoi vous ne voulez pas de nos femmes, de nos jolies femmes ? » Nous avons été battus, frappés, giflés au visage et à la tête. Ils ne nous ont pas laissé aller aux toilettes pendant des heures.

Le lendemain, l’agresseur avoue à la police avoir menti. Il n’a pas surpris Babacar et son ami en train d’avoir des rapports sexuels. Les deux hommes sont relâchés. Pour autant, la police ne prend aucune sanction à l’encontre de l’agresseur, croit savoir Babacar :

Je ne me suis pas plaint [auprès de la police] parce que je n’en avais pas le courage. Je me suis dit que ce n’était pas la peine. Je ne serais pas protégé. La police se fiche de ce qu’il arrive aux homosexuels. Cela ne m’empêche pas de faire mon travail, mais maintenant je sais comment me protéger. Par exemple, je continue de distribuer des préservatifs mais plus de gel. Les lubrifiants prouvent l’orientation sexuelle. Je sais que c’est beaucoup plus dangereux [les rapports sexuels entre hommes sans lubrifiant][6] mais je travaille comme bénévole et il n’y a personne pour me protéger.[7]

Les affaires du « mariage gay » et des « neuf homosexuels de Mbao »

Deux séries d’arrestations en 2008 (la première au mois de février et la seconde au mois de décembre) d’individus présumés homosexuels, à Dakar et dans ses alentours, ont eu un grand retentissement. Il s’agit des cas les plus graves de persécution publique fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité ou l’expression de genre de l’histoire récente du Sénégal. Leurs conséquences ont été et sont encore aujourd’hui ressenties dans tout le pays par la communauté gay masculine et celle des HSH. Si les deux affaires marquent un tournant dans l’escalade de la violence publique, populaire et privée à l’encontre des gays ou d’individus perçus comme tels, ils sont également symptomatiques d’un problème plus vaste, qui est celui de l’intolérance et de l’homophobie. Bien que tous les cas de discrimination, d’arrestation et de violence n’atteignent pas le degré de frénésie affiché lors de ces deux événements, les conditions qui ont facilité les actes de violences et les autres exactions commises dans le cadre de ces deux incidents se retrouvent dans d’autres cas évoqués ici.

En février 2008, le mensuel people sénégalais intitulé Icône publie plus de vingt photos d’une fête ayant eu lieu en 2006. Le magazine affirme que les photos sont celles d’homosexuels participant à une cérémonie de « mariage gay ». Plusieurs visages sont reconnaissables sur les photos. D’autres journaux les publient ensuite. Elles suscitent les condamnations indignées de chefs religieux et de leurs organisations. Ni les images ni d’autres éléments ne permettent pourtant d’établir la commission d’actes homosexuels. Néanmoins, la police procède à l’arrestation de plusieurs hommes apparaissant sur les photos. Si ces derniers sont rapidement relâchés, le sentiment de réprobation générale, attisé par des rassemblements religieux, des sermons et une couverture médiatique sans précédent de l’événement, conduisent à des menaces et à des attaques incessantes au cours des mois suivants. Selon des militants, au moins neuf des hommes concernés quittent alors le pays. Cinq ne sont toujours pas revenus. Les autres se cachent au Sénégal.

En décembre 2008, soit seulement quelques jours après avoir accueilli la conférence internationale ICASA sur le SIDA et les IST, la police arrête neuf membres d’AIDES Sénégal, association de lutte contre le VIH/SIDA menant des actions éducatives et d’information auprès de la communauté HSH. Les membres de l’association sont accusés de comportements homosexuels et d’association de malfaiteurs sur le fondement respectivement des articles 319.3 et 328 du Code pénal. En l’absence de toute preuve, un tribunal les déclare coupables d’actes homosexuels et les condamne à huit ans de prison. Relâchés en avril 2009, ils témoignent de leur supplice. Désormais sans travail, rejetés par leur famille et leur communauté, ils n’ont souvent même pas de quoi survivre. Pendant plusieurs mois, l’affaire a été couverte par de nombreux médias, relayant les appels à la « destruction des homosexuels » au Sénégal d’imams conservateurs et d’autres chefs influents.

Ces deux affaires vont avoir des répercussions sur l’ensemble de la communauté gay et des HSH au Sénégal, comme en témoigne le cas de Moussa qui, en mai 2008, soit quatre mois environ après le « mariage gay », fête ses 25 ans avec des amis. Agressés par un groupe d’individus que la police se montre incapable ou peu disposée à contrôler, Moussa et ses amis sont arrêtés, accusés d’avoir organisé un « mariage gay ».

Madièye Diallo, jeune homme gay facilement reconnaissable depuis la publication de sa photo dans le magazine Icône, est décédé le 1er mai 2009, dix jours après la libération des neuf membres d’AIDES Sénégal. Cette libération avait été jugée « scandaleuse » par plusieurs imams, comme l’ont rapporté les médias.[8] Les amis de Diallo nous ont dit que celui-ci avait dû quitter la maison familiale pour aller se cacher au Mali pendant un an à la suite du reportage d’Icône. Gravement malade, il est rentré fin avril 2009 au Sénégal, où il est mort. Sa famille l’a enterré dans le cimetière d’un quartier de Thiès. Par deux fois, son corps a été exhumé par les habitants du quartier et traîné jusque devant la maison de ses parents.[9] Sa famille a alors décidé de l’enterrer dans l’arrière-cour de la maison.

En juin 2009, la police a procédé à l’arrestation sans preuve de cinq hommes accusés d’actes homosexuels dans le quartier d’Escale à Darou Mousty (ville religieuse au nord-est de Dakar). Le 17 juin, une patrouille de gendarmes est abordée par un habitant du quartier qui accuse deux hommes d’avoir eu des rapports sexuels. Les gendarmes se rendent au domicile des deux hommes. Ils y découvrent trois autres individus, deux adultes et un mineur, qui sont également mis en cause en l’absence de toute preuve. Tous les cinq sont inculpés sur le fondement de l’article 319.3 du Code pénal. L’un d’entre eux l’est également pour « incitation de mineur à la débauche ». À l’heure actuelle, trois d’entre eux purgent une peine de deux et cinq ans d’emprisonnement.[10] Plus récemment, 21 hommes soupçonnés d’être homosexuels ont été arrêtés au petit matin du 25 décembre 2009 dans la ville de Saly (située à environ 70 kilomètres au sud de Dakar).[11] En détention, la police les aurait frappés pour qu’ils avouent leur homosexualité, ce qu’ils auraient tous fait, d’après nos sources.[12] Des militants au Sénégal nous ont informés que les hommes avaient été libérés sans être inculpés, mais que la police les avait photographiés sur leur téléphone portable et leur appareil photo.

Comme l’indiquent les témoignages figurant dans ce rapport, la police aurait procédé à d’autres arrestations dont les militants des droits humains ou la presse n’ont pas eu connaissance. Selon toute vraisemblance, la plupart de ces arrestations ne sont pas signalées. Quoi qu’il en soit, les gays et les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ne doivent pas seulement craindre les violences policières et les arrestations arbitraires. La plupart des hommes que nous avons rencontrés sont régulièrement victimes d’agressions physiques ou verbales. Ils vivent dans la peur et prennent soin de cacher leur orientation et leurs pratiques sexuelles.

Le climat général de stigmatisation et de violence

Si ces incidents ne marquent pas le début des agressions physiques ou verbales contre les hommes au motif de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre réelle ou perçue, la « panique morale » contre l’homosexualité commence en février 2008.[13] D’après les témoignages que nous avons recueillis, les arrestations et les déclarations d’une extrême violence de chefs religieux, rapportées par l’ensemble de la presse, auraient rendu les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes beaucoup plus vulnérables aux violences vigilantistes. Les victimes ne peuvent obtenir la protection de la police. Elles ne peuvent pas déposer plainte devant les tribunaux ni obtenir réparation. La loi en fait des criminels. Plutôt que de se sentir protégées par la police, elles ont de bonnes raisons de penser qu’elle les arrêtera et les maltraitera. En outre, il ressort des témoignages que nous avons recueillis que les personnes soupçonnées d’actes homosexuels perdent souvent leur famille, leur travail, leur maison, et vivent constamment dans la peur d’être agressées.

Les victimes elles-mêmes sont souvent jugées responsables des agressions qu’elles ont subies. Comme nous l’avons vu, certaines composantes du gouvernement cherchent à inclure un plus grand nombre d’hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes dans les programmes de lutte contre le VIH/SIDA. Mais la visibilité qu’implique leur participation à ces programmes les expose paradoxalement à de plus grands risques de persécution.

Pour la société sénégalaise, cette visibilité nouvelle est à la fois le signe d’une « augmentation » de l’homosexualité, même s’il n’existe aucune preuve attestant de l’existence d’une telle augmentation, et la cause de la violence. Lors de la libération des hommes arrêtés en février 2008 suite au scandale du « mariage gay », le Collectif des associations islamiques du Sénégal (CAIS), qui compte une quinzaine de groupes membres, a rendu public un communiqué dénonçant l’« augmentation de l’homosexualité au Sénégal », et appelant le gouvernement sénégalais à « combattre l’homosexualité avant qu’il ne soit trop tard ». En mai 2009, le Premier ministre sénégalais, M. Souleymane Ndéné Ndiaye, a déploré la « prolifération de l’homosexualité » au Sénégal et invité les « chefs religieux ainsi que tous les croyants à lutter contre cette pratique qui est un signe de crise des valeurs et d’insécurité ».[14] Qualifiant l’homosexualité de forme « d’agression contre l’Islam » et de « fléau », il s’est engagé à ce que les ministères de l’Intérieur et de la Justice s’associent à la lutte « contre les fléaux des temps modernes dont l’homosexualité ».[15] De telles déclarations s’inscrivent dans la logique de la tendance qu’ont les responsables politiques, d’un bout à l’autre du continent, de taxer l’homosexualité de pratique importée, imposée, « contraire à l’Afrique » et aux antipodes de l’identité africaine hétérosexuelle précoloniale culturellement « pure » et « naturelle ». Un tel discours exclut aujourd’hui de nombreux Africains de leur propre société.[16]

Les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes risquent non seulement d’être arrêtés, emprisonnés et maltraités par la police, mais également d’être violentés et agressés par la population. Qui plus est, ils ne peuvent se tourner vers la justice. La plupart d’entre eux ne portent pas plainte, sachant pertinemment que la police qui est chargée de protéger tous les citoyens, sans distinction aucune, prend souvent part elle-même aux violences. Ils craignent également que leur famille et la collectivité considèrent l’agression dont ils sont victimes comme une « preuve » de leur homosexualité.

Les agressions contre les homosexuels ont une dimension socio-économique au Sénégal. La plupart des victimes sont défavorisées et exclues socialement. Pour Alioune Tine, secrétaire général de RADDHO, ONG chargée de promouvoir, défendre et protéger les droits humains au Sénégal et en Afrique : « Tout ce bruit qui accompagne l’affaire des homosexuels ne constitue qu’une vaste hypocrisie. Les homosexuels qui ont une certaine classe sociale assument leur orientation sexuelle sans aucun problème, mais ce sont plutôt les pauvres qui sont victimes de la stigmatisation et de l’injustice. »[17]

 

Bassirou avait 30 ans lorsque nous lui avons parlé au mois de juillet 2009. En 2004, il a fondé la première association HSH au Sénégal. En 2005, un article sur l’association accompagné d’une photo de lui mentionnant son nom est publié dans le journal local :

On disait que nous dirigions une organisation dans laquelle je prostituais des jeunes garçons de 14-15 ans. On disait que j’organisais des rencontres entre des jeunes et des riches. Et que je gardais la moitié de l’argent de cette prostitution. C’était totalement faux. C’était il y a quatre ans quand je vivais dans le quartier de Liberté 3 avec ma famille.
C’était une catastrophe. Lorsque j’ai vu ça, j’ai eu la nausée. Je me suis dit : « Comment rentrer chez moi ? Qui appeler ? Où obtenir de l’aide ? Que vais-je faire ? » Je savais que j’allais avoir des problèmes. J’ai réussi à rentrer chez moi mais mon frère m’attendait avec un gourdin. Il m’a dit de partir et qu’il me tuerait si je revenais. Ma mère m’a également dit de partir pour ma propre sécurité.

Bassirou a alors quitté le domicile familial. Il a loué une chambre dans un autre quartier de Dakar, à Castor, et n’a plus eu aucun contact, ni aucun soutien de sa famille :

Parfois, je vends mon corps pour payer le loyer. Je n’ai pas de travail. Avant, je travaillais dans une société qui fabrique des plastiques. J’ai été renvoyé lorsqu’ils ont su [que j’étais gay]. C’était il y a six ans. Je ne travaille plus depuis. Tous les jours, je rencontre un problème de stigmatisation, d’homophobie. Dans certains endroits où je vais, les gens savent que je suis un HSH. Souvent, on me traite de « salope ». Une fois, je suis resté trois semaines au lit après avoir été frappé parce que je suis gay.
 
Là où je vis, personne ne me connaît. Je n’y suis que la nuit pour dormir ou le week-end. Je ne sors pas. Je ne parle à personne. Je n’ai pas de contact avec mes voisins. Je dois faire attention. Je ne sors pas si l’on peut me voir. Je rentre très, très tard pour quepersonne ne me voie. Je me cache car je ne peux pas me permettre d’être jeté dehors. Il est difficile de trouver un endroit à cause des problèmes récents [arrestations de février et décembre 2008 d’hommes présumés homosexuels] et parce que je suis connu. Je milite toujours, je vais aux réunions, j’interviens lors de séminaires. Alors je suis encore connu.

Vers la fin de l’entretien, Bassirou a ajouté :

J’ai entendu dire plusieurs fois que des hommes ont été tués parce qu’ils étaient homosexuels. Ça arrive lors de manifestations. Des gens sont blessés lorsque la police fait des arrestations. Certains gravement. Ça arrive souvent dans le quartier. Je me dis, je vais mourir un jour [à cause de ça]. Parfois, j’ai très peur. Que va-t-il m’arriver si je ne peux pas subvenir à mes besoins ? Si je tombe malade ? Alors, j’ai très peur.[18]

Bassirou est mort le 27 septembre 2009. Malade, il a été hospitalisé. Sa mère est venue à son chevet. Les derniers jours, il était à peine conscient.

Bassirou est mort de cause inconnue, mais sa mort était vraisemblablement naturelle. Il est mort indigent et en très mauvaise santé. Durant sa courte vie, il a été quotidiennement discriminé et maltraité. Il a été constamment agressé physiquement et verbalement parce qu’il vivait sa sexualité et exprimait son genre. Il a perdu sa famille, son emploi, ses amis et toute perspective d’une vie « normale », parce que son orientation sexuelle et son expression de genre choquaient certains.

Un nombre indéfini de gays sénégalais sont dans la même situation que celle que Bassirou et Babacar ont connue. Mis à la porte de chez eux ou vivant dans la crainte de perdre leur emploi et leur famille, ils se cachent de peur d’être agressés, insultés, arrêtés, emprisonnés ou torturés, à tout moment, sachant que personne ne viendra les protéger.

           

Principales recommandations

Le gouvernement sénégalais doit dépénaliser les actes homosexuels en abrogeant l’article 319.3 du Code pénal sénégalais et en condamnant publiquement les actes de violence, de discrimination et d’intolérance dirigés contre des individus en raison de leur orientation sexuelle et/ou de leur identité de genre, réelle ou supposée.

Le ministère de l’Intérieur doit émettre une directive invitant l’ensemble des forces de police à ne pas enquêter et à ne pas poursuivre les accusations d’activités sexuelles entre adultes consentants menées en privé.

Les chefs religieux doivent condamner les agressions fondées sur l’orientation sexuelle et/ou l’identité de genre et condamner les discours qui incitent à la haine contre les homosexuels.

Le ministère de la Justice doit réexaminer toutes les décisions de condamnation prononcées sur le fondement de l’article 319.3 pour s’assurer qu’elles not reposent pas sur des vices de procédure, et annuler les jugements qui ne respectent pas les dispositions du code de procédure pénale (absence de preuve ou de mandat d’arrestation, aveux extorqués).

La Commission nationale des droits de l’homme doit ouvrir des enquêtes sur les cas signalés de violences fondées sur l’orientation sexuelle et/ou l’identité de genre par les acteurs tant publics que privés, contrôler les discours qui incitent à la violence contre les homosexuels, et condamner les attaques contre les militants et les personnes qui luttent contre le VIH/SIDA qui sont homosexuels ou perçus comme tels.

 

Remarques méthodologiques et terminologiques

Ce rapport s’appuie principalement sur une enquête menée à Dakar, la capitale du Sénégal, ainsi qu’à Mbour et Kaolack, entre le 22 juillet et 7 août 2009. L’enquête s’est poursuivie jusqu’en 2010 par des entretiens téléphoniques réguliers, par la lecture de comptes rendus d’ONG, d’articles de presse et de sources diverses. Human Rights Watch a conduit de longs entretiens avec 45 hommes sénégalais victimes de violences, d’arrestations et de mauvais traitements, ainsi qu’avec des militants sénégalais des droits humains, des journalistes, des médecins et un chef religieux. Les responsables de la section SIDA du ministère de la Santé nous ont reçus, mais nous n’avons pas pu rencontrer des responsables des ministères de la Justice et de l’Intérieur. En septembre 2009, nous avons soumis une liste de questions écrites au ministre de l’Intérieur, qui est restée sans réponse.

 

En septembre 2009, Laye (nom d’emprunt), militant engagé dans la lutte contre le VIH/SIDA et leader au sein de la communauté HSH, a interrogé trois autres hommes dans la région de Louga pour le compte de Human Rights Watch. Quasiment tous les hommes auxquels nous avons parlé ont demandé à ce que leurs véritables noms n’apparaissent pas.

 

Le rapport utilise les mêmes termes que ceux utilisés par les hommes que nous avons interrogés qui se disent « homosexuels », « bisexuels », « gays » ou HSH, voire même parfois « goorjigeen ». Le terme « goorjigeen » est une insulte en wolof. Les gays et les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes utilisent néanmoins ce terme pour se désigner ou comme marqueur d’identité au sein du groupe. Dans la bouche d’une personne extérieure, aussi sympathique soit-elle, ils trouvent ce terme déplacé et insultant. L’utilisation du terme français « homosexuel » est très répandu au Sénégal, y compris dans les médias. Le terme « gay » est employé dans une moindre mesure, qui n’est cependant pas négligeable. Les principaux termes dégradants utilisés dans les médias et ailleurs à l’égard des hommes soupçonnés de comportement homosexuel sont « pédé »et « goorjigeen ».

Aucun des hommes auxquels nous avons parlé n’a utilisé les termes « transgenre » ou « transsexuel », ni n’a exprimé le désir d’être une femme (ou d’être perçu comme tel), même si beaucoup d’individus ont été agressés ou menacés en raison de leur expression de genre et parce qu’ils n’étaient pas suffisamment « viriles » aux yeux de leurs agresseurs. En dépit de la signification littérale que revêt le terme goorjigeen pour un Occidental, les termes « transgenre » et « transsexuel », au sens de l’expression de ces identités en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest (consistant en une identification primaire avec le sexe « opposé » accompagnée d’un désir irrésistible de changer son identité de genre et ses caractéristiques physiques), ne sont quasiment pas employés par les populations HSH du Sénégal. Un glossaire des principaux termes se trouve à la fin de ce rapport.

Les militants et les universitaires affirment que les relations sexuelles entre femmes ont existé et existent au Sénégal, et que les femmes qui ont des rapports avec des femmes se définissent comme « lesbiennes ». Ce rapport n’examine cependant que la situation des hommes gays, bisexuels ou ayant des rapports sexuels avec des hommes, dans la mesure où ces derniers sont la principale cible des violences récentes. Les expériences des Sénégalaises victimes de violences, d’insultes et de discrimination en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre sont très différentes de celles des hommes. Étant donné la nature essentiellement patriarcale de la société sénégalaise et les restrictions pesant sur les femmes en termes d’accès à l’espace public et à l’information, la plupart des femmes ayant des expériences homosexuelles sont contrôlées et disciplinées par la famille et la collectivité et ne risquent pas l’arrestation ou les violences de la population.

Ces contraintes, et l’invisibilité générale des lesbiennes, font que nous n’avons pas été en mesure d’interroger des femmes qui se disent lesbiennes ou qui ont des rapports homosexuels. Le fait de ne pas pouvoir aborder les préoccupations des lesbiennes, des femmes bisexuelles, des femmes qui n’ont pas une identité de genre conforme ou qui ont des relations intimes avec des femmes ne signifie pas que nous ne considérons pas ces problèmes importants. Il est indispensable de réunir des informations sur les violences dont sont victimes les femmes ayant des rapports sexuels avec des femmes et qui transgressent les normes de genre.

 

Deux récits illustrant le pouvoir de la police, la « panique morale »        et le drame de vies gâchées

Les hommes gays ou perçus comme tels au Sénégal sont victimes de sévices, infligés aussi bien par des acteurs publics que par de simples particuliers. Les journaux à sensation incitent à l’arrestation, à la détention, à la torture et à la violence en publiant les noms, les photos, ainsi que d’autres informations permettant d’identifier des hommes supposés gays, et en relayant les dénonciations menaçantes de chefs religieux.

Le premier récit concerne la publication en février 2008 par des journaux et des magazines sénégalais de plusieurs photos d’hommes supposés gays. La publication de ces photos, immédiatement suivie de plusieurs arrestations, marque le début du supplice que vivront pendant plusieurs mois, non seulement les hommes arrêtés, mais aussi les autres vivant dans la crainte d’une arrestation ou la violence de la population. Plusieurs seront forcés de fuir leur domicile, plusieurs seront ostracisés et menacés par leur propre famille et les membres de la collectivité. D’autres encore seront agressés à plusieurs reprises.

Le second récit concerne l’arrestation en décembre 2008 de membres d’une association de lutte contre le VIH/SIDA torturés par la police, leur épreuve en prison, la perte de leur famille, de leur maison et de leur emploi qui a suivi leur libération en avril 2009, et les conséquences actuelles de ce drame sur leur vie.

Ces deux affaires, et d’autres cas d’arrestation et de persécution moins retentissants fondés sur l’orientation sexuelle et/ou l’orientation de genre, correspondent à la fois à un état de « panique morale » et à son symptôme. Le sociologue Stanley Cohen a inventé le concept de « panique morale » en 1972, expliquant qu’une « panique morale » surgit lorsqu’une « condition, un événement, une personne ou un groupe de personnes est désigné comme une menace pour les valeurs et les intérêts d’une société ».[19] Des théoriciens ont par la suite étoffé le concept en étudiant spécifiquement les « paniques sexuelles » en tant que sous-ensemble des paniques morales, et le rôle des médias dans la construction de ces paniques. Dans Moral Panics, Sex Panics, Gilbert Herdt écrit : « Les paniques sexuelles semblent de plus en plus orchestrées par les médias, préméditées, planifiées. L’idée d’irrationalité qu’implique le terme ‘panique’ est trompeuse dès lors que l’on s’aperçoit que les paniques sont culturellement mises en scène. »[20]

 

Le scandale du « mariage gay »

En février 2006, plusieurs hommes louent une salle à Mbao, dans la région de Dakar, et organisent une soirée. Sur les 200 personnes présentes, quelques femmes seulement, et beaucoup d’hommes, gays ou bisexuels. Durant la soirée, deux des organisateurs parodient une cérémonie de mariage gay. Un photographe que l’un des organisateurs connaît prend des photos. Daouda, âgé alors de 19 ans, raconte :

Je me sens exclu de la communauté [hétéro]. Je ne suis pas branché. J’ai un très bon ami dans mon quartier, il est hétéro. Il ne sait pas que je suis gay. La seule communauté que nous ayons est celle des HSH. On se rencontre, on passe du temps ensemble, on s’amuse. On ne se sent bien nulle part ailleurs. Le club Le Ravin organise des soirées le jeudi. Beaucoup de gays y vont. Mais il faut payer. Et le videur ne te laisse pas entrer s’il trouve que tu es trop efféminé. C’est la raison pour laquelle on organise nos propres soirées.[21]
 

En décembre 2007, le magazine sénégalais Icône publie un petit article sur ce qu’il appelle un « mariage gay », indiquant que le magazine publiera dans une prochaine édition des photos de la cérémonie.[22] Le premier article fait état de la présence à cette soirée de Pape Mbaye, un artiste gay populaire. Certains membres des communautés gays et HSH s’inquiètent à juste titre. Pape appelle le directeur du magazine Icône, Mansour Dieng, et tente en vain de le dissuader de publier les photos. En février 2008, Icône publie une vingtaine de photos du « mariage gay », dont les protagonistes sont présentés comme étant homosexuels.

Dans un reportage diffusé sur canal + Sénégal en avril 2009, Dieng défend sa décision de publier les photos, laquelle aurait été prise dans un souci de « clarification » (plutôt que de « dénonciation »), et affirme que le magazine joue le rôle de « sentinelle des valeurs morales » au Sénégal.[23] Cette décision aboutit cependant à la persécution à travers tout le pays d’hommes considérés homosexuels, amenant des hommes gays et ayant des relations sexuelles avec des hommes à vivre dans la clandestinité, suscitant l’hostilité d’une grande partie de la population à l’égard d’une communauté vulnérable, et détruisant de nombreuses vies.

Human Rights Watch a interrogé Pape Mbaye ainsi que cinq autres hommes dont les photos ont été publiées dans Icône et d’autres journaux. Si ces derniers n’ont pas été arrêtés, ils ont été agressés et menacés au cours des mois qui ont suivi la publication des photos. Pape Mbaye a fui le pays en août 2008 et demandé l’asile aux États-Unis. Huit autres hommes au moins ont fui le Sénégal au même moment. Cinq se trouvent toujours à l’étranger à ce jour.

Pape Mbaye, aujourd’hui âgé de 27 ans, a commencé à chanter et danser pour gagner sa vie dès l’âge de 16 ans, en 1999. En 2001, son père le force à quitter le domicile familial en apprenant que Pape est homosexuel. Pape devient ensuite une personnalité de la communauté gay, faisant même une apparition à la télévision locale. Lorsque le magazine Icône publie le vendredi 1er février 2008[24] vingt-trois photos du « mariage gay », plusieurs hommes figurant sur ces photos l’apprennent, et une partie d’entre eux se rendent chez Pape dans le quartier Hann Mariste de Dakar.[25]

Le lendemain, le 2 février, à cinq heures du matin, sept voitures se garent discrètement devant l’appartement de Pape. À bord de chaque véhicule se trouvent deux ou trois policiers de la DIC, la Division des investigations criminelles. Parmi eux, le commissaire divisionnaire Assane Ndoye.[26] Pape Mbaye est en compagnie de dix amis lorsque la police fait irruption dans l’appartement. Les hommes fuient alors de tous les côtés. Quatre grimpent les escaliers et sautent du quatrième étage. L’un d’entre eux est rattrapé.[27] Deux autres se cachent dans les toilettes et échappent à la police.

Six hommes, dont Pape, sont arrêtés ce matin-là. En descendant les escaliers, ils reçoivent des gifles et des coups de pied, ils sont insultés, indique Pape Mbaye. « Vous voulez détruire le pays. On va vous tuer, dégagez, on va tous vous tuer, putains de gays. » La police fouille dans les affaires de Pape et saisit plusieurs photos.

Les hommes sont tout d’abord emmenés au commissariat central avant d’être transférés dans différents commissariats (Plateau, Police du Port, Rebeuss). Pendant cinq jours, ils sont insultés par la police qui les traite de goorjigeen et de « fils de putes », rapporte Pape Mbaye. Des officiers de police ainsi que des journalistes prennent des photos et filment les hommes. La police les retient jusqu’au vendredi 6 février. Durant toute leur garde à vue, ils sont privés de nourriture et d’eau et doivent faire leurs besoins dans un coin de la cellule, n’ayant pas le droit d’utiliser les toilettes qui se trouvent à l’extérieur. Pendant ce temps, la police arrête 13 autres hommes à Dakar et dans ses alentours.

La police ne signifie pas à Pape Mbaye les raisons de son arrestation ni celles des autres. Les interrogatoires portent cependant sur le « mariage gay ». La police lui demande pourquoi il a organisé le mariage d’homosexuels, quelles personnes étaient présentes, et ainsi de suite. Pape Mbaye répond que c’était un anniversaire et non un mariage. La police menace de le tuer s’il ne dit pas la vérité.

La presse internationale prend connaissance des arrestations. En l’espace de quelques jours, plusieurs organisations locales et internationales de défense des droits humains commencent à dénoncer les actions de la police. N’ayant aucune preuve qu’un « mariage gay » ait effectivement eu lieu ni que les hommes arrêtés se soient adonnés à des actes homosexuels, la police les libère le vendredi 6 février au soir. Juste avant, ils passent dans le bureau du commissaire Mbengue qui les invite à se cacher ou à fuir le pays dès leur libération : « Si la population vous voit, elle va vous tuer. La police ne peut garantir votre sécurité parce que toute la société sera à vos trousses. »

Libérés à 23 heures le 6 février 2008, leur supplice ne fait que commencer. Durant les mois qui suivent, Pape Mbaye parvient tout juste à conserver une longueur d’avance sur la foule qui veut sa mort. La presse à sensation spécule sur l’endroit où il se trouve, et la foule en furie manque de le rattraper à plusieurs reprises.

La foule et des voyous saccagent son appartement et inscrivent des insultes (« fils de pute ») et des menaces sur les murs de son immeuble, dont « La police a arrêté Pape l’homo qui vit ici ».

Pape Mbaye et les autres se rendent la nuit même de leur libération à Ziguinchor, en Casamance. Le vendredi 8 février, le Collectif des associations islamiques du Sénégal organise un rassemblement devant la Grande mosquée de Dakar pour protester contre la libération. L’imam Mbaye Niang, du Mouvement de la réforme pour le développement social (MRDS), principal artisan du rassemblement, affirme que la libération « nous expose à tous les dangers » et que « nous sommes désormais les témoins d’une crise des valeurs ».[28] D’autres chefs religieux, au rang desquels Serigne Bara Mbacké, khalife général des mourides, principale confrérie religieuse du Sénégal, prennent fermement le parti de l’imam Niang pour « défendre les intérêts de l’Islam ».[29]

Le rassemblement est violent et la police se montre incapable de maîtriser la foule qui scande « Goorjigeen haram », « mort aux homosexuels ».[30] Les journaux télévisés et la presse se font largement l’écho du rassemblement. Pape Mbaye voit à la télévision la foule hurler : « Il faut tuer Pape Mbaye ; Pape Mbaye et ses amis doivent mourir. » Pape Mbaye et les autres restent cachés à Ziguinchor pendant un mois environ, jusqu’au jour où une cinquantaine d’habitants du quartier frappent à la porte de la maison en criant : « Nous savons que vous cachez des gays ici. »[31] Armés de tessons de bouteilles, de fourchettes et d’autres objets contondants, ils pénètrent dans la maison et en frappent les occupants. Blessé à la tête, au dos et aux bras, Pape Mbaye parvient à s’échapper. Mais où qu’il se cache, les gens du quartier finissent par le reconnaître et il doit fuir.

En avril, Pape Mbaye retourne à Dakar et se cache chez un ami. Mais un journal signale sa présence dans la ville, et son ami lui demande de partir. Il séjourne alors chez un autre ami, jusqu’à la parution dans le magazine local Weekend d’un article. Dans cet article, il apprend qu’un ami qui, par peur, avait fui le pays alors même qu’il n’apparaissait pas sur les photos, a été tué en Mauritanie parce qu’il était gay. En mai, Pape Mbaye fuit en Gambie.

Le 15 mai, peu après son arrivée, le Président gambien Yahya Abdul-Azziz Jemus Junkung Jammeh menace lors d’un rassemblement politique de « couper la tête » de tous les homosexuels qu’il trouvera en Gambie, et donne à tous les « homosexuels » 24 heures pour quitter le pays. Il brandit également la menace de lois « plus strictes qu’en Iran », mettant en garde : « Chaque hôtel, maison ou motel qui accueille ce genre d’individu [sic] sera fermé, parce que cet acte est illégal. Nous sommes un pays majoritairement musulman et je n’accepterai jamais de tels individus dans le pays. »[32] Pape nous a dit que les chaînes de télévision, les radios et les journaux gouvernementaux ont relayé le message du Président, et que son nom a même été cité. Des militants présents dans le pays ont informé Human Rights Watch qu’au moins trois Gambiens ont été détenus sous l’inculpation de conduite homosexuelle immédiatement après l’annonce du Président.[33]

 

Pape rentre à Dakar le 16 mai sans un sou en poche. Les journaux, les radios, et même le magazine Icône, signalent sa présence à Dakar. Ses amis refusent de le voir ou de l’aider, craignant trop les représailles des habitants du quartier.

Après plusieurs semaines, il parvient à fuir le Sénégal. Il obtient par la suite l’asile aux États-Unis. Pape a avoué à Human Rights Watch que bien que sa mère et ses amis lui manquent, il craint de ne jamais les revoir car il ne peut retourner au Sénégal.

Ababacar, 25 ans, du quartier du Grand Dakar, a perdu sa famille, ses amis et une communauté, du jour au lendemain, après la parution de sa photo dans le magazine. Bien que cela ait été le premier cas d’« outing » d’une telle ampleur au Sénégal, Ababacar savait qu’il ferait mieux de partir de chez lui dès l’instant où il a eu vent de la publication, et avant même de lire l’article dans le magazine :

Un ami m’a appelé à 15h00 le vendredi [1er février 2008] et m’a dit que ma photo était publiée dans le magazine. [...] J’ai quitté la maison immédiatement. Je suis allé chez [un ami], Daouda, où j’ai passé la nuit. Lui aussi était dans le magazine. Le samedi matin, quand Daouda et moi sommes sortis acheter le magazine et que j’ai vu ma photo, je me suis mis à pleurer et à hurler. Du samedi au mardi suivant, je n’ai rien pu manger.

 

Le lundi, tous les autres journaux se sont emparés de l’affaire. C’est comme ça que les gens l’ont appris. Les autres journaux ont aussi publié des photos. Quand ma famille a vu les photos, elle a compris pourquoi j’étais parti. Le lundi, mon jeune frère m’a téléphoné. Il m’a dit que mon frère aîné lui avait dit : « Si tu vois [Ababacar], dis-lui de ne jamais revenir, parce que s’il revient, je le tuerai. » Ma sœur a appelé [mon ami] Daouda et lui a dit : « Si Ababacar est chez toi, fous-le dehors pour qu’on puisse le livrer à la police. »
 
Le mardi, j’ai reçu un appel d’une fille de mon quartier avec laquelle je ne m’entendais pas. Elle m’a dit : « J’ai montré le magazine à ta sœur. Tout le monde te cherche. Quand ils t’auront trouvé, ils te tabasseront, te tailladeront les jambes et te tueront. » Après ça, j’ai éteint mon téléphone. Je suis parti de chez Daouda et je suis allé dans un quartier de Rufisque. J’ai pris une chambre et j’y suis resté trois mois. Un ami m’aidait à payer le loyer et me donnait de l’argent pour acheter à manger. Personne ne me connaissait à Rufisque, donc je pouvais sortir faire des courses.[34]

 

L’ami d’Ababacar, Daouda, 22 ans, se dit homosexuel, bien qu’ayant une petite amie. Il a commencé à avoir des rapports sexuels avec des hommes en 2006, l’année même où il a participé à la soirée. Voici ce qu’il déclare :

 

J’ai tellement flippé [quand j’ai vu les photos] [...]. Je les regardais fixement et je ne me trouvais pas, je cherchais comme un fou. Dès que je me suis vu, je me suis dit qu’il fallait que je me tue. [...] Pas loin de chez moi, des gens sont partis à la recherche d’une personne apparaissant sur les photos qui habite tout près. Parmi eux, j’ai reconnu des garçons de mon quartier avec lesquels j’étais copain.
 
L’un d’entre eux, un ami proche, m’a dit : « Je ne peux pas tolérer que tu sois sur ces photos, que tu sois gay. Je traîne tout le temps avec toi, les gens vont faire le rapprochement [et croire que je suis gay]. » À ce moment-là, [le mercredi 6 février], d’autres journaux avaient repris l’histoire et publié les photos. Le jeudi, je suis allé chez ma tante. Je lui ai dit ce qui s’était passé et que j’avais besoin d’aide et d’un endroit où loger. Ma tante m’a dit qu’elle avait vu les photos ; elle m’a dit : « Rentre chez toi. Tu ne seras en sécurité nulle part. Le seul lieu sûr pour toi, c’est chez tes parents. »
 
Je suis rentré chez moi. Les gens de mon quartier étaient en train d’organiser une marche contre les gays. Tout le monde dans le quartier savait qui rendait visite à qui et qu’il m’arrivait parfois de recevoir des gars efféminés. Ils m’ont demandé de me joindre à eux. J’ai refusé. Les gens ont alors dit : « C’est que tu dois être gay. » Je ne savais pas si c’était un piège pour me faire sortir de chez moi et me rouer de coups ou me tuer. Je suis resté à l’intérieur. Quelqu’un m’a appelé sur mon portable et m’a dit : « Tu ne peux sortir que la nuit. Si tu sors le jour, tu vas te faire tuer. » Entre le vendredi suivant [le 8 février] et le dimanche, j’ai reçu une vingtaine d’appels de ce genre. Des travailleuses du sexe ont proposé de m’héberger, mais j’ai refusé car je me disais que je ne serais en sécurité que chez mes parents. Je pensais qu’on m’attraperait si j’allais habiter ailleurs.[35]

 

Absa, 25 ans, vit avec le VIH. Son statut de travailleur du sexe gay et séropositif ne lui vaut que du mépris et des violences depuis plusieurs années. Pourtant, l’impact de la publication de sa photo a été « plus fort que [son] statut positif » :

 

Je suis le seul dont des photos en gros plan ont été publiées dans la presse et diffusées à la télé. Après quoi, tout le monde dans le quartier [où j’habitais] était au courant, alors j’ai dû partir.
 
J’étais chez Pape Mbaye avec un autre ami la nuit suivant la publication des photos [le samedi 2 février]. [À l’arrivée de la police], je me suis enfui. Je suis monté en courant au quatrième étage. La police m’a poursuivi. Le seul moyen de m’échapper était de sauter. J’ai envisagé un instant de ne pas sauter et de laisser les policiers m’arrêter, mais avec ma tenue féminine, je me suis dit que s’ils m’attrapaient, ça irait mal pour moi. Alors j’ai préféré sauter et j’ai atterri sur le toit d’une maison voisine. Je me suis fait très mal au genou. J’avais le visage écorché. J’ai réussi à me traîner jusque chez un ami. Mon front était entaillé et je saignais sous la lèvre.
 
Quand je suis arrivé chez moi, plusieurs personnes de mon quartier étaient sur les toits. J’ai réussi à rentrer en me faufilant sans me faire voir. Je ne savais pas pourquoi les voisins étaient dehors. Je ne les avais jamais vus comme ça. J’ai pensé qu’ils avaient dû voir les photos. Le magazine avait circulé toute la journée et c’était scandaleux, tout le monde était au courant.
 
Cette nuit-là, je suis parti de chez moi pour aller à Thiaroye et je n’y suis plus jamais retourné. Je suis allé chez un ami. [...] Je n’ai vu un médecin qu’au bout de trois jours parce que j’avais peur. Des amis m’ont donné de l’argent et je suis allé en Casamance. Laye [le responsable de l’association HSH] a aussi pu m’avoir l’équivalent de trois mois d’ARV [antirétroviraux].
 
Au bout de quelque temps, je suis revenu à Dakar. Je passais beaucoup de temps dans ma chambre. Quand je sortais, je mettais une casquette pour me cacher les yeux et le visage. Et puis, je n’ai plus pu payer mon loyer et je ne savais pas où aller. Mes amis avaient peur de m’héberger parce que la police me recherchait. Je n’avais nulle part où aller. Un autre ami a loué une chambre pour moi [dans un quartier] où personne ne savait que j’étais gay ou séropositif, et c’est là que je vis actuellement.[36]

 

Laye, 31 ans, militant de la lutte contre le VIH/SIDA et président d’une association HSH, est une autre figure bien connue de la communauté gay. Il a été arrêté et accusé sur le fondement de l’article 319.3 avec huit autres membres de l’association en décembre 2008. Sa photo a également été publiée non seulement dans Icône mais aussi dans d’autres magazines. Il n’a pas été arrêté pendant les mois qui ont suivi la publication des photos, mais a vécu dans la crainte permanente d’une arrestation ou d’une agression :

 

C’est moi qui avais trouvé la salle pour la soirée. La plupart des gens présents à la soirée étaient de Dakar, mais moi, j’étais de Petit Mbao [la soirée a eu lieu à Mbao]. Tous les jours, je verrouillais les portes et les fenêtres, je fermais les rideaux et regardais les informations à la télé pour savoir ce qui se passait. [...] J’entendais aux informations que la communauté de Mbao était très en colère. Les flics disaient qu’ils allaient arrêter tous ceux dont les photos étaient parues, et je m’attendais à être arrêté à tout moment.
 
Une semaine après l’incident, quelqu’un est venu à mon travail avec le journal et a dit à mes collègues que j’étais sur les photos. Même si je travaillais avec des HSH, je n’avais pas dit à [mes collègues] que j’étais homosexuel. Ça ne me plaisait pas que tout le monde le sache.[37]

 

Tapha, 32 ans, est président d’une autre association HSH. Il vit à Thiès, deuxième ville du Sénégal située au nord-est de Dakar. Il a vécu dans plusieurs quartiers de Thiès et est connu dans toute la ville :

 
Un de mes amis avait été clairement identifié sur la photo. L’Observateur [journal privé] avait également publié sa photo. C’était un griot, un artiste. Il s’habillait de façon sexy. On ne manquait pas de le remarquer, partout où il allait. Sur l’une des photos. [...] on le reconnaissait facilement. Cette photo a eu l’effet d’une bombe. Il a dû quitter la maison car son frère voulait le tuer. Mes amis et moi avons rassemblé de l’argent et il est parti pour la Mauritanie le lendemain de la publication des photos dans Icône. Il vit maintenant en exile à cause de ça.
 
Pour ma part, on ne me voyait que de profil sur les photos, mais ma famille m’a reconnu. Les autres aussi m’ont reconnu en reconnaissant mes amis. Maintenant, tout le monde me connaît à cause du fiasco du mariage gay.
 
La police de Dakar commençait à mettre la main sur les homosexuels. Je me suis dit qu’après Dakar, elle viendrait à Thiès. Et puis ça s’est arrêté [les arrestations] avant que la situation ne devienne incontrôlable, parce que la communauté internationale est intervenue.[38]

 

Les séquelles

Bien qu’ils n’aient pas été arrêtés, la vie de ces hommes a changé du tout au tout. Ababacar n’a pas vu sa mère pendant les sept mois qui ont suivi la parution du magazine :

 

Alors un jour, je suis allé la voir chez elle. J’étais à Grand Dakar et je suis tombé sur deux types que je ne connaissais pas. Ils m’ont demandé si j’étais le « goorjigeen » dont les photos avaient été publiées dans le magazine. Une bagarre a éclaté mais j’ai pu m’enfuir. Je ne peux pas aller à Grand Dakar en plein jour pour aller voir ma mère sans que des gens me reconnaissent.[39]

 

Daouda continue de vivre chez ses parents. Il ne peut aller nulle part ailleurs et n’a aucun moyen de subsistance :

 
Tout a changé après cette histoire. Avant, à la maison, j’avais ma propre chambre et je recevais mes amis. Maintenant, je dois partager ma chambre avec mon frère. Je suis surveillé en permanence. Si je vais quelque part, mes frères m’appellent et me disent de rentrer. Chaque fois que je sors, ils m’appellent pour me demander où je suis ; ils disent : «T’es sorti te prostituer, c’est ça ? » Ils prennent mon téléphone pour voir qui m’appelle, lisent mes textos. Ils ont brûlé tous mes vêtements parce qu’ils les trouvaient trop clinquants et ils leur rappelaient ce que portent les travestis.
 
J’étais en 3ème quand ça s’est passé. J’ai dû quitter l’école parce qu’on avait entendu dire que d’autres élèves me tabasseraient. J’ai une petite fille d’un an avec ma copine. Je veux me marier avec elle parce que la vie est vraiment dure en ce moment. Je me fais traiter de tous les noms, je me fais frapper, j’ai des cicatrices sur tout le corps. En me mariant, je m’offrirai un peu de sécurité.[40]

 

La publication d’une photo sur laquelle apparaît Tapha a révélé à sa famille et à son quartier son homosexualité, l’exposant considérablement plus aux violences physiques :

 

Avant, les gens avaient des doutes. Après, tout le monde était au courant. Ça a bouleversé toute la famille. Mes meilleurs amis étaient dans Icône. En faisant le rapprochement, tout le monde a su que j’étais gay moi aussi. Maintenant, on ne me dit plus bonjour, on ne me parle plus. Je subis des agressions verbales et même physiques. Je ne suis plus en sécurité. Après l’épisode des photos, quand on [HSH à Thiès] sortait le soir, des jeunes nous suivaient et nous insultaient, et parfois nous frappaient. Alors, on n’ose plus sortir, à part quand on vient à Dakar des fois. On me traite de tous les noms, de « goorjigeen », « dunx » [terme wolof qui signifie « plume », « faible » ou « émasculé », utilisé à l’égard des hommes homosexuels] et de « lâche ». Ils disent « Tu mérites de mourir. »[41]

 

Avant la publication, Absa arrivait tant bien que mal à s’en sortir. Maintenant qu’il vit loin de Dakar, les choses sont beaucoup plus difficiles :

Je me prostitue à Dakar pour gagner ma vie ; c’est tout ce que je peux faire pour payer mon loyer et ma nourriture. Mais je ne gagne pas grand-chose maintenant parce que là où je vis, il y a peu de demande. Et je ne peux pas aller vivre ailleurs [comme à Dakar] parce qu’on me reconnaîtrait. Si je viens ici [à Dakar] pour me prostituer, je ne peux pas prendre les transports en commun sans que quelqu’un me reconnaisse. Et tout l’argent que je gagne part dans les taxis, il me reste très peu pour survivre. Mais je ne connais personne en dehors de Dakar. Mes amis sont ici et ils me donnent parfois un peu d’argent.
 
De toutes les personnes qui ont été dévoilées au grand jour dans Icône, je suis le seul à être encore ici. Et je suis celui qui était le plus visible. Parfois je me dis qu’il aurait mieux valu que je me fasse arrêter. J’aurais pu quitter le pays. Je dois absolument quitter le Sénégal parce qu’ici, il est même difficile de se nourrir. Je n’ai rien à manger. Mes amis ont peur et ne veulent rien avoir à faire avec moi. Cette vie est devenue trop dure et insupportable. Parfois, j’économise de l’argent et parcours plus de 300 km pour aller chez un ami et pouvoir manger quelque chose.[42]
 

Le retentissement que l’article paru dans Icône a eu affecte également d’autres personnes. Abdoul, 32 ans, est chanteur. Ses chansons prônent la tolérance et le respect de la diversité. Il se sent cependant obligé de dénoncer l’homosexualité depuis, de crainte d’être considéré comme un homosexuel s’il ne se fait pas l’écho des sentiments homophobes régnants :

Depuis Icône et les arrestations, j’ai vraiment peur. Il règne cette sorte de tension dans mon quartier. Le nom de Mbao a été tellement cité aux actualités que les gens l’associent à « gay ». Ici, les imams prêchent contre l’homosexualité et appellent à tuer les gays. Ils disent : « Si vous voyez deux hommes ensemble, vous devez les tuer. » L’endroit où a eu lieu le « mariage », les imams sont venus y prier trois fois pour le purifier. À Petit Mbao, les membres des familles des imams répandent leurs enseignements. C’est la façon de faire habituelle. Comme ça, en plus des prêches à la mosquée, le bouche-à-oreille fait aussi son travail.
 

Tout en continuant à avoir des rapports sexuels avec des hommes, Abdoul prévoit de se marier. Il a sur lui des préservatifs qu’il dissimule dans ses chaussures depuis qu’il a été fouillé par la police. Il craint que les préservatifs « ne [le] trahissent ». Un jour, des hommes le soupçonnant d’être gay l’ont brutalement agressé. Blessé, il passera une journée à l’hôpital, une entaille à la tête nécessitant la pose de points de suture :

Une fois remis sur pied, je suis allé à la police pour porter plainte. Ils ne m’ont pas demandé pourquoi j’avais été agressé et je ne leur ai pas dit. Je n’ai toujours pas de nouvelles. Si la police retrouve ces types, ils lui diront que je suis un « goorjigeen » et rien ne leur arrivera [aux agresseurs]. Peut-être même que la police viendra me chercher. Du coup, j’espère qu’elle ne les trouvera pas.[43]

Les « neuf homosexuels de Mbao »

En décembre 2008, neuf membres d’AIDES Sénégal, association de lutte contre le VIH/SIDA effectuant des actions éducatives et d’information auprès des communautés gays et HSH à Dakar et dans ses alentours, sont arrêtés par la police alors qu’ils viennent de terminer une séance d’information au VIH/SIDA. Si d’autres arrestations de ce type ont eu lieu au Sénégal, tout le monde s’accorde à reconnaître que la publicité et les dénonciations auxquelles cette affaire a donné lieu dépassent tout ce que la communauté gay sénégalaise a pu connaître.[44] Les hommes ont passé quatre mois en prison, où ils ont été torturés par la police. Persécutés, violentés, ils vivent constamment dans la crainte d’une agression depuis leur libération en avril 2009.

Leur supplice a commencé vers 22h00 le vendredi 19 décembre, lorsque quatre policiers du commissariat de Sicap Mbao à Dakar ont sonné à la porte de l’appartement de Laye.[45] Six hommes, dont Laye, se trouvaient alors dans l’appartement. Ils regardaient la télévision et bavardaient pendant que l’un d’entre eux préparait à manger. Quand Laye a ouvert la porte, la police a fait irruption en répétant plusieurs fois : « Vous êtes gay ? Vous êtes gay ? »

 

Les hommes venaient de clore une réunion de sensibilisation au VIH. Sur la table du salon se trouvaient du matériel de sexe à moindre risque, des préservatifs, du lubrifiant et des godemichés. Les policiers ont jeté un coup d’œil et déclaré : « Pas la peine de demander. Il est évident que vous utilisez tout ça. Vous êtes gays, sans aucun doute. » Les policiers ont obligé les six hommes à retirer leur chemise et à s’agenouiller, puis ils les ont menottés. Ils ont fouillé l’appartement en cassant des objets au passage. L’un des policiers a appelé le commissaire pour lui dire qu’ils venaient d’arrêter des hommes gays se livrant à des actes homosexuels. Le commissaire est arrivé peu de temps après.

 

Laye se souvient :

Ils nous ont giflés à plusieurs reprises, des centaines de fois. Tous les policiers nous ont giflés, mais pas le commissaire. Ils nous ont aussi frappés avec leur matraque. Nous avions des marques sur le dos. Pendant plusieurs jours, nous n’avons pas pu nous adosser contre un mur. Ils m’ont frappé avec une matraque sur la tête, ils ont frappé un autre [type] sur les fesses tellement fort qu’il ne pouvait plus s’asseoir ni s’agenouiller. Nous étions tous en sang. Ils nous ont frappés pendant une heure et demie. Pendant tout ce temps, ils nous ont insultés, traités de « sales pédés ». Ils nous ont dit : « Vous faites du mal au pays », « vous êtes maudits », « vous êtes la honte de notre peuple. » Ils nous ont traités de « goorjigeen », des milliers de fois, et de « domaram » [salauds], « kattelsande » [fils de putes]. Moi seul avais avoué être gay. Les cinq autres niaient. Mais au bout d’une heure et demie de coups, quand la police a dit « Dites-nous que vous êtes gays », tout le monde a avoué.
 
Ils ont pris nos téléphones portables. J’avais 55 000 francs CFA sur moi. Ils ont pris l’argent. Ils ont pris la télé, l’ordinateur, les DVD et mon lecteur DVD, des cadeaux et des vêtements que j’avais achetés au Maroc le mois précédent, mon passeport et celui d’un copain, ainsi que mon permis de conduire et une pièce d’identité. Je n’ai rien récupéré après notre libération. Les voisins ne se sont pas introduits dans mon appartement pour voler [comme l’affirment certains comptes rendus] ; c’est la police qui a tout pris ce soir-là.[46]

 

Modou, 28 ans, raconte l’arrestation : « J’étais très surpris et j’avais peur. Je me suis mis à réciter le Coran. La police m’a dit :Tu n’as pas le droit de réciter le Coran, ni de prononcer le nom de Dieu.’ Malang, 27 ans, ajoute :

Je n’oublierai jamais cette journée. J’étais en train de préparer à manger dans la cuisine quand on a sonné à la porte. [...] L’un d’eux m’a traîné hors de la cuisine. Il a dit : « C’est toi la grande dame de la maison. Tu devrais aller niquer ta mère. » Ils nous ont traités de kattelsande, de duggalsande [fils de putes]. Ils m’ont traité de khoi bai [la bite de ton père]. J’ai tout de suite pensé à ma femme et à mon enfant. Je suis allé vers la fenêtre et j’ai essayé de me jeter par la fenêtre. Je savais que tout le monde l’apprendrait. Je ne pensais qu’à me jeter par la fenêtre.

 

Un autre membre d’AIDES Sénégal, Issa, 25 ans, s’est rendu à l’appartement de Laye après l’arrivée de la police. « Devant la porte [...] un policier m’a attrapé par le col et m’a traîné à l’intérieur. Il m’a forcé à m’agenouiller. Il ne m’a rien demandé, les autres m’ont insulté et traité de tous les noms. »[47]Un autre membre de l’association, Aliou, est arrivé au moment où les policiers emmenaient les hommes vers le fourgon, aux alentours de 23h30.

 
J’ai compris qu’il se passait quelque chose. J’ai fait demi-tour mais deux policiers m’ont vu et m’ont rattrapé. Le policier m’a demandé si je connaissais Laye. J’ai dit que je ne le connaissais pas, mais ils ne m’ont pas cru. Ils ne m’ont même pas emmené dans l’appartement. Ils m’ont fait monter dans le fourgon [de police] et m’ont frappé.[48]

« Des curieux s’étaient rassemblés dehors. La police leur répétait que nous étions de ‘sales goorjigeen’. La foule s’est agrandie et les gens nous ont jeté des pierres tout en nous insultant », déclare Modou. « Ils m’ont frappé sur tout le corps et sur les flancs. Un policier m’a donné des coups de pied sur les cuisses avec ses bottes. L’un d’eux a pris ma pièce d’identité et l’a jetée par la fenêtre de la voiture. »[49]

 

Les policiers ont emmené les huit hommes au commissariat de SICAP Mbao. Malang raconte les cinq premiers jours passés au commissariat :

 

La cellule faisait environ 3 mètres sur 4,5 mètres. On était à l’étroit. On ne pouvait pas s’allonger, c’était très sale. On devait rester assis ou debout tout le temps. Moi, je restais assis, je ne m’allongeais pas. Pendant la journée, des gens venaient nous regarder. L’entrée du commissariat était juste en face de la cellule. Il y avait seulement des barreaux, pas de mur, on ne pouvait pas se cacher. La plupart du temps, on restait accroupis, la chemise remontée sur la tête.[50]

 

« Ils n’arrêtaient pas de nous insulter », déclare Laye : « Ils nous ont traités de goorjigeen un millier de fois au moins. Ils nous traitaient aussi de dunx’, de ‘kanara, ce qui veut dire ‘oie’ ou ‘canard’, un autreterme péjoratif pour désigner les gays, et de tapettes. » :

On nous frappait matin et soir. Nous n’avons pas vu un juge, nous n’avions pas le droit de téléphoner. Les policiers nous ont dit que nous n’avions aucun droit, que nous étions impurs, damnés, et qu’on ne pouvait rien partager avec les autres, pas même les toilettes. Pendant cinq jours, nous n’avons pas eu le droit d’aller aux toilettes. Nous devions nous soulager dans un coin de la cellule. On ne nous a rien donné à manger et à boire. Des proches nous ont apporté à manger et à boire. Des policiers avaient appelé nos familles. Ils avaient trouvé les numéros dans nos portables. Ils ont appelé ma mère et lui ont dit : « Votre fils est une tapette », puis ont raccroché.
 
Ils m’ont obligé à m’allonger sur le ventre sur une table pour me donner des coups sur les fesses. Ils ont fait ça tous les jours. Ils nous appelaient pour nous interroger et nous emmenaient dans le bureau, où ils nous obligeaient à nous agenouiller, et nous frappaient. Les policiers posaient des questions du style « Combien t’as eu de relations sexuelles ? T’as déjà couché avec une femme ? » À chaque fois qu’ils me posaient une question, ils me giflaient. Les passages à tabac pouvaient avoir lieu à n’importe quel moment, et surtout quand le commissaire n’était pas là. Ils ont pris des dizaines de photos de nous avec leur propre appareil photo. Je ne sais pas ce qu’ils vont en faire.[51]
 

Le lendemain soir, le 20 décembre, un autre membre d’AIDES Sénégal, Khadim, âgé de 22 ans, a appelé Laye sur son portable pour lui demander s’il pouvait le voir chez lui. La personne qui a répondu au téléphone lui a dit de venir.[52]Khadim attendait devant la porte de l’appartement lorsque des voisins sont sortis et ont commencé à lui poser des questions. Pris de panique, il est parti en courant :

Les hommes m’ont couru après en hurlant « Au voleur, au voleur ! ». D’autres se sont mis à me pourchasser aussi, ils devaient être une vingtaine en tout. J’ai décidé de m’arrêter et de leur expliquer que je n’étais pas un voleur et que je cherchais Laye. Ils ont dit : « Tu sais que Laye est un goorjigeen ? Si t’es venu le voir, c’est que tu en es aussi un. » Ils ont tous pris des pierres pour me les lancer. Un homme a dit qu’il fallait m’emmener au commissariat. Il m’a giflé, m’a pris mon téléphone et m’a emmené au commissariat. Le type a dit aux policiers que j’étais un goorjigeen et que je cherchais Laye. Le policier lui a dit : « Bon travail. Vous devez m’amener tous ceux qui cherchent Laye. »
 
Les policiers ont remonté ma chemise et m’ont frappé sur le dos avec leur matraque. Je hurlais. Un des policiers me frappait en me traitant de tous les noms, « tapette », « goorjigeen », « kattelsande ». Le chef du service des enquêtes, Ndiouga, est arrivé au commissariat vers 1 heure du matin. Il s’est mis à m’insulter et à me frapper. Il m’a demandé ce que je faisais chez Laye et si je savais que Laye était gay. Quand j’ai nié [être au courant de quoi que ce soit], il m’a giflé et a hurlé : « Arrête de mentir. T’es un goorjigeen, toi aussi. Vous êtes tous pareils. » Je l’ai supplié : « Au nom du Prophète, s’il vous plaît arrêtez, je vous en supplie. » Il m’a dit : « Tu ne peux pas être musulman, t’es gay. Tu n’as pas le droit de prononcer le nom du Prophète. »
 
Le lendemain, Ndiouga m’a fait venir dans son bureau. Il m’a obligé à me déshabiller et à m’allonger sur une table, sur le ventre. Il m’a frappé sur la nuque, le dos et les fesses, pendant environ une heure, avec une matraque. Et ça a recommencé tous les matins et tous les soirs.[53]

 

La police a frappé et insulté les neuf membres d’AIDES Sénégal au cours des cinq jours qu’ils ont passé au commissariat de SICAP Mbao.[54] Certains d’entre eux ont eu droit à un traitement spécial, comme Modou, à cause de son nom de famille :

 

J’ai le même nom qu’un des policiers. Ce policier m’a frappé sans raison en me disant : « Comment oses-tu porter le même nom que moi. Aucun gay ne peut avoir le même nom que moi. » Ils m’ont battu si fort que je me suis évanoui. J’avais les ongles en sang. Je ne pouvais plus respirer. Quand je me suis évanoui, ils m’ont giflé pour me réveiller et ont continué à me frapper.[55]

 

Cherif, 23 ans, a lui aussi été battu à cause de son nom :

Le 19 décembre, quand la police est venue, j’ai eu très peur. Un des policiers s’appelait [comme moi]. Il m’a battu très fort. Il a dit : « Tu fais honte à l’ethnie Puular.[56] D’ailleurs, comment peux-tu être Puular et gay ? » Le commissaire nous a insultés et a dit aux policiers de nous frapper, puis il est parti. On m’a obligé à me déshabiller et à m’allonger sur une table sur le ventre. On m’a frappé aux cuisses, aux fesses et au dos avec une matraque.
 
La première nuit, j’ai été emmené avec un autre [des neuf hommes] dans un autre commissariat pour la nuit. À notre arrivée au commissariat, les policiers nous ont forcés à nous déshabiller. Ils nous ont retiré nos talismans [portés autour de la taille] et nous ont fouettés avec. Ils ont dit que nous étions perdus, que nous étions la honte de nos familles. Une fois, l’inspecteur a fait venir trois d’entre nous dans le bureau. Il nous a touchés les fesses et nous a insultés.[57] 

 

Les policiers ont demandé à chacun des neuf hommes s’ils étaient sexuellement passifs ou actifs. Thierno, 27 ans, a avoué être actif, c’est-à-dire celui qui « s’allonge dessus » au cours des relations sexuelles :

 
Ils m’ont frappé au ventre, à la tête, aux jambes et aux cuisses. [Thierno décrit ensuite comment ils se sont moqués de lui en mimant son statut et ses performances de partenaire sexuel actif.] Ils ne me laissaient pas parler, ils faisaient que me frapper. Ils m’ont frappé tellement fort, beaucoup plus fort que les autres parce que j’étais le seul partenaire actif du groupe. Ils m’ont demandé pourquoi je préférais les hommes aux femmes.[58]

 

À la différence du châtiment infligé à Thierno pour son rôle « masculin » mais néanmoins homosexuel, Malang a subi un traitement particulièrement dégradant à cause, justement, de son « rôle de femme » : « Comme j’étais dans la cuisine [quand la police est arrivée], ils se sont dit que j’étais forcément celui qui est ‘dessous’. »

 

Un des policiers a dit : « Ne les frappez pas au visage, à la tête ou dans le dos. Frappez-les aux fesses. Ils pratiquent la sodomie, peut-être que ça leur fera passer l’envie. » Au commissariat [le premier soir], les policiers m’ont obligé à me déshabiller et à défiler en sous-vêtements comme un mannequin. Ils m’ont frappé partout, au visage, dans le dos, sur les épaules, la tête et les fesses. Je ne me rappelle pas tout ce qu’ils m’ont dit. J’ai demandé à aller aux toilettes et ils ont dit : « Comment tu peux faire pipi ? Est-ce qu’au moins tu as un pénis ? » Ils ne m’ont pas laissé aller aux toilettes pendant plusieurs heures.

 

Ils m’ont obligé à m’allonger sur une table, sur le ventre, en sous-vêtements. Et puis ils m’ont frappé sur les fesses avec leur matraque. Du 20 au 24, tous les jours, matin et soir, ils m’ont dit : « Viens prendre ton petit déjeuner » ou « Viens dîner » quand ils voulaient me frapper sur les fesses. C’était chaque jour les mêmes [policiers]. Ils s’appelaient Ndiouga et Sow. J’étais couvert de bleus et de traces de coups. Je ne pouvais pas m’asseoir, je devais rester allongé sur le dos. J’avais envie d’uriner mais je n’y arrivais pas tellement j’avais mal. Du 20 au 23, je n’ai pas pu uriner une seule fois. Je me tenais devant les toilettes pendant plusieurs minutes à essayer, mais ça ne venait pas.[59]

Aliou, qui a été interpelé par la police à proximité de l’appartement, évoque une agression sexuelle commise par un policier :

 

Au commissariat, on m’a fait enlever tous mes vêtements, alors que les autres [pour la plupart] n’ont dû enlever que leur chemise. Un policier m’a dit : « Avant, tu étais physiquement actif, et maintenant, regarde ton corps, t’es devenu un goorjigeen. » En même temps qu’il disait ça, il m’a enfoncé deux doigts dans l’anus. Aujourd’hui encore, j’ai mal au rectum.[60]

 

 

 

En prison

Le 24 décembre, les neuf hommes ont été transférés à la prison de Rebeuss. Là, ils ont été séparés. Sur les 44 cellules de la prison, certaines comptent plus d’une centaine d’hommes. D’autres, plus petites, n’en comptent que quatre ou cinq. Tout le monde en prison avait entendu parler des « neuf homosexuels de Mbao » : « Certains avaient entendu parler de nous à la télé et dans les journaux, mais rapidement, tout le monde dans les cellules a été au courant. »[61]

Modou raconte :

 

On nous a emmenés dans la pièce où l’on accueille les nouveaux prisonniers et j’ai dû me déshabiller. Dans la cellule, on était les uns contre les autres. Il n’y avait pas de place pour bouger ou se retourner. S’il y en avait un qui partait aux toilettes, il perdait le peu d’espace qu’il avait. Comme personne ne voulait nous toucher, on ne nous laissait pas de place pour nous allonger. Parfois, je voulais prier, mais les autres [détenus] me disaient : « Tu es homosexuel, tu veux prier, pour quoi faire ? », et ils ne me laissaient pas de place pour prier.[62]

Cherif évoque la menace constante de l’agression sexuelle :

 

Les conditions de vie dans la première prison étaient terribles. On était cent dans ma cellule. Les hommes me proposaient tout le temps des rapports sexuels. Quand je voulais prier, ils me disaient que je ne pouvais pas. Les hommes venaient me voir et me disaient qu’ils voulaient avoir des relations sexuelles avec moi. Je niais être gay. C’était la même chose dans les deux prisons. Il n’y avait pas de préservatifs. Les relations sexuelles sans protection sont très courantes en prison.[63]

 

Khadim a dû se protéger contre les menaces de viol proférées par d’autres détenus. « Dans la première prison, un autre détenu a dit qu’il aurait des rapports sexuels avec moi parce que j’étais gay. Il a dit qui allait me violer. »[64]

Parce qu’ils étaient gays, les autres détenus leur refusaient l’accès aux installations de base comme les douches. Laye raconte :

 

J’avais des tiques et des puces sur la peau et mes vêtements. Je n’ai pas pu me doucher pendant 13 jours. À la prison, il fallait faire la queue [pour la douche]. Quand mon tour arrivait, la personne devant moi me faisait quitter le rang. Ils disaient des choses comme : « Les gays ne peuvent pas se doucher dans les mêmes douches que nous. »[65]

 

Malang était dans une cellule avec 180 détenus :

 

Je faisais la queue pendant des heures pour les toilettes et quand mon tour arrivait, ils me disaient : « Tu ne peux pas utiliser les toilettes comme tu es gay. » Je voulais aller prier, ils m’en empêchaient. On était entassés comme des sardines dans la cellule. Les premiers jours [la nuit], je quittais ma place pour aller aux toilettes. Quand je revenais, je n’avais plus de place. Je passais le reste de la nuit debout ou accroupi dans un coin. Comme ils m’empêchaient d’aller aux toilettes la journée, j’y allais la nuit, mais cela voulait dire que je ne pouvais pas dormir.[66]

 

Les neuf hommes ont été jugés le 6 janvier 2009. Ils ont été inculpés sur le fondement de l’article 319.3 du Code pénal sénégalais qui prévoit une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement, et sur le fondement de l’article 238 pour association de malfaiteurs. Ils ont été condamnés à huit ans de prison, soit une peine plus sévère que celle de cinq ans requise par le procureur. Après deux mois passés à la prison de Rebeuss, ils ont été transférés au Camp pénal de Liberté 6, également à Dakar.

Les hommes ont fait appel par l’intermédiaire de leur avocat, Biram Sassoum Sy. Ils ont fait valoir que la loi réprime les actes homosexuels et non l’homosexualité en tant qu’identité, et qu’il n’existait aucune preuve de l’existence d’actes homosexuels dans cette affaire. Parallèlement, des ONG locales et internationales, ainsi que des gouvernements étrangers, ont fait pression sur les autorités sénégalaises pour que les hommes soient libérés. Le procès devant la cour d’appel s’est soldé par l’annulation de la décision de première instance pour faute de preuve de toute activité criminelle et vice de procédure lors de l’arrestation. Les hommes ont été libérés le 20 avril 2009. Cependant, la foule et les journalistes qui s’étaient massés à l’extérieur de la prison ont dissuadé les hommes de quitter la prison pendant 12 heures de crainte d’être agressés ou photographiés. Les hommes ont quitté Mbour la nuit tombée pour ne pas se faire remarquer. Mais une foule en furie les a forcés à faire un long détour pour rejoindre Dakar :

 

On ne pouvait pas rester longtemps au même endroit. Les gens finissaient par savoir qui nous étions, alors on n’arrêtait pas de changer d’endroit. Une fois, on a passé une nuit à Mbour. Le lendemain matin, tout le village était au courant. Ils se sont lancés dans une chasse aux sorcières. Les actualités ont dit qu’on était à Mbour et la nouvelle s’est répandue de maison en maison. Je ne sais pas comment ils ont su où on était. […] On avait parlé de nous à la radio et dans les journaux, peut-être que quelqu’un nous a vus.
 
Depuis, nous ne travaillons plus. J’allais de chez un ami à un autre, de Mbour à Saint-Louis. Je n’avais rien. À qui s’adresser quand on n’a pas d’argent ? Où aller ? Si je prends un taxi pour Pikine, rien que ça, ça coûte 6 000 francs CFA. Tu ne sais pas comment aller là où tu dois aller. En général, on mange une fois par jour. Il est déjà arrivé que certains d’entre nous passent plusieurs jours sans manger par manque d’argent.[67]

 

« Ce qui nous est arrivé est loin d’être terminé. »

Au cours des deux mois suivants, les neuf hommes ont transité de ville en ville. Lorsque Human Rights Watch s’est entretenu avec eux à la fin du mois de juillet, sept sur les neuf vivaient à Dakar, dont deux avec leur famille. Leur vie était encore totalement bouleversée. Laye raconte :

 

Je préfèrerais être en prison plutôt que dehors. Je suis très exposé et vulnérable. Je n’ai pas de travail. Je ne peux pas retourner là où nous vivions. C’est comme si j’étais encore en prison. Tout ce que je veux, c’est du travail. J’ai des crises d’angoisse et d’anxiété, comme si je sentais que quelque chose va m’arriver. Je ne peux pas prendre les transports en commun. J’ai même peur de prendre le taxi parce que les chauffeurs de taxi écoutent la radio et les émissions sur les goorjigeen. J’ai peur que quelqu’un me reconnaisse ou me soupçonne. […] Je n’ai jamais l’esprit tranquille.[68]

Issa n’a pas de ressources :

 

J’ai perdu mon travail avec cette histoire. Personne ne veut m’accorder de crédit pour faire des achats. Les banques ne m’aident pas et personne ne veut me prêter de l’argent. Je vis de ce que mes amis veulent bien me donner. J’ai du mal à dormir. Je fais des cauchemars et je suis tout le temps à me dire que quelqu’un va venir me chercher.[69]

 

Avant les événements, Cherif travaillait avec sa mère ; après son arrestation, il a perdu sa famille et son gagne-pain :

 

Je loue une chambre [à Rufisque]. La vie est dure parce que je n’ai pas beaucoup d’argent. En perdant ma famille, j’ai perdu ma place dans la société. Je me sens très vulnérable et j’ai toujours l’impression que tout peut arriver à n’importe quel moment. Je m’attends toujours à ce que quelqu’un se glisse derrière moi pour me donner un coup de couteau. Lorsque que j’étais en prison, mon jeune frère a affiché des photos de moi dans le quartier disant : « Cet homme est gay. » Tous les jours, je me demande si je vais pouvoir manger. J’achète des vêtements pour les revendre et si je fais des bénéfices, je m’achète à manger.[70]

 

Malang a tout perdu :

 
Je ne vis plus à Rufisque. Je n’y suis jamais retourné. J’habite dans un village pas très loin de Rufisque. Je dois démarrer une nouvelle vie, c’est une renaissance. Si je dois aller au marché, j’y vais à l’aube ou au crépuscule pour qu’on ne me reconnaisse pas. Les villageois ne sont pas au courant mais j’ai peur de rencontrer quelqu’un qui me connaît ou que quelqu’un me reconnaisse dans les transports en commun. J’ai dû rompre tout lien avec mes amis, ma famille, avec la vie. Même au sein de la communauté HSH, les gens ne veulent pas être vus en ma compagnie. Ce qui nous est arrivé est loin d’être terminé.
 
Je n’ai pas vu ma mère depuis l’arrestation. Je suis en mode de survie maintenant. Je vis au jour le jour. Je ne sais pas ce que je vais manger, ni quand. Je peux passer 10-15 jours sans manger ni riz ni poisson [le repas de base]. En général, je mange des flocons d’avoine. Je me démène pour avoir de l’argent. Il arrive que des amis me dépannent parfois avec du lait et du sucre. Mais c’est dur, eux non plus n’ont pas grand-chose.
 
Parfois, je vais en ville et je n’ai pas d’argent pour rentrer chez moi. Avant, j’étais tailleur et je m’en sortais tout seul. Maintenant, je n’ai plus rien. Ne pas avoir à manger ni d’argent est une chose : je peux rester dans ma chambre et m’en contenter. Mais je n’ai pas assez d’argent pour le loyer, et l’idée d’être un jour mis à la porte m’est insupportable. Le jour où ça arrivera, je laisserai un mot et je me suiciderai. Je ne vois pas d’autre solution.[71]

 

Plus que tout, Thierno regrette sa famille : « Des fois, j’ai envie de mourir. Je n’ai plus goût à rien. Je m’en veux même d’être gay. Quand on est Sénégalais, tout tourne autour de la famille. »[72] Rien ne va plus pour Aliou non plus : « J’ai envie d’avaler du poison et de mourir. Ce qui compte le plus dans la vie, c’est de partager [ta vie] avec ta famille. Maintenant je n’ai plus personne. »[73]

Khadim vit auprès des siens, sans toutefois savoir pour combien de temps :

 

Quand les gens me posent des questions sur ma vie et sur ce que j’ai vécu, j’ai envie de pleurer. Après ce qui s’est passé, ma famille m’a dit de rester à la maison. Chaque fois que je sors, ils me demandent où je vais et me disent que je vais me marier de gré ou de force. J’aimerais partir de chez moi, mais je n’ai pas d’argent. Je suis encore étudiant et je n’ai pas de travail. Je perdrais la protection de ma famille. Si tu perds ta famille, tu es en danger. Tu peux même te faire des ennemis au sein de ta propre famille, et ça, c’est ce qui peut arriver de pire.
 
Ma famille a raconté aux gens du quartier ce qui s’était passé. Si je fais quoi que ce soit qui leur déplaît, ils vont le raconter aux autres. Maintenant que tout le monde est au courant dans mon quartier, je ne peux plus sortir de chez moi. Je serais une proie facile. Je ne suis en sécurité nulle part.[74]

Huit mois après leur libération, début février 2010, Laye et un ami à lui voyageaient en bus. Un groupe de jeunes hommes à bord du bus regardait Laye avec insistance et semblait parler de lui. L’un d’eux a ordonné à Laye de descendre du bus, disant qu’ils ne pouvaient pas voyager dans le même bus que lui. Quand Laye a protesté, les hommes lui ont dit que s’il ne descendait pas, ils diraient à tous les passagers du bus pourquoi ils voulaient le voir descendre. Laye et son ami sont descendus du bus.

Une multitude d’exactions : arrestations arbitraires, violences de la communauté

Si le scandale du « mariage gay » et l’arrestation et la condamnation des « neuf homosexuels de Mbao » ont fait l’objet d’une certaine attention internationale, la plupart des violences au Sénégal à l’encontre d’hommes gays et soupçonnés d’être gays passent inaperçues, même à l’échelon local. Durant notre enquête, nous avons parlé à 18 hommes qui ont été victimes de violences, de menaces ou de mauvais traitements. Certains ont été victimes de simples particuliers, d’autres de la police.

Tous ont été insultés et vivent dans la crainte d’une agression imminente. Cinq hommes nous ont dit avoir été arrêtés ou ramassés par la police et retenus pendant des heures et parfois des jours sans raison, du simple fait qu’on les soupçonnait d’être homosexuels. Six autres ont fait état d’agressions physiques et verbales, allant du passage à tabac au chantage, de la part de personnes inconnues, de voisins, et de membres de leur famille. Les « preuves » d’homosexualité à l’origine d’une agression sont variées : ce sont parfois des facteurs circonstanciels, comme le fait de se rendre dans un club ou un parc que l’on sait être fréquenté par des gays, c’est parfois l’expression de genre qui se manifeste par le fait d’être bien habillé ou de se mettre de l’eau de cologne, c’est enfin parfois un style de vie qui s’écarte de la norme, lorsque l’on n’est pas marié, sans petite amie, sans enfant.

Les témoignages dans ce chapitre révèlent l’impunité avec laquelle des gens agressent des hommes qu’ils soupçonnent d’être gays. Cette impunité s’appuie sur la condamnation quasi-universelle au Sénégal de l’homosexualité dans la sphère publique, ainsi que sur l’absence d’opposition aux violences de la part de la société dans son ensemble. Ces cas de violences incontrôlées reflètent on ne peut mieux les défaillances du gouvernement, qui ne protège pas la communauté HSH vulnérable. Par ailleurs, l’inaction de l’État, qui n’enquête pas sur les violences de la population et qui ne poursuit pas les auteurs de ces violences, traduit une déresponsabilisation des acteurs, tant privés que publics, qui ne sont pas comptables de leurs actes.

Au fur et à mesure de nos entretiens, nous avons pu constater que le rôle joué par la police dans les deux affaires, abondamment évoquées au chapitre précédent, rendait les victimes d’agressions réticentes à demander protection. Tapha, responsable d’une association HSH dont la photo a été publiée par Icône,explique pourquoi il ne se tourne pas vers les autorités :

Je n’ai pas confiance en la police. On a besoin de son aide, mais quand elle apprend qu’on est gay, elle ne fait rien pour nous aider. Après les photos [dans Icône], la police s’est lancée dans une chasse aux homosexuels. J’ai eu d’autres mauvaises expériences avec la police, alors je n’irais pas la voir.[75]

 

Makhtar, 38 ans, a été agressé physiquement à plusieurs reprises. Quand nous lui avons demandé s’il s’était déjà tourné vers la police, Makhtar a secoué la tête et lancé ironiquement : « Pour quoi faire, pour dire à la police que j’ai été agressé par des homophobes parce que je suis gay ? Pour lui dire ça ? »[76]

La plupart des hommes interrogés partagent avec Makhtar et Tapha la même méfiance envers la police, surtout depuis les arrestations dont on a beaucoup parlé. Difficile en effet de s’attendre à ce que des personnes soupçonnées d’être homosexuelles se tournent vers la police lorsqu’elles sont agressées ou menacées. Le fait d’être agressée en raison de son orientation sexuelle ou son identité de genre se retourne même contre la victime.

Arrestations arbitraires et mauvais traitements infligés par la police

L’histoire de Moussa

Moussa, 25 ans, nous a déclaré avoir des problèmes depuis l’âge de 13 ans du fait de son « comportement » et de ses pratiques sexuelles. Il a été arrêté à trois reprises. En 2004, alors âgé de 20 ans, Moussa, soupçonné d’avoir eu des relations sexuelles avec un autre homme, a été arrêté et emmené au commissariat de Dieuppeul :

 

En fait, ils ne m’ont pas surpris en train d’avoir des relations sexuelles avec un homme, ils l’ont supposé d’après l’endroit où je me trouvais et les vêtements que je portais. Ils m’ont déshabillé et m’ont battu. Ils m’ont gardé deux mois. Je ne sais pas sur quel fondement ils m’ont arrêté, je ne sais pas lire. Mais la police m’a dit que j’avais été arrêté pour avoir eu des relations sexuelles avec des hommes. Ils m’ont insulté, m’ont traité de goorjigeen, de kattelsande, de domaram et de nangamtan [« fils de pute » en wolof]. Ils m’ont battu. Ils m’ont dit : « Puisque tu es gay, nous allons prendre cette matraque et la fourrer dans le vagin de ta mère. » Ils m’ont enfoncé des aiguilles sous les ongles pour me faire avouer [que j’étais gay].
 
Ils me frappaient à la tête pendant qu’ils m’interrogeaient. Ils n’arrêtaient pas de me demander si j’étais gay, je répondais que non, et ils continuaient à frapper. Ils m’ont griffé à la tête, au front et au visage. Ils m’ont frappé aux bras, aux fesses et dans le dos. Les policiers me traitaient de noms de femme. Ils m’ont demandé : « À quel genre d’actes sexuels tu t’adonnes ? Tu laisses tes petits copains te baiser ? » Ça a continué pendant trois jours au commissariat. Ils me battaient tous les jours. Ils disaient aussi qu’ils me tueraient.

 

La deuxième fois que Moussa a été arrêté, le 7 octobre 2005, la police l’a emmené au commissariat de Guédiawaye :

 

Il était 7 heures du soir. J’étais chez un ami, nous venions d’avoir un rapport sexuel. Des jeunes du quartier ont appelé les flics. Ils étaient cinq, mais pas en uniforme. La porte fermée n’était pas verrouillée. Mon copain et moi étions en sous-vêtements, mais nous ne faisions rien [de sexuel]. Ils m’ont quand même arrêté et gardé pendant six mois. De la maison à leur voiture, ils m’ont frappé avec leur matraque. Le lendemain, le commissaire m’a interrogé. Il m’a demandé plusieurs fois si j’étais gay. J’ai nié à chaque fois. Il a ramassé un tuyau métallique et il a dit qu’il me ferait très mal avec si je n’avouais pas. Alors j’ai avoué.
 
Je ne sais pas de quoi ils m’ont accusé. Le 8 octobre, j’ai été transféré à la maison d’arrêt, et le 27 j’ai été condamné à six mois de prison à Rebeuss. Là, les détenus me traitaient de goorjigeen et me frappaient. Le chef de cellule a essayé d’avoir des relations sexuelles avec moi. J’ai été transféré dans une autre cellule. Là encore, un codétenu a essayé de me violer. Il m’a donné des coups de poing, il m’a cogné pendant une heure et personne n’est intervenu. Je lui ai donné des coups avec une antenne de radio pour me défendre, et j’ai pris six mois de plus. J’ai été transféré dans une autre prison, à Cap Manuel. Et puis on m’a accordé la grâce présidentielle. Je ne sais pas ce qui s’est passé.[77]

L’histoire de Tamasir

Tamasir, 28 ans, est séropositif. Il a des plaques métalliques dans les deux jambes suite à un accident qui s’est produit lorsqu’il avait 14 ans. Après avoir économisé de l’argent pendant des années pour se payer une opération et se faire enlever les plaques, il est allé un jour de juin 2006 à la banque pour déposer un chèque de 55 000 francs CFA. Là, il rencontre un ami. Les deux hommes discutent. Quatre ou cinq policiers se trouvent à proximité dans un véhicule de police. Les policiers abordent les deux hommes et demandent à voir leur pièce d’identité. En sortant sa pièce d’identité, Tamasir fait tomber le chèque de sa poche devant le policier. Les policiers fouillent Tamasir et trouvent ses médicaments antirétroviraux (ARV). Tamasir prétend que c’est pour soigner ses ulcères, mais les policiers exigent 100 000 francs CFA, menaçant les deux hommes de les arrêter et de dire qu’ils les ont surpris en train d’avoir des relations sexuelles s’ils ne paient pas. Tamasir et son ami refusent :

Ils nous ont emmenés au commissariat central de Dakar. En chemin, le véhicule s’est arrêté devant une pharmacie et les policiers sont entrés [avec les médicaments antirétroviraux].[78] Au commissariat, les policiers ont affirmé à l’inspecteur que le médicament servait à relaxer [le sphincter] avant les rapports sexuels.
 
Nous sommes restés au commissariat pendant deux jours, et puis ils nous ont transférés à la prison de Rebeuss. Au commissariat, ils nous giflaient sans cesse et ne nous donnaient rien à boire ni à manger. Il n’y avait pas de place dans la cellule. Nous avons passé deux jours debout ou accroupis dans un coin. À tel point qu’on attendait avec impatience d’être transférés à la prison. Une semaine après notre arrestation, on a pu appeler un avocat. Nous étions en prison. J’ai dû donner de l’argent au gardien pour appeler l’avocat. [Dans la prison] il fallait attendre des heures pour prendre une douche. Des détenus de la cellule qui avaient certains pouvoirs pouvaient t’aider et te permettre de prendre une douche, mais il fallait coucher avec eux. C’est ce que j’ai fait, pour une simple douche. Il n’y avait pas de préservatifs. Dans la cellule, d’autres hommes avaient aussi des relations sexuelles entre eux.
On nous a emmenés au palais de justice de la Madeleine, dans le centre-ville de Dakar, pour être jugés [sur le fondement de l’article] 319.3. La police racontait aux personnes rassemblées autour du tribunal que nous étions des homosexuels. Les gens disaient : « Il faut les laisser croupir en prison. Ne plus jamais les laisser sortir, et ne pas les condamner à quelques mois seulement. » Comme le policier qui nous a arrêtés oubliait chaque fois de venir à l’audience, il fallait revenir. Nous avons dû revenir six ou sept fois. Nous avons vu le juge une seule fois. Il nous a dit : « Regardez-vous, vous vous comportez comme des femmes, vous parlez comme des femmes. Vous devez changer votre façon de faire et de parler. Regardez vos manières, vous n’êtes pas des hommes. »[79]

 

Tamasir et son ami sont restés en prison sans être entendus par un juge. Au bout de quelques jours, un gardien leur a appris qu’ils avaient été condamnés à six mois. Ils ont fait appel et la peine a été réduite à trois mois. Ayant purgé la quasi-totalité de leur peine, ils ont été libérés quelques jours plus tard. Tout l’argent que Tamasir avait économisé pour se faire enlever les plaques a été dépensé dans le procès.

L’histoire d’Ismaila

Ismaila, 20 ans, participait à une fête d’anniversaire à la mi-2008 :

C’était la nuit, il y avait une cinquantaine d’homosexuels, tous âgés d’environ 19-20 ans. La personne qui organisait la soirée était un homosexuel notoire dans le quartier. Alors, quand ils [les gens du quartier] nous ont vus arriver [chez l’organisateur], ils ont dit qu’on était tous des goorjigeen. Ils sont venus chez lui et ont commencé à nous jeter des pierres. Ils étaient armés de lance-pierres de fortune et de couteaux. J’ai une cicatrice à l’épaule causée par les jets de pierres. J’ai été aussi blessé à la tête et je saignais. Beaucoup d’autres personnes ont été blessées. Il y avait des dizaines de personnes qui nous frappaient de tous les côtés. Elles disaient qu’elles devaient purifier le lieu.
 
La police est venue et a embarqué tout le monde [tous ceux qui participaient à la soirée]. J’ai passé une journée au commissariat. Là-bas, ils nous ont pris en photo et le lendemain, les photos étaient à la télé et dans les journaux.Tout le monde était au courant. Ils nous ont battus toute la nuit. Les policiers répétaient sans cesse : « Vous êtes homosexuels, vous êtes des goorjigeen. » Ils hurlaient « Nangamtan ». Ils m’ont frappé avec des matraques, giflé et donné des coups de pied.
 
Ma mère est venue me chercher le lendemain. Quand je suis arrivé chez moi, tout le quartier était au courant. Ma mère m’a dit : « Si tu sors, ils te tueront. Fais-toi oublier pendant quelque temps, trois ou quatre mois, après quoi tu pourras revenir. »[80]

 

Au moment de notre entretien, Ismaila vivait encore loin de sa famille et n’envisageait pas de rentrer chez lui.

 

Actes de violence commis par des acteurs non étatiques

L’histoire de Moussa

Moussa, dont nous avons relaté l’arrestation un peu plus haut, a organisé une fête pour fêter son anniversaire le 24 mai 2008 :

 

Les gens du quartier savaient que j’étais gay, alors ils en ont déduit que tous mes amis étaient gays eux aussi. Un groupe d’hommes est arrivé et s’est mis à nous lancer des pierres et à frapper mes invités. Ils étaient une trentaine. Un ami a appelé les flics. Les hommes nous ont traités de kattelsande, de goorjigeen et d’autres noms. Ils sont montés sur les murs [de la cour] de la maison et ont crié : « Brûlons-les dans la maison, ne les laissez pas sortir. »
 
Les flics sont arrivés, mais même eux ont eu du mal à maîtriser les hommes. Neuf d’entre nous ont été arrêtés, beaucoup étaient blessés et saignaient. Aucun des agresseurs n’a été arrêté. Les policiers m’ont battu. Ils m’ont dit qu’ils savaient que j’étais gay et m’ont demandé si mes amis l’étaient aussi. Les policiers m’ont dit qu’ils pensaient qu’on avait organisé un mariage gay. Je leur ai dit que c’était seulement une fête d’anniversaire. Alors la police a dit qu’on devrait porter plainte contre les voyous qui nous avaient agressés, et ils nous ont tous relâchés. Je n’ai pas porté plainte parce que j’avais peur. Les gens du quartier m’avaient dit qu’ils me feraient du mal si je revenais. Les imams sont venus au commissariat [pendant que j’y étais]. Ils ont dit au commissaire que si je revenais [dans le quartier], un groupe de jeunes me tuerait et qu’ils les laisseraient faire.
 
J’ai dû partir du commissariat tard dans la nuit pour que personne ne me voie. J’ai dormi sur un banc à Pikine [un quartier de Dakar]. Ma mère m’a dit le lendemain que des journalistes étaient venus dans le quartier pour me voir. Ils voulaient publier ma photo. Elle est venue me voir à Pikine pour me dire de ne jamais revenir. Je suis [parti de Dakar et] allé en Casamance. Je n’avais rien à manger, rien du tout, et je suis allé à Kaolack [une ville au sud de Dakar]. Je n’ai pas revu ma mère depuis.[81]

 

L’histoire de Daouda

Daouda explique ce qui lui est arrivé après la parution des photos dans Icône :

 

Un jour, cinq mois après cette histoire, je rentrais chez moi en taxi. Je suis descendu du taxi et je marchais en direction de la maison. Trois types du quartier traînaient dans le coin. Ils m’ont appelé et m’ont envoyé des baisers de loin en sifflant. L’un d’eux a dit : « On t’appelle, tu sais. Tu dois répondre quand de vrais hommes t’appellent. » Je leur ai dit de me laisser tranquille. Ils ont dit : « Tu n’as pas le droit de nous répondre. Ne sais-tu pas qu’on est de vrais hommes et que tu n’as qu’à écouter ce qu’on te dit ? » Nous nous sommes battus. Ils avaient un couteau.
 
L’un des types [celui qui m’a attaqué] est un « clandestin », il couche avec des hommes mais ne l’assume pas.[82] Il veut toujours être dessus et ne se considère pas gay. Il a pris mon téléphone portable. À ce moment-là, ma copine a appelé. Elle lui a dit qu’on irait porter plainte. Le type a dit : « Vas-y, pas de problème. Je pourrais te tuer que la police ne ferait rien pour te sauver. Quoi que tu fasses, je serai toujours sur ton dos. Tu le sais, ça. »
 
Je tombe tout le temps sur ces types. Parfois, ils me jettent des pierres. Le gars qui m’a blessé avec le couteau se vante auprès de tout le monde de m’avoir donné un coup de couteau, mais personne ne fait rien. Lui et les autres ont dit qu’ils recommenceraient.[83]

L’histoire de Tamasir

Tamasir, dont la terrible épreuve aux mains de la police a été relatée plus haut, a eu un accident de voiture quand il avait 14 ans. Son amant plus âgé a trouvé la mort dans cet accident. Tamasir a été gravement blessé. C’est à ce moment-là que sa famille a appris qu’il avait des rapports sexuels avec des hommes. Il est resté dans le coma pendant deux mois. Quand il est revenu à lui, sa famille l’a mis à la porte. Tamasir n’avait ni argent, ni qualifications. Il a vécu chez des amis pendant quelque temps. N’ayant rien à manger, n’allant pas à l’école, il a commencé à fréquenter la plage et à se prostituer avec des hommes. Il a été testé séropositif en 2006 :

On m’a volé et agressé tellement souvent que je ne me souviens pas de toutes les fois. Même des personnes avec qui j’ai eu des rapports sexuels m’ont volé et frappé. Je n’ai jamais eu le courage d’aller à la police. La police est en relation avec les médias et mon nom aurait été mentionné. Les gens me traitent de goorjigeen, de pédé. Je ne fais jamais d’histoire et je leur donne ce qu’ils veulent pour éviter qu’ils ne sachent ce qui se passe.[84]

L’histoire de David

David, 29 ans, est Togolais. Il se dit gay. Il n’a pas de famille proche au Sénégal :

 

J’ai des amis de différents pays et de différentes cultures. J’ai également un statut socio-économique, ce qui rend les choses plus faciles. J’ai déjà eu des rapports sexuels avec des gens que j’ai rencontrés sur Internet. Internet est le lieu où les gays du Sénégal se rencontrent en raison du silence culturel autour de l’homosexualité.
 
Une fois, en février 2006, j’ai eu des relations sexuelles chez moi avec un homme que j’avais rencontré sur Internet. Il m’a demandé de l’argent, ce qui n’avait pas été prévu. Quand j’ai refusé, il a dit qu’il allait appeler ses copains pour qu’ils viennent devant chez moi faire une scène et révéler mon homosexualité au quartier. Mon propriétaire vivait à côté, et je ne voulais pas qu’il sache. Il [le maître-chanteur] réclamait 400 dollars. Il m’a dit : « Tu as de la chance. Comme tu es noir, je te fais un prix d’ami. » Je n’avais qu’une centaine de dollars, que je lui ai donnés.
 
Pendant trois mois, il m’a appelé pour me demander de l’argent. Lorsque je l’ai menacé de me plaindre à la police, il a dit que la police s’en fichait parce que j’étais un étranger. Ce dont j’avais le plus peur, c’est que ma famille au Sénégal découvre ce que je suis. En tout, je lui ai donné 400 dollars. Le plus terrible est le sentiment de ne pas avoir le choix, ni aucun contrôle sur la situation, et qu’il pouvait me dénoncer quand il le voulait.[85]

L’histoire de Sidi

Sidi, 22 ans, vit dans le quartier de Niary Tally à Dakar. Il se dit homosexuel. Au mois d’août 2008, il se trouvait dans un parc aux environs de 23 heures avec un ami. Les deux hommes discutaient et mangeaient. Le parc était connu dans le quartier pour être un lieu de drague homosexuel. Sidi est allé parler à un homme qui les avait suivis. L’homme est rapidement parti, et Sidi et son ami ont repris leur conversation. Peu de temps après, l’homme est revenu en compagnie de trois hommes :

 

Ils se sont mis à nous frapper. Puis ils nous ont déshabillés. Un homme est passé et leur a demandé pourquoi ils faisaient ça. Ils ont dit qu’ils nous avaient surpris en train d’avoir des relations sexuelles. Comme nous étions nus, l’homme les a crus et est parti, disant à nos agresseurs qu’ils feraient bien de nous amener au commissariat. Ils nous ont frappés pendant une demi-heure. Pendant tout ce temps, ils nous ont insultés, nous traitant de nangamtam, de goorjigeen. Ils nous ont giflés et donné des coups de poing au visage. L’un d’entre avait un long morceau de plastique, une pièce de voiture, avec lequel il a commencé à nous frapper sur les jambes. Ils disaient : « Pourquoi te faire pénétrer quand tu as un pénis ? Pourquoi n’allez-vous pas voir des femmes ? Vous vous vendez aux Blancs […] pour l’argent. Vous êtes une honte pour ce pays. Vous êtes des vauriens pour la religion, et une honte pour votre quartier. Si on vous revoit, on vous tue. »

 

Après nous avoir frappés, ils nous ont jeté nos vêtements. Ils nous ont donné cinq minutes pour quitter les lieux, menaçant de nous brûler, puis ils sont partis. Ils nous ont volé nos téléphones, nos bracelets et nos bagues. Il y avait des gens autour qui regardaient. Personne n’est intervenu. Tout le monde sait que c’est un lieu de drague. Les gens du quartier se sont réunis un jour pour discuter car ils souhaitaient se débarrasser des gays. Les imams de [Niary Tally] ont dit aux gens que s’ils attrapaient un gay dans le quartier, ils devaient le brûler. Un des passants nous a dit : « Faites très attention. Personne ne doit savoir ce qui s’est passé. S’ils [les gens du quartier] savent que l’on vous soupçonne d’être gays, ils vous brûleront. »[86]

*              *            *

Il ressort clairement de ces témoignages que dans certaines régions du Sénégal, il est possible de menacer, d’agresser, de maltraiter et de voler, au vu et au su de tous, et en toute impunité ou presque, des personnes soupçonnées d’être homosexuelles. Ces témoignages illustrent l’impuissance absolue que ressentent les victimes de ces violences et indiquent comment des membres importants de la collectivité peuvent encourager la violence.

La police manque à ses devoirs à trois égards : tout d’abord, les policiers censés protéger la population deviennent eux-mêmes les auteurs de violences en arrêtant, en maltraitant, en faisant chanter et en torturant des individus au motif de leur orientation sexuelle réelle ou perçue et/ou de leur expression de genre. Ensuite, la police manque à son devoir de protection contre les agressions et les menaces privées. Dans le meilleur des cas, la police invite les victimes à se cacher, se déclarant impuissante et incapable d’assurer leur protection, mais souvent, la police s’en prend elle-même aux victimes. Enfin, et c’est là une conséquence des deux premiers manquements, la police n’est pas une ressource efficace au service d’une communauté très vulnérable. Beaucoup de victimes considèrent les policiers comme un élément du problème et non comme des serviteurs publics dont la mission est de les protéger.

 

« Au Sénégal, tu n’as pas besoin de preuves, les soupçons suffisent » :       L’expérience quotidienne des gays ou supposés gays

Je suis homosexuel, ce qu’ils appellent un « goorjigeen ». C’est un terme péjoratif, mais c’est ma vie. Je ne le crie cependant pas sur tous les toits. Je dois le cacher. Si les gens découvrent que je suis gay, je serai pilé comme dans un mortier.[87]
Aliou (nom d’emprunt), Dakar, 25 juillet 2009
Il existe un proverbe au Sénégal : il faut faire preuve de modération. Mes parents veulent savoir [si je suis gay], mais […] leur dire serait m’afficher. Pourquoi faire cela lorsque l’on est accepté et libre ? Quand ma famille commencera à ressentir la pression de l’extérieur, son attitude changera peut-être. Au travail aussi, je suis certain que tout le monde le sait, mais je ne leur dis pas pour la même raison. Le mariage gay dont le magazine [Icône] a parlé, c’est de l’exhibitionnisme. Ils attirent inutilement l’attention, après quoi, tu ne contrôles plus rien.[88]

Ansou (nom d’emprunt), Kaolack, 2 août 2009

Ce chapitre étudie les aspects du contexte culturel sénégalais qui commandent le secret et une extrême prudence à ceux qui ont des comportements sexuels non normatifs. Les témoignages ci-après évoquent le climat de peur et les négociations sociales délicates qui deviennent une seconde nature chez les gays et les HSH. L’exigence de secret et l’absence de structures de soutien sont à l’origine non seulement d’une détresse psychique et psychologique, mais compromettent souvent la capacité des individus à adopter des pratiques sexuelles à moindre risque (et à obtenir des informations sur de telles pratiques), ce qui les rend vulnérables aux exactions. Le titre du chapitre souligne l’impunité avec laquelle les individus sont menacés ou agressés simplement parce qu’ils sont soupçonnés d’être gays.

 

Suspicion et secret

Pathe, 20 ans, a été battu par six hommes qui le soupçonnaient d’être gay. Sa famille a appris qu’il avait été battu. Depuis, il n’a plus qu’une chose en tête : faire plaisir à son père et effacer les soupçons de la famille. Derrière ce désir d’apaisement se cache l’angoisse de perdre toute assistance sociale et économique :

Je suis au moins heureux d’être toujours à la maison. Je ne sais pas ce que je ferais si je n’avais pas de maison. Je ne serais en sécurité nulle part. Au moins, quand vous avez une maison et une famille, vous êtes un peu en sécurité. Vous ne pouvez pas être battu.[89]

Malgré l’absence d’organisation formelle « lesbienne » ou « gay », les hommes gays et les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes forment des communautés et des réseaux d’entraide. Comme plusieurs témoignages le montrent ici, ces réseaux constituent leur seule et unique source d’aide sociale et économique en temps de crise. Pour autant, ces réseaux indispensables peuvent également être le « talon d’Achille » de ces individus, qui sont autrement extrêmement prudents. Le fait de s’associer à des individus que l’on sait ou croit homosexuels peut remettre en cause d’un seul coup des années d’habiles négociations sociales et familiales.

 

Ousmane, 22 ans, nous raconte comment ses parents en sont venus à se poser des questions :

Ma famille a tiré des conclusions sur mon orientation sexuelle à cause de mes fréquentations. Au Sénégal, tu n’as pas besoin de preuves, les soupçons suffisent. Elle savait que je recevais des amis sexys et efféminés. C’est comme ça qu’elle a su. Il y a un bar à Mbour où vont les gays et on les remarque facilement. Certains gens du quartier m’y ont vu et en ont tiré des conclusions.[90]
 

La suspicion d’homosexualité est ainsi établie dans l’esprit des gens. Le simple fait d’être vu avec une personne gay ou supposée gay permet de confirmer la rumeur ou la méfiance, et de susciter des attitudes ou des actes discriminatoires. Les suspects deviennent des bouc-émissaires que les parents et les frères et sœurs rendent responsables des problèmes de la famille, y compris des problèmes financiers. Ziggy, 36 ans, raconte :

Il est évident que je marche et que je m’habille différemment des autres. C’est évident dans la famille. J’ai des vêtements et des trucs sexys et élégants dans ma chambre par rapport à celle de mon frère. Je me fais insulter tous les jours dans le quartier. Les gens me traitent de goorjigeen tout le temps, tous les jours.
Un jour, un tailleur est venu à la maison apporter une robe pour ma mère. Je le connaissais et nous avons parlé. Ma sœur l’avait déjà vu et elle « savait » qu’il était gay. Il était passé devant elle un jour au marché et quelqu’un lui avait dit qu’il était gay. C’était tout. Et quand elle nous a vus parler, elle en a tiré des conclusions. Elle m’a dit que les tailleurs n’avaient pas le droit de venir à la maison. Elle a commencé à me traiter de tous les noms et nous nous sommes battus. Ma sœur m’a traité de goorjigeen et a dit : « Tu nous déshonores. Tu es le signe d’une malédiction. S’il y en a parmi nous à la maison qui ne travaillent pas, c’est à cause de toi. » C’est à ce moment-là que je suis parti de chez moi.[91]
 

Les gens qui sont soupçonnés d’être gays font face à d’intenses pressions pour se marier et remplir d’autres obligations sociales et familiales. Si tout le monde est soumis à de telles pressions au Sénégal, ceux qui sont gays ou sont soupçonnés de l’être n’ont d’autre choix que de satisfaire ces attentes pour ne pas être démasqués. « Lorsqu’il y a une émission sur l’homosexualité à la télé ou à la radio », nous raconte Idrissa, 38 ans, « ma mère demande à l’imam de venir à la maison et lui demande de nous parler de l’homosexualité » :

 
L’imam nous dit que les homosexuels sont impurs, que ce sont des infidèles et qu’il faut les tuer. C’est probablement une manière pour ma mère de dire qu’elle me soupçonne. Par exemple, elle me dit qu’un gay est mort à Touba et que des vers sortaient de son corps, ou elle me raconte d’autres histoires sur des gays morts ou défigurés. Ma mère dit également qu’il faut tuer les gays. [Elle dit qu’] ils sont une honte pour la famille et pour la religion musulmane.
La semaine dernière, la voisine a dit à ma mère que j’étais gay et que je payais des hommes pour avoir des relations sexuelles. [Elle] a dû me voir avec le leader de l’association [gay]. Il n’a jamais caché sa sexualité, et elle a pensé que j’étais gay. Ma mère a dit que je devais me marier dans les six prochains mois. Je ne vois pas comment cette relation [conjugale] pourrait marcher, mais elle a menacé de me mettre à la porte si je ne me mariais pas.
Je ne peux pas me résoudre à me marier, mais je ne peux pas non plus refuser. Je n’y arrive pas avec les femmes. J’ai essayé. Si je me marie, je ne pourrai donc pas avoir de rapports sexuels [avec ma femme], je serai déshonoré et passerai pour un impuissant.
Si j’avais un travail, je partirais de la maison. Un ami m’a proposé d’habiter chez lui mais je ne peux pas partir sans emploi. En quittant la maison, je confirmerais leurs doutes. Je serais alors non seulement reconnu comme gay mais, en plus, sans emploi. Je ne peux pas partir sans rien.[92]
 

Moha, 23 ans, vit à Mbour, une bourgade de 150 000 habitants située à une soixante de kilomètres au sud de Dakar. Il raconte que les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes y sont peu persécutés, d’une part parce que les petites villes ont des concentrations moindres d’hommes visiblement gays pour attirer la suspicion, mais d’autre part parce que la communauté gay y est plus attentive et discrète. Les hommes se rendent cependant souvent à Dakar pour y rencontrer des amis ou faire des connaissances. Parfois, ils y restent, pour profiter de l’anonymat d’une grande ville et de liens communautaires plus distendus. Moha fait preuve d’une « discrétion maximale » et déploie beaucoup d’effort pour ne pas « éveiller de soupçons » :

Je ne me comporte pas de manière efféminée. Je sais que j’aurais des problèmes si les gens savaient. J’envisage de me marier. J’ai appris sur moi-même et également sur les comportements sexuels dangereux en faisant partie de l’association [gay]. Je ne regrette rien. Mais une fois marié, je ne ferai plus partie d’associations. Une fois marié, je projette de ne plus avoir de rapports sexuels avec des hommes. Je pense que je ne serai plus attiré par les hommes une fois marié, et j’ai peur que quelqu’un dise un jour à mes enfants que je suis gay.[93]
 

Le témoignage de Moha en dit long sur la crainte d’être démasqué et l’influence que cette crainte a sur les comportements individuels. La ligne qu’ils prennent soin de ne pas franchir, et qu’ils s’imposent apparemment à eux-mêmes, est en fait la résultante de la crainte d’être démasqué et de la hantise du châtiment. Le fait de passer pour quelqu’un de « normal » est souvent intériorisé et devient la voie qui détermine le comportement individuel.

Pour d’autres, composer avec les conventions sociales est plus clairement une stratégie consciente. Lucas, 22 ans, vit également à Mbour. Il n’est pas certain que sa famille soit au courant de son orientation sexuelle, mais il met beaucoup de soin à la cacher : « Je fais très attention à mon attitude et à mon comportement. Je me comporte comme un homme. En privé et parmi les HSH, j’aime être plus efféminé, mais en société, je ne veux choquer personne. »[94]

Toutefois, l’autodiscipline ne permet pas toujours de se préserver totalement. Moha craint que toutes les précautions qu’il prend ne suffisent à le protéger, tant que d’autres hommes gays au sein de la communauté pourront être identifiés en tant que tels. Compte tenu du risque réel d’être coupable par association, l’autodiscipline glisse vers la discipline de la communauté tout entière. À cet égard, M.C. indique :

Je travaille dans une association HSH et mon rôle est de modifier les comportements des HSH, la façon dont ils s’habillent et se comportent, pour faire en sorte qu’ils ne se comportent pas comme des femmes. Je leur apprends à être moins extravagants et à attirer moins l’attention, parce que cela met en péril la communauté et l’organisation qui nous soutient.[95]

Stratégies de « passing »

La stratégie dite du « passing » consiste à « prétendre » être hétérosexuel en observant les codes de genre (habillement, attitudes, fréquentations). Celle-ci est réservée aux hommes, clandestins compris, dont l’apparence suffisamment masculine leur permet de porter le déguisement ou de dissimuler leur orientation. Beaucoup n’en sont pas capables. Beaucoup ne peuvent écarter les soupçons éveillés par leur manière d’exprimer leur genre, en raison de l’association commune entre certains modes d’expression de genre et l’homosexualité.

Bachir Fofana, journaliste au Populaire, quotidienen faveur de la criminalisation des relations sexuelles entre personnes du même sexe, affirme reconnaître un homosexuel à la manière dont il s’habille et à ses attitudes. Pour lui, les t-shirts moulants sont un signe d’homosexualité et une « provocation ».[96] Comme le montrent les témoignages, le système pénal partage souvent ces préjugés lourds de conséquences.

Lorsque la police inculpe quelqu’un pour homosexualité ou lorsque des individus accusent quelqu’un d’être gay, les tribunaux et la collectivité accordent moins d’importance aux preuves qui sont produites qu’aux accusations qui sont portées. L’accusation établit en quelque sorte ce qu’elle fait valoir. Le fait d’accuser quelqu’un d’homosexualité constitue de façon performative la chose qu’énonce l’accusation.[97] Trop souvent, quelqu’un « est » gay pour la collectivité et pour les tribunaux si suffisamment de gens croient que la personne considérée est gay, et si cette dernière ne parvient pas à « prouver » qu’elle ne l’est pas. C’est ce qu’il ressort de la décision de condamnation des neuf membres d’AIDES Sénégal de janvier 2009, abondamment évoquée au deuxième chapitre. Le fait que la décision ait été infirmée pour absence de preuves n’efface pas le fait que ces hommes ont été déclarés coupables.

Certains parviennent à se constituer un espace au sein de leur famille et de la collectivité et prennent soin de ne pas compromettre la sécurité qu’ils ont acquise. Ansou, 28 ans, est « accepté » par sa famille. Il est toutefois conscient qu’il y a des limites à ne pas franchir, et sait que l’équilibre est fragile :

Des amis me rendent parfois visite, [ils] sont maquillés. Ma famille me demande s’ils sont gays parce qu’ils ressemblent à des femmes. Je leur répète qu’ils ne le sont pas mais ils ne me croient pas. Je ne sais pas s’ils sont capables d’accepter la vérité. Ils semblent ouverts d’esprit, mais je ne suis pas certain qu’ils le seront autant une fois au courant. Et puis, si je le dis à ma famille, il pourrait y avoir des fuites. Si ma famille l’accepte, ce ne sera pas le cas de la collectivité.[98]
 

Certains hommes gays ont des compagnes ou se marient. Sadiou, 20 ans, vit avec sa famille. Il se considère homosexuel et a « une copine comme camouflage ».[99] Bachir se dit également homosexuel. Il est séropositif et, lui aussi, a une copine à titre de couverture :

Je suis très discret. Je fais attention à la manière dont je m’habille, dont je parle et dont je marche. Je sors avec des copains hétéros et jamais avec des gens de la communauté HSH. J’ai une petite amie pour me protéger, ainsi, personne ne pense que je suis gay.[100]

Lassana, 20 ans, se considère également gay. Il a une petite amie. Il dit coucher avec des femmes pour se protéger. Mais Lassana prend d’autres précautions : « Je veille à n’avoir que des amis gays virils. Je fais en sorte de ne pas être efféminé. Je m’habille comme un hétéro. »[101] Jawara a 21 ans. Sa famille le soupçonne d’être gay parce que ses amis sont « extravagants » et peu discrets. Il fait venir des filles chez lui pour que personne ne le suspecte.[102]

Tapha a des rapports sexuels avec des femmes, mais cela ne suffit pas à détourner les soupçons que lui valent ses activités militantes au sein d’une association HSH :

Depuis que je suis dans l’organisation [gay], c’est une évidence pour ma famille [que je suis gay]. Avant, ma famille entendait des rumeurs. Maintenant, elle en a la preuve. Elle le sait également du fait des personnes que je fréquente. Il m’est impossible de trouver un travail. Si je présente un dossier ou répond à une annonce, les gens sauront tôt ou tard que je suis gay, et il y a trop de stigmatisation. Où que tu ailles, les gens te connaissent. Thiès a beau être la deuxième ville du Sénégal, ça reste petit. Tu vas déposer ta candidature dans une entreprise, et quand tu pars, quelqu’un [qui sait ou qui te suspecte d’être gay] te voit et le dit à tout le monde. Les gens ne t’embauchent pas parce qu’ils pensent que s’ils embauchent un homme gay, l’entreprise ne va pas prospérer mais péricliter.[103]

Jawara ne pense pas que sa famille tolérerait son homosexualité :

Il m’est impossible de révéler mon homosexualité à ma famille. Ma famille et mes grands-parents viennent d’une famille très religieuse. Lorsque mes parents parlent des homosexuels, ils disent qu’il faut les éliminer. Lorsque les imams disent ce genre de chose dans les journaux ou à la mosquée, ma famille approuve. Ils disent dans les journaux : « Les homosexuels vont en enfer. Ils n’iront jamais au paradis. Nous devons donc les arrêter. C’est un péché que de serrer la main d’un homosexuel. »[104]

Mais plus que tout, les hommes auxquels nous avons parlé ont exprimé leur crainte d’être reniés par leur famille si celle-ci venait à apprendre leur homosexualité. Pour bien comprendre la réalité de cette crainte, et l’ampleur des conséquences d’une exclusion du clan familial, il faut prendre conscience de l’importance de la famille dans la culture sénégalaise, qui est au cœur de la vie sociale et économique. Voici ce qu’explique le professeur Cheikh Ibrahima Niang, anthropologue à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar et auteur de nombreuses études sur la prévention du VIH/SIDA au sein des communautés HSH et FSF :

 

Vous êtes dans une dynamique collective. Vous ne pouvez pas vous en sortir tout seul. Vivre seul est considéré comme une malédiction. En wolof, le mot « seul » est pire que le mot « pauvre ». Si quelqu’un est pauvre [financièrement], les gens demandent : « Mais est-il seul ? » Être pauvre sur le plan financier n’est pas si grave tant que vous avez votre famille. Les gens qui ont beaucoup d’argent mais qui sont seuls sont méprisés et deviennent vulnérables. Perdre sa famille, c’est perdre toute estime de soi, cela détruit l’identité.[105]

Par ailleurs, compte tenu du niveau de chômage et de pauvreté au Sénégal, et la population en âge de travailler étant relativement peu nombreuse,[106] la grande majorité des Sénégalais ne peut pas survivre sans l’aide de la famille.[107] Très souvent, les revenus d’une seule personne suffisent à faire vivre le reste du clan. La plupart des gens ne peuvent se permettre de perdre cette assistance et ce lien.

 

La valeur culturelle de la vie privée

L’une des valeurs fondamentales de la culture sénégalaise est la « sutura », qui signifie « restriction » ou « discrétion » en wolof. D’après la sutura, les individus ne doivent pas afficher leurs particularités, attirer l’attention sur leur personne, ou exprimer sans détour leurs activités et leurs opinions. Les conventions de la sutura exigent de séparer vie publique et vie privée. À cet égard, les questions se rapportant au sexe et à la sexualité relèvent de la sphère privée. La sutura intervient tout particulièrement dans le domaine sexuel, et notamment lorsqu’il s’agit d’actions de sensibilisation aux pratiques sexuelles à moindre risque destinées à empêcher la propagation du VIH/SIDA.[108]

 

La récente visibilité des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, attribuable aux initiatives du gouvernement pour atteindre les populations vulnérables en recrutant des pairs éducateurs et en facilitant les actions de sensibilisation auprès des populations HSH, apparaît, dans ce contexte, comme une marque d’indécence de la part d’homosexuels qui « s’affichent ». Le fait d’être visible est ressenti comme une transgression des règles de la sutura. Toutefois, le concept peut être retourné et prescrire un devoir de non-ingérence dans la vie privée et sexuelle des personnes. Pour le professeur Niang, les médias pourraient être ceux qui ont bafoué la sutura et le respect dû à la vie privée, en publiant des photos et des informations personnelles sur des individus suspectés d’être gays. De ce point de vue-là, les hommes gays ne sont pas les coupables, mais les victimes.[109]

Au lieu de cela, la sutura est invoquée pour surveiller l’autonomie sexuelle des individus. La sutura s’exprime dans la surveillance. La conviction de Fofana selon laquelle il peut dire si un homme est gay d’après la façon dont il s’habille, et les problèmes qu’ont valu à Ziggy ses « vêtements sexy et élégants », permettent de dire que la sécurité des homosexuels dépend de leur apparence et de la perception des autres. Toutes les personnes interrogées ont évoqué les précautions qu’elles doivent prendre pour éviter d’être perçues comme des homosexuels.

 

Niels Teunis souligne qu’au Sénégal, le secret doit exister « de par l’absence de vie privée » (au sens nord-américain ou européen du terme). Il s’agit de « maintenir un voile sur tout ce qui requiert un traitement délicat ». Parce que rien n’est entièrement privé et inviolé, et parce que la plupart des aspects de l’individualité s’entrelacent dans la vie familiale et collective, et qu’ils sont dès lors visibles, les individus doivent composer avec le domaine public (avec la famille, les voisins et les autres membres de la collectivité) sur de nombreux points, dont les pratiques sexuelles. Par conséquent, comme l’indique Niels Teunis : « Il est admis que le secret fait partie de la vie des individus. »[110]

Traditionnellement, la sutura a perduré par le truchement de cette reconnaissance du secret et par une réticence correspondante à s’ingérer dans certains aspects de la vie d’autrui. La sutura, par conséquent, a garanti une forme sénégalaise de vie privée sans « espace privé ». Comme l’indique Niels Teunis, un tel modèle de vie privée est intrinsèquement vulnérable parce qu’il implique la réciprocité et un comportement honorable de la part de tout un chacun.

S’il n’est pas possible ni souhaitable que les hommes gays et les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes au Sénégal retrouvent la situation de marginalisation sociale et d’invisibilité politique dans laquelle ils étaient pendant longtemps, et si l’État doit montrer la voie à suivre pour que les membres des populations marginalisées jouissent des mêmes droits et privilèges qui sont accordés à tous les Sénégalais, il est également essentiel de souligner l’importance de l’équivalent sénégalais du droit à la vie privée : la sutura. Les mauvais traitements et les actes de violence révélés dans ce rapport sont non seulement contraires aux normes et protections juridiques nationales, régionales et internationales, en matière de droits humains, mais peuvent être également considérés violer des principes qui sont chers à la culture sénégalaise.

L’universitaire féministe Codou Bop met en évidence la manière dont les récentes attaques à l’encontre des homosexuels coïncident avec les priorités politiques et sociales globalement hostiles aux droits des femmes et à l’égalité des genres :  

Leur démarche n’est pas nouvelle. Le mouvement des femmes sénégalaises garde en mémoire la campagne organisée dans les années 90 par les mêmes individus et organisations pour les priver de leurs droits citoyens. La mobilisation et la visibilité du mouvement féminin au sein de la société civile sont unanimement reconnues […] Les femmes sénégalaises se mobilisaient alors pour le changement du code de la famille pour la parité dans la famille et dans la cité. Incapables d’imaginer une société dans laquelle les femmes jouiraient de droits égaux à ceux des hommes, les mêmes islamistes qui, aujourd’hui font la chasse aux homosexuels, étaient montés au créneau. Ils mirent en place une organisation appelée Comité Islamique pour la Réforme du Code de la Famille au Sénégal (CIRCOFS) qui exigeait l’adoption d’un Code du Statut personnel applicable uniquement aux musulmans. S’appuyant sur une lecture extrêmement répressive de la Shari’a, ce code demandait la création de tribunaux islamiques, la lapidation des femmes adultères et l’amputation des membres des voleurs.[111]

Bien entendu, la nature similaire des attaques fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre n’est pas une coïncidence. L’homophobie et le sexisme sont les deux facettes d’une même pièce. Au Sénégal, la nature sexiste de l’homophobie est évidente au travers du sentiment général que les hommes gays sont efféminés parce qu’ils sont sexuellement « passifs ». La misogynie sous-tend la plupart de la violence à l’encontre des hommes qui ne sont pas suffisamment « masculins », comme en témoignent les hommes régulièrement insultés et agressés physiquement en raison de leur expression de genre non conforme.

Les « clandestins », c’est-à-dire les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes mais dont le rôle sexuel est exclusivement « actif », ont une expression de genre masculine normative. Dès lors, ils ne se disent pas gays, et peuvent même parfois agresser physiquement et verbalement de « véritables » homosexuels. Certains hommes ont déclaré avoir été battus par des clandestins. Ils pensent que cette violence fait partie de la stratégie des clandestins pour éviter toute suspicion sur leurs propres préférences et pratiques sexuelles. Il n’y a là rien de surprenant si l’on considère que la moindre suspicion de comportement homosexuel, y compris par association, peut être lourde de conséquences. Dans un tel climat de violence et de preuve, Codou Bop tire les enseignements de la lutte féministe des années 1990 :

Comme dans leur présente campagne homophobe, ils [les islamistes] […] présentaient les femmes qui militent pour la défense de leurs droits comme des « féministes occidentalisées » qui cherchent à dévoyer la « famille » sénégalaise. Ils utilisèrent les médias, cherchèrent le soutien des autorités religieuses coutumières et politiques. Mais ils échouèrent dans leur tentative car les organisations de femmes menèrent la résistance avec le soutien des associations de défense des droits humains, des syndicats et toutes les organisations militant pour la promotion des droits des femmes. [112]

Fatoumata Sow, journaliste radio féministe à la tête d’une station de radio pour les femmes, Manouré FM, souhaite également une approche intersectionnelle :

Il serait bon que les organisations de femmes voient la situation [les attaques contre les hommes gays] comme la répression de la diversité, mais la plupart des groupes de femmes sont conservateurs. Certains [vont même jusqu’à soutenir] la violence contre les homosexuels. Même les militants des droits humains peuvent avoir des difficultés à accepter les droits sexuels étant donné que [le terme] sexualité sera interprété comme homosexualité. La demande de reconnaissance et de tolérance rencontrera des résistances. Je pense que nous devons plaider en faveur [de la dépénalisation des actes homosexuels]. Nous avons désormais un bon Code de la famille. La lutte a été dure et il a fallu nous battre pour obtenir sa modification. Mais nous y sommes parvenus dix ans après. Si on ne demande rien, on n’obtient rien.[113]

 

Les instigateurs de la peur: le rôle des chefs religieux et des médias

 

Campagne contre les homosexuels

Les journaux grand public du Sénégal ont créé le scandale du « mariage gay » avec très peu d’éléments fiables. Ce « scoop » a conduit à l’arrestation, à l’humiliation publique et à la persécution d’hommes soupçonnés d’être gays ou connus pour être gays. Ce « scoop » a détruit leur vie, il leur a fait perdre leur emploi, et il a poussé des personnes et des groupes déjà exposés à des risques élevés de transmission au VIH à vivre davantage dans la clandestinité. À l’époque, le responsable de la publication d’Icône avait revendiqué le rôle de « sentinelle des valeurs morales » joué par son journal au Sénégal. Certains chefs religieux ont encouragé la recherche du sensationnel et cautionné des affirmations sans aucun fondement.

 

Les chefs et les organisations religieuses ont le droit de promouvoir leurs valeurs et d’exprimer leurs opinions librement, sans aucun contrôle de l’État. Il s’agit là d’un principe fondamental que Human Rights Watch défend dans son action. Pour autant, lorsqu’il existe un sentiment général d’hostilité à l’encontre d’un groupe particulier et que des chefs influents appellent délibérément à la violence, la frontière entre expression d’une opinion et incitation au crime devient plus floue. Comme l’indiquent certains témoignages, plusieurs chefs religieux sénégalais ont fait des déclarations qui légitiment ou approuvent purement et simplement les actes de violence commis à l’encontre des homosexuels, alors même qu’ils savaient ou auraient dû savoir que leurs partisans commettraient vraisemblablement de tels actes à la suite de leurs déclarations.

 

Human Rights Watch reconnaît et défend le droit à la liberté d’expression et de croyance, et œuvre en faveur de l’existence de médias libres et indépendants partout dans le monde. Même dans le cadre de la défense du droit de toute personne à la vie privée, nous affirmons qu’aucun organe médiatique ne doit faire l’objet de sanctions de la part de l’État, excepté dans les cas de violation des normes internationales en matière de droits humains ou d’incitation directe à la violence. Il appartient aux médias d’être objectifs dans le traitement de l’information. Ces deux dernières années, les médias sénégalais ont trop souvent présenté les faits de manière partiale, devenant les chantres de l’intolérance ou préconisant le recours à la violence contre les homosexuels ou ceux qui sont perçus comme tels. Malgré les effets dévastateurs qu’a eus la campagne anti-gay sur la vie de dizaines d’hommes au Sénégal, la presse sénégalaise n’a pas une seule fois, à notre connaissance, brossé le portrait de l’un de ces individus en retraçant son histoire de persécutions et de souffrances, ni rapporté les propos de certains chefs religieux ou politiques condamnant les violences et lançant des appels à la tolérance.

 

À la libération des neuf hommes, 25 organisations et chefs religieux islamiques ont formé une coalition appelée le Front islamique pour la défense des valeurs éthiques, avec pour principale mission d’« éradiquer l’homosexualité du Sénégal ».[114] Dans un article publié peu de temps après les arrestations du mois de février 2008, suite au prétendu mariage gay, Codou Bop, une universitaire sénégalaise citée au chapitre précédent, a abordé plusieurs de ces thèmes, soulignant l’opportunisme politique des « imams, des collectifs d’associations religieuses musulmanes, des hommes politiques connus pour leurs positions fondamentalistes et des journalistes, [qui] mènent une croisade extrêmement virulente contre la prétendue ‘dégradation des mœurs et le non-respect des valeurs religieuses » :

 

Leur stratégie […] se déroule dans un contexte de crise économique et sociale et […] cible des groupes vulnérables dont la mobilisation pour la promotion de leurs droits économiques ou sexuels commençait à porter des fruits. Il s’agissait des femmes, aujourd’hui ce sont les homosexuels, catégorie encore plus vulnérable car victime d’un profond stigmatisme social. La manœuvre utilisée est toujours la même. Un fait d’actualité susceptible de déclencher la vindicte populaire est sélectionné, une cible est désignée en l’accusant de mener des actions contraires à l’Islam et aux valeurs morales ou de copier ‘les perversions des sociétés occidentales’. Ces mêmes islamistes manipulent les medias pour se rendre visibles comme défenseurs de la foi et de l’ordre moral (le leur, bien sûr) et présenter l’État comme faible ou complice.
 
Le prudent timing de leur attaque [...] intervient le plus souvent à l’approche d’une échéance électorale […]. En mai 2008, auront lieu les élections locales, c’est l’heure de se positionner. C’est pour ces diverses raisons que les islamistes ont saisi cette opportunité fournie par le dossier de presse sur l’homosexualité au Sénégal et l’ont exploité jusqu’au bout, au risque de mettre en danger l’intégrité physique et morale des homosexuels.[115]
 

Comme pour attester de la pertinence de l’analyse de Codou Bop, le 11 mars 2008, soit un mois après la libération des hommes et, fort opportunément, quelques jours avant que le Sénégal accueille le Sommet islamique de l’Organisation de la conférence islamique, quatre députés de l’Assemblée nationale, dont l’imam Mbaye Niang du Mouvement de la réforme pour le développement social (MRDS), ont présenté au président de l’Assemblée nationale un projet de loi visant à « durcir la loi contre l’homosexualité » en portant la peine d’emprisonnement maximale de cinq ans à quinze ans.[116]

 

Les écrits d’universitaires, de journalistes, de juristes et de militants sénégalais montrent que les avis au sujet du statut juridique, religieux, social et politique de l’homosexualité divergent grandement au sein de la culture sénégalaise, comme sur toute question d’ailleurs. Il existe une longue et solide tradition d’acceptation et de tolérance au sein de la culture sénégalaise, y compris de la culture religieuse. Cette tradition est en danger, parce que quelques chefs religieux et politiques assistés de journalistes ont lancé une campagne contre l’homosexualité.

Évolution du paysage religieux

Pour comprendre la soudaine explosion des violences fondées sur l’orientation sexuelle et l’expression de genre, et le rôle de la religion dans ces violences, il faut dresser un tableau général du paysage religieux au Sénégal. Le Sénégal s’enorgueillit à juste titre d’être une démocratie stable et tolérante. Dans l’édifice politique, l’Islam joue plusieurs rôles importants et divers. Environ 95 % de la population est musulmane. Près de 90 % des musulmans sont sunnites. L’Islam au Sénégal, contrairement à beaucoup d’autres pays majoritairement musulmans, est de tradition soufie. Dans cette tradition, les disciples se regroupent en confréries religieuses fondées par les cheiks. Les Kadiris forment la plus ancienne des confréries du Sénégal (ses origines remontent à Bagdad). Celle des Tidianes (dont les origines sont au Maroc) est la plus importante. Celle enfin des Mourides (fondée par un Sénégalais) affiche la plus forte croissance.[117]

Les deux confréries dominantes du Sénégal sont celles des Mourides et des Tidianes. Chaque confrérie est dirigée par le descendant de son fondateur que l’on appelle le calife. Les membres de la confrérie, les talibés, suivent les enseignements du fondateur de la confrérie et font vœu d’obéissance aux chefs spirituels vivants, les marabouts, qui exercent de ce fait une énorme influence sur les talibés. Les disciples, et tout particulièrement ceux qui ne savent ni lire ni écrire, s’en remettent quasiment exclusivement aux maraboutset aux imams (les chefs de mosquée) pour l’interprétation des textes religieux. Les enseignements des imams et des marabouts sont relayés de bouche à oreille, comme l’ont confirmé les personnes que nous avons interrogées. Ils sont également diffusés dans les médias. Les chefs religieux exercent par ailleurs une grande influence sur le gouvernement en tant que membres de partis politiques.[118]

Plusieurs personnes interrogées ont évoqué la nature tolérante de l’islam sénégalais, considérant la tradition séculaire du pays inviolable. D’autres voix soulignent que depuis la révolution iranienne de 1979, certains courants de l’islam sénégalais sont favorables à un « réveil islamique » s’appuyant sur les modèles internationaux de politisation accrue de la foi.[119]

Depuis les années 1980, les musulmans sunnites se « convertissent » silencieusement à l’islam chiite, lequel se développe d’une façon plus générale en Afrique de l’Ouest. Mara Leichtman affirme que la « découverte » de l’islam chiite par les musulmans sénégalais est l’aboutissement de leur quête d’un « islam authentique ». « Dans le monde musulman, la tendance est au retour aux pratiques anciennes de l’islam que l’on perçoit comme une solution aux échecs attribués à l’influence occidentale et aux innovations (bida) de la pratique islamique récente. » Leichtman ajoute que la démarche est double, puisqu’elle consiste à établir non seulement l’islam chiite comme le seul « islam authentique, mais également comme [un islam] authentiquement sénégalais ». Ce processus dual vise à adapter la « théologie et le rituel chiites aux pratiques culturelles proprement sénégalaises »[120] :

Outre la constitution d’un petit réseau de musulmans chiites à Dakar, les Sénégalais des campagnes commencent à se convertir […]. Les idées de l’historicité de l’islam chiite ont également été activement mises en avant par les Iraniens, dans le but stratégique de combattre les objectifs de diffusion en Afrique du wahhabisme de l’Arabie saoudite […]. L’ambassade iranienne a également joué un rôle subtil en encourageant l’islam chiite à Dakar. L’Iran a développé des liens économiques avec le Sénégal […]. Cependant, l’ambassade continue de promouvoir l’islam chiite. La présence des Présidents iraniens Rafsandjani et Ahmadinejad lors de réunions de l’Organisation de la conférence islamique à Dakar de 2001 et 2008 ont été remarquées, tout comme les visites en Iran du Président sénégalais Wade en 2003 et 2006.[121]

Al-Hajj Ahmad Khalifa Niasse, plus connu sous le nom d’« Ayatollah de Kaolack » (ville au sud de Dakar), a créé en 1979 le premier parti politique islamique du Sénégal. En 1984, il a fondé l’empire médiatique Wal Fadjri dans le but de renforcer la foi à travers la presse écrite et parlée. C’est Wal Fadjri qui familiarise le plus les Sénégalais avec la conception chiite de l’islam. Si l’on compte bel et bien quelques conversions, cette influence n’a pas pour autant abouti à un rejet en masse de l’islam sunnite au profit de l’islam chiite. Certains courants de l’islam sénégalais, représentant notamment l’élite intellectuelle, ont adopté des influences chiites.[122] L’éducation a également contribué à la progression de l’islam chiite, avec la construction de nombreuses écoles et institutions chiites dans les banlieues de Dakar durant les années 1990.[123] Wal Fadjri a été en première ligne dans la couverture médiatique sensationnelle du « mariage gay » et de l’arrestation et de la libération des « neuf homosexuels de Mbao », comme nous le verrons plus loin.

L’évolution du paysage religieux est également liée à la hausse de la pauvreté et à la privation des droits sociaux. Depuis la crise économique nationale du début des années 1980, qui a vu la mise en place de politiques d’ajustements structurels dictées par les institutions financières internationales, la pauvreté a augmenté : 57 % de la population du Sénégal vivrait en dessous du seuil de pauvreté.[124] D’après les statistiques 2006 du Programme alimentaire mondial, 46 % de la population est vulnérable à l’insécurité alimentaire.[125] Ces difficultés renforcent la tendance de plus en plus nette chez les jeunes à « cultiver la piété orthodoxe [comme moyen] de s’insurger contre les vestiges idéologiques du passé colonial du Sénégal et de ses traditions soufies ». Le sociologue Erin Augis a écrit sur le conservatisme de plus en plus affirmé de la jeunesse sénégalaise :

Ce défi [conservatisme accru] ne résulte pas seulement du penchant naturel des nouvelles générations à se distinguer des précédentes. Le but est en quelque sorte de négocier de nouvelles conditions sociales, politiques et économiques tout autant que d’introduire de nouveaux systèmes de croyance en contestant les idéologies anciennes. En se construisant une nouvelle identité de musulmans pieux dans le champ international, la jeunesse sunnite oppose sa morale aux valeurs des anciens qu’elle considère paroissiales. Les applications de la culture européenne et maraboutique des anciens sont pour elle trompeuses et contraires aux principes de l’orthodoxie ou de l’islam véritable.[126]

L’anthropologue Donna Perry analyse la « crise de la masculinité » qui va de pair avec la libéralisation économique et la « concurrence pour le travail et les revenus », et la perte de contrôle consécutive, chez les Wolofs, des hommes sur les femmes dans le bassin arachidier du Sénégal. Elle affirme que les hommes wolofs canalisent leur frustration résultant de l’accroissement du pouvoir économique des femmes par « la revitalisation islamique en marche dans les campagnes du Sénégal ».[127]

 

Ainsi, depuis les années 1980 au moins, le Sénégal connaît un bouleversement générationnel des opinions religieuses.[128] Le changement se traduit par une plus grande orthodoxie religieuse et par la critique de l’attitude des anciennes générations que l’on considère déterminée par l’« impérialisme français, l’influence laïque occidentale, et une éducation coranique inadéquate ».[129] L’orthodoxie religieuse de plus en plus marquée donne également une forme d’indépendance à une jeunesse qui se trouve dans une situation de privation des droits politiques et économiques.[130]

Codou Bop souligne les liens entre privation des droits et retour à l’orthodoxie en analysant le récent regain de violences fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité/expression de genre. Elle affirme que la pauvreté massive et grandissante est l’un des facteurs qui poussent les gens à « trouver refuge dans la religion ». Et de mettre en garde : « Aujourd’hui, un grand nombre de Sénégalais et de jeunes en particulier sont attirés par le fondamentalisme en raison des difficultés économiques et sociales qu’ils rencontrent. »[131]

Pour certains groupes comme le Comité islamique pour la réforme du code de la famille du Sénégal (CIRCOFS), les lois laïques sont des importations coloniales ou des vestiges du passé colonial.[132] L’opposition à la laïcité est une manière de montrer son indépendance politique et spirituelle par rapport aux valeurs coloniales et occidentales. L’adhésion aux normes de genre et de sexualité fait partie intégrante de l’entreprise de reconfiguration du soi de la plus jeune génération. À cet égard, une jeune femme s’est prononcée en 2003 dans le journal Wal Fadjri en faveur de l’initiative du CIRCOFS demandant le remplacement du droit laïc sénégalais de la famille par la charia : « Que votre homme le reconnaisse ou pas, il est dans sa nature de posséder plusieurs femmes. »[133] Les avis de la sorte sur les normes de genre et sexuelles ne sont pas seulement un coup dur porté aux victoires des mouvements féministes remportées à grand-peine, ils somment également les hommes de vivre conformément à des idéaux rigides et hétérosexuels de masculinité. C’est la normalisation de ces idéaux de masculinité qui explique des déclarations du type : « Pourquoi vous ne voulez pas de nos femmes, de nos jolies femmes ? », « Avez-vous-même un pénis ? » et « Pourquoi avoir besoin d’être pénétré lorsque vous avez vous-même un pénis ? », questions systématiquement posées aux hommes soupçonnés d’être gays lorsqu’ils étaient battus, les deux premières par des officiers de police.[134]

 

Rôle des chefs religieux condamnant l’homosexualité

Human Rights Watch s’est précédemment exprimé au sujet des principes religieux :

Pour la communauté des droits humains, il serait inapproprié de plaider pour ou contre un système particulier de croyance ou d’idéologie religieuse et elle aurait tort de juger ou d’interpréter les principes d’une religion ou d’une foi déterminée, mais ce serait également une erreur de sa part de fermer les yeux sur les atteintes aux droits de l’homme ou les appels à la discrimination faits au nom d’une loi ou d’un principe religieux. […] D’une part, les militants des droits humains devraient défendre plus vigoureusement la liberté religieuse et les droits des croyants tant dans les sociétés laïques que religieuses ; d’autre part, ils devraient immédiatement s’opposer aux pressions émanant de groupes religieux qui cherchent à diluer ou à supprimer les droits garantis – aux femmes, aux minorités sexuelles, aux athées, aux dissidents religieux, etc. – que ces groupes considèrent incompatibles avec les enseignements religieux fondamentaux et les croyances profondes. Les associations de défense des droits humains devraient s’opposer aux efforts faits, au nom de la religion, pour imposer un point de vue moral à d’autres lorsque ces derniers ne font pas de tort à des tiers et que l’« offense » n’existe que dans l’esprit de la personne qui a le sentiment que l’autre agit de façon immorale.[135]

Au lendemain des arrestations de février 2008 et de la persécution de Pape Mbaye et d’autres hommes, dans le cadre du scandale du « mariage gay », les déclarations de l’imam Mbaye Niang du MRDS ont été reproduites dans un journal à gros tirage préconisant des sanctions plus lourdes à l’encontre des homosexuels, et désignant l’islam comme le seul adversaire de la prévention contre le VIH/SIDA :

C’est inadmissible. On ne peut dépénaliser l’homosexualité au Sénégal. Nous exigeons au contraire le renforcement des sanctions. Les homosexuels doivent être isolés et punis plus sévèrement […]. Nous ferons tout ce qu’il faut pour prévenir [l’« insurrection » de l’homosexualité au Sénégal]. Les associations [HSH], sous la bannière des droits humains, ne sont pas dignes. Nous créerons des associations qui défendent les idéaux de l’islam.[136]

Pour protester contre les libérations du 6 février 2008, le Collectif des associations islamiques du Sénégal (CAIS), dont l’organisation islamique Jamra fait partie, a appelé à manifester. Un article daté du 8 février 2008 au sujet de la marche à l’appel du CAIS a rapporté les propos de l’imam Mbaye Niang du MRDS : « Tous ces êtres maléfiques qui pervertissent notre société sans que l’État ni les tribunaux n’assument leur responsabilité d’appliquer la loi détruisent les fondations sur lesquelles [repose] l’équilibre de la société sénégalaise. » L’article informait également les lecteurs que le vice-président de la Jamra, l’imam Massamba Diop, ferait un sermon sur l’homosexualité dans la Grande mosquée de Pikine.[137]

Le vendredi après-midi suivant, après la prière, la marche se déroule dans une atmosphère lourde et chargée. Les manifestants, qui se montrent très rapidement violents et appellent à l’extermination des homosexuels, sont dispersés de force par la police. La violence assure à la manifestation une large couverture médiatique, un détail qui est loin d’être négligeable à la lumière des analyses de Codou Bop sur l’opportunisme politique de certains chefs religieux.

 

En décembre 2008, quelques jours seulement après l’arrestation des neuf membres d’AIDES Sénégal, 66 États lisent une déclaration devant l’Assemblée générale des Nations Unies condamnant les violations des droits humains fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, et préconisant la dépénalisation universelle des actes homosexuels. Début 2009, alors que les membres d’AIDES Sénégal se trouvent toujours en prison, l’ONG islamique Jamra s’emploie à ce que l’ensemble des chefs religieux fassent front contre cette déclaration que le Sénégal n’a pas signée. Jamra rencontre les différents chefs religieux peu de temps après le Grand Magal de Touba, l’une des plus grandes manifestations religieuses au Sénégal.[138] Un journal cite un communiqué de la Jamra s’attachant à démontrer comment « divers groupes obscurs […] se livrant à des manœuvres souterraines au niveau mondial avec des fonds exorbitants […] s’emploient habilement à atteindre leur sinistre objectif, légaliser les unions contre nature dans les […] pays africains ».[139]

 

À la télévision sénégalaise, l’imam Masamba Diop, président de la Jamra, réagit à la condamnation des neuf membres d’AIDES Sénégal dans les termes suivants : « La condamnation des neuf est clémente. Sous la charia, ils seraient exécutés, je dis bien, exécutés. »[140]

Suite à l’annulation du verdict et la libération des neuf en avril 2009, et pour marquer la création du Front islamique pour la défense des valeurs éthiques, l’imam Mamadou Lamine Diop de Guédiawaye s’exprime publiquement en souhaitant la mort de tous les homosexuels : « Les homosexuels doivent être bannis de la société, et s’ils refusent, ils doivent rejoindre le silence des cimetières et la vie leur être simplement enlevée. »[141]

L’imam Mbaye Niang du MRDS, également membre du Parlement, critique les juges qui ont libéré les hommes en appel. « Les gays ne seront jamais libres au Sénégal. Ils nous exposent tous au danger. Les juges doivent comprendre que les Sénégalais doivent préserver leurs enfants et leur famille de l’homosexualité. » Affirmant que la « libération a mis en colère [les] Sénégalais », Niang ajoute :

Il n’est pas sage de forcer l’acceptation de l’homosexualité au Sénégal. Le risque est d’inciter les Sénégalais à prendre la justice entre leurs mains face à la défaillance de la justice publique. Croyez-moi, la population va se faire justice elle-même et cette justice sera beaucoup plus dure.[142]

On ne peut que s’inquiéter de tels propos dans la bouche d’un chef religieux et politique influent, lesquels justifient, sinon encouragent, la violence vigilantiste à l’encontre des homosexuels. Cherif, un des neuf hommes arrêtés au mois de décembre 2008, évoque l’augmentation des condamnations religieuses à la suite des événements de cette année :

L’aîné de la deuxième femme de mon père est un imam. Depuis les arrestations de [décembre 2008], il met un point d’honneur à parler d’homosexualité. Ma mère va à la mosquée tous les vendredis. Et ils ont beaucoup parlé d’homosexualité à la mosquée après les arrestations. Les imams dans beaucoup de mosquées tiennent à parler d’homosexualité depuis ces affaires. Après l’affaire Icône, je me souviens avoir entendu à la radio les imams dire, si vous voyez un gay, vous devez le tuer.[143]

Les dix hommes auxquels nous avons parlé à Kaolack ont dit avoir entendu les imams de leur quartier déclarer à la mosquée ainsi qu’à la radio et à la télévision : « Il faut rouer de coups les homosexuels, les brûler [et] les chasser de chez eux à coup de pied. »[144] Sidy, 28 ans, donne un exemple :

Ce matin, sur la chaîne de télé 2S, il y avait une émission, « Le bon chemin ». L’invité était l’imam Alioune Sall. Celui-ci a dit que du temps du prophète, lorsque l’on surprenait des hommes [en train d’avoir des relations sexuelles avec d’autres hommes], la population voulait les brûler. L’imam a dit que personne ne doit brûler les homosexuels car seul Dieu le peut. En revanche, on peut et doit les lapider jusqu’à ce que mort s’ensuive, puis les enterrer. Il a également dit qu’il n’est pas permis de toucher un homosexuel, d’aller là où un homosexuel est allé, et de toucher quoi que ce soit qu’il a touché. [Et l’imam d’ajouter] « Si vous savez que quelqu’un est homosexuel, vous ne devez pas faire cela. Une fois un homosexuel mort, vous pouvez préparer le corps pour l’enterrement mais vous ne pouvez pas l’enterrer dans un cimetière musulman. Par ailleurs, des pierres doivent être placées au sommet de la sépulture. » [L’imam] disait qu’un homosexuel doit être tué.[145]

Bamar Guèye, directeur général de l’ONG Jamra (principal artisan de la création du Front islamique pour la défense des valeurs éthiques)[146] et secrétaire exécutif du CAIS, s’est entretenu avec Human Rights Watch au sujet des arrestations de décembre 2008. Il approuve la criminalisation des actes homosexuels et fait peu de cas des preuves nécessaires à l’établissement de la culpabilité des neuf hommes. « Personne ne sait ce qui s’est passé dans l’appartement où ils ont été arrêtés, mais il faut appeler un chat un chat », dit-il. « Lorsque vous voyez ces hommes qui s’habillent et se comportent comme eux, vous savez ce qu’ils doivent faire. » Il ajoute : « Je suis contre la violence, je suis pour l’équité », tout en insistant pour que « nos croyances soient respectées » :

Ce sont des gens qui entrent en conflit avec la foi de leurs voisins. Dans ces affaires, il y a un acte [le comportement présumé des homosexuels] qui provoque une réaction du voisinage. Les [homosexuels] essaient d’emmener d’autres gens sur le chemin de l’homosexualité. Si l’on ne défend pas notre progéniture, tôt ou tard, la jeunesse sombrera dans la déviance. Il y a une première violence [l’homosexualité] qui peut être si forte, en conflit avec la foi religieuse, qu’elle déclenche des réactions qui sont incontrôlables […]. Nous essayons d’éviter les confrontations, mais parfois, nous ne pouvons pas éviter les réactions.[147]
 

Réagissant à la libération des neuf membres d’AIDES Sénégal, Serigne Modou Bousso Dieng, le « président » des chefs religieux sénégalais, a déclaré dans un journal d’un ton acerbe : « Notre responsabilité est de confronter le mal qui porte atteinte à notre religion. Nous devons traquer ces criminels et les exécuter sur la place publique. Je serai au premier rang ! »[148]

Malgré le respect dû à la liberté d’expression, l’intention ou l’objectif de telles déclarations est d’inciter directement à la violence. Ce faisant, elles méconnaissent les normes internationales sur les droits humains. Au demeurant, l’article 7 de la Constitution sénégalaise commence ainsi : « La personne humaine est sacrée. Elle est inviolable. L’État a l’obligation de la respecter et de la protéger. » Cette valeur, compatible avec les préceptes religieux et la culture traditionnelle sénégalaise, est méconnue lorsque des chefs religieux incitent délibérément à la violence contre un groupe de personnes au motif de leur orientation sexuelle ou de leur expression de genre.

L’article 24 de la Constitution sénégalaise confère aux institutions et aux communautés religieuses l’autonomie et le droit de se développer. Elles jouissent cependant de ces droits « sous réserve de l’ordre public ». Les appels à la persécution et au meurtre d’individus sur la base de leur orientation sexuelle et/ou de leur identité et expression de genre ne respectent manifestement pas cette condition.

Rôle des médias dans l’escalade de la violence

Les médias au Sénégal ont joué un rôle en grande partie négatif en ce qui concerne la question de l’homosexualité. Dans certains cas, les journalistes ont même été les instigateurs des violences fondées sur l’orientation sexuelle et/ou l’identité ou expression de genre.

Le traitement médiatique du « mariage gay » et des « neuf homosexuels de Mbao », ainsi que d’autres affaires, a été extrêmement partial, ne présentant pour ainsi dire pas le point de vue des victimes, ni celui de ceux qui déplorent les violences. Les journalistes sénégalais se sont désintéressés non seulement de toutes celles et ceux qui critiquent la répression pénale des actes homosexuels consensuels, mais par ailleurs des conséquences individuelles des « paniques » anti-gay. Leurs comptes rendus soi-disant objectifs sont trop souvent truffés de jugements de valeur négatifs (par l’utilisation de termes péjoratifs, par exemple), sans compter les éditoriaux qui appellent parfois à la violence ou entretiennent l’hostilité.

L’article sensationnel et sans fondement paru en 2008 dans le magazine people Icône est à l’origine d’une vague d’arrestations et de la persécution des gays au Sénégal. Les médias ont entretenu la fureur publique et mis en danger la vie de nombreux hommes, même après leur libération, en encourageant la population à les chasser de ville en ville dans tout le pays. La majeure partie de la population n’a pas les moyens d’acheter Icône. Mais beaucoup de magazines et de journaux meilleur marché ont repris cette histoire, suivis par les stations de radio et les chaînes de télévision. Elle a ainsi été portée à la connaissance du plus grand nombre dans les jours et les semaines qui ont suivi sa publication initiale.

Laye, fondateur et responsable d’un organisme de soutien auprès des HSH, organisateur de la soirée de février 2006, raconte :

Des gens du quartier ont dit à la radio et à la télé que la police était à notre recherche. Les imams en ont parlé sur Wal Fadjri, à la RDV et sur d’autres radios et chaînes de télévision. La police n’est jamais intervenue à la radio ni à la télévision, mais les journalistes disaient qu’ils avaient parlé à la police, laquelle leur aurait dit qu’elle allait arrêter tout le monde [apparaissant sur les photos]. Lorsque les hommes ont été libérés, les imams ont organisé une manifestation à Dakar, un vendredi, Vous imaginez l’ambiance.
 
Les médias sont responsables de la manière dont la population a réagi. Il y avait mille versions différentes, chacune pire que l’autre. Chaque chaîne de télé avait son propre « événement » à raconter. Le lendemain de l’arrestation, un journal a dit que les personnes arrêtées étant gays, elles allaient être testées au VIH. Tous les journaux et les chaînes de télévision se sont emparés de cette information et ont dit la même chose.[149]

Codou Bop décrit le traitement médiatique de l’affaire :

Les médias ont évoqué ce sujet quotidiennement durant tout le mois de février, organisant des débats sur l’homosexualité avec des sociologues, des spécialistes du Coran, des experts juridiques et des psychologues. Le public était invité à exprimer son avis par courrier ou lors de discussions interactives […]. Les autorités musulmanes ont décrit le mariage en le réduisant à une perversion, au rejet des textes sacrés. Les psychologues ont parlé de maladie et de déviance sexuelle. D’autres s’en sont pris à l’influence maléfique de la mondialisation culturelle.[150]

Myriam Wedraogo, de la station de radio WADR, décrit les conséquences du traitement par le journal Le Populaire de l’exil de Pape Mbaye aux États-Unis en août 2008 et de sa vie à New York :

Au moment de la publication, je me rendais à Saint-Louis en bus. De nombreux jeunes dans le bus lisaient l’article et ont dit : « On ne peut pas émigrer normalement, mais en étant gay et en affirmant que tes droits sont violés, on pourrait se payer un appartement cher et rencontrer Ban Ki Moon. »[151]

Safietou Kane, du quotidien L’Observateur,a écrit plusieurs articles en 2004 sur l’homosexualité au Sénégal, affirmant qu’« il est important de criminaliser [l’homosexualité] parce que c’est dans notre religion » :

Autoriser l’homosexualité perturbera la société. Je ne peux pas le permettre parce que la société a besoin de règles. Je ne vois pas de contradiction [entre le droit à la vie privée et la criminalisation des actes sexuels consensuels en privé]. Si nous commençons à lyncher les homosexuels, je dirais, commençons par ceux qui se cachent. Jésus a dit : que celui qui est sans péché jette la première pierre. Je doute que cela arriverait au Sénégal, [mais si cela arrive], je ne serai pas celui qui jettera la première pierre.[152]

Les journaux ont non seulement publié des articles sur les arrestations et le harcèlement d’hommes soupçonnés d’être gays un employant un style qui aurait été plus approprié pour un feuilleton dramatique, mais ont également accordé un large espace à des commentaires religieux conservateurs selon lesquels l’homosexualité serait un « mal », une « dépravation », une « maladie » et un « fléau ».

Fondé par Al-Hajj Ahmad Khalifa Niasse, surnommé l’« Ayatollah de Kaolack », le groupe médiatique Wal Fadjri (vecteur de propagation de l’islam chiite au Sénégal) a été une tribune idéale pour diffuser le point de vue homophobe de certains chefs religieux, comme en témoigne l’article publié le 17 février dans Walf Grand Place, un des titres du groupe, sur la « Marche contre les gays » du CAIS sous-titré « Jihad à Dakar ». Organisé à la Grande mosquée de Dakar, ce rassemblement entendait protester contre la libération des hommes arrêtés dans le cadre du « mariage gay ». L’éditorial, intitulé « Vendredi noir », affirmait que « la police sénégalaise » avait profané la mosquée en pénétrant à l’intérieur pour mettre fin au rassemblement illégal et violent. L’article présentait les manifestants comme des « fidèles » attaqués dans leur défense de l’islam par des « ennemis ». Le journaliste critiquait la décision du préfet de Dakar d’interdire la manifestation pour des motifs liés au maintien de l’ordre, un « prétexte » selon lui, en affirmant ostensiblement respecter la responsabilité de l’État qui protège les « pédés, le véritable danger pour notre société ».[153]

La décision de libérer les hommes a été prise parce que leur arrestation ne reposait sur aucun fondement juridique. Qu’importe. Wal Fadjri fait part, quelques jours plus tard, de la « déception » du président de l’ONG Jamra, Abdou Latif Gueye, face à la « libération surprise » des hommes : « La lutte contre l’homosexualité et toutes les déviances qui déshumanisent l’être est légitime, elle est une lutte extrêmement morale et de patriotisme civique […].En jeu se trouve la sauvegarde de notre famille, la sauvegarde du développement psychologique, moral et physique, de nos enfants. […] »[154] Wal Fadjri ne se préoccupe absolument pas du fait que les hommes ont été arrêtés sans preuves. En exacerbant le sentiment religieux anti-gay et en n’ouvrant pas ses colonnes aux points de vue dissidents, le journal se situe dans la droite ligne du rédacteur en chef d’Icône, Mansour Dieng, qui affirmait que son magazine était la « sentinelle des valeurs morales » au Sénégal.

Les reportages sur l’arrestation (décembre 2008) et la libération (avril 2009) des neuf membres d’AIDES Sénégal ont versé dans le sensationnel, sans jamais reposer sur des éléments sérieux. Un journal a rapporté en Une la libération des neuf hommes en même temps que la création du Front islamique pour la défense des valeurs éthiques, ajoutant : « Les imams traquent les pédés. » Tout en citant une déclaration du président de la Jamra dénonçant les lobbies homosexuels (étrangers) engagés dans la « poursuite irresponsable » de la dépénalisation de « ces actes contre nature », le journal ajoutait : « L’homosexualité n’a pas sa place au Sénégal et ne peut être tolérée. »[155]Un autre journal a annoncé la libération des neuf par les mots « Anti-Dunx » (dunx est l’équivalent en wolof de « pédé »).[156] Quelques jours avant, le même journal avait publié un long article intitulé : « 9 vicieux sauvés par un… vice », avec des sous-titres allant du sarcasme à l’indignation : « Messieurs les avocats gays, réjouissez-vous et souhaitez la bienvenue aux membres courageux de la Cour », Mactar Gueye, vice-président de la Jamra : « C’est une déviance sexuelle qui doit être combattue comme la bestialité, la nécrophilie », et, l’« imam Ahmad Dame Ndiaye dénonce les pratiques néocolonialistes de la France ».[157]

Un autre journal a relaté la libération des neuf hommes en retraçant les événements des précédents mois et en citant, à la fin de l’article, les noms des neuf hommes.[158] Certains reportages étaient plus sensationnels que d’autres, et parfois, plus ouvertement homophobes que d’autres. Un article paru dans Walf Grand Place a affirmé sans produire aucun élément à l’appui de ses affirmations que les neuf hommes « avaient loué un appartement pour s’adonner à des actes contre nature. Mais ils disent aux autres qu’ils avaient une association qui donnent des conseils aux gays sur la transmission du VIH/SIDA ».[159]

Laye évoque la couverture médiatique de la libération des neuf en avril 2009 :

Lorsque nous avons été libérés, les journaux et la télévision ont dit que c’était parce que nous étions séropositifs et que les autorités ne voulaient pas que nous infections d’autres détenus. Ils ont dit que nous avions subi un test dépistage à la division SIDA. Les médias n’ont pas cessé de manipuler la population avec des histoires comme ça. J’ai été choqué par le vocabulaire de certains articles, ils utilisaient des mots comme « les pédés » [en parlant de nous], ce qui n’est pas correct. Que ce soit lors des arrestations ou de l’incident Icône. Tout le temps. Il est impensable pour moi d’utiliser de tels mots. Chaque article avait un point de vue. Ils parlaient de Cheikh Niang parce qu’il critiquait les arrestations et ils le traitaient de fou.
Ils ont publié mon nom, tout est dans la presse. Des policiers ont des photos de nous sur leur appareil-photo personnel … Cela m’inquiète énormément. Si ces photos sont publiées, il nous faudra partir immédiatement.[160]

Peu de temps après la libération des neuf membres d’AIDES Sénégal, L’Observateur a réalisé un entretien avec Abdoul Aziz Kebe, universitaire islamique et arabe de l’université Cheikh Anta Diop, dans lequel ce dernier affirmait que la libération était « illégale ».[161] (Le journal n’a pas mis en avant le fait que l’arrestation était illégale.) À travers leurs comptes rendus sélectifs et tendancieux, les journaux ont donné l’impression que les hommes politiques, les universitaires, la population et les chefs religieux étaient contre l’homosexualité au Sénégal.

De la même manière qu’ils font passer les militantes féministes sénégalaises pour des « féministes occidentalisées », les journaux ont parfois taxé l’homosexualité d’importation étrangère « néocoloniale ».[162] Les éditoriaux et les articles ont mis en garde contre cette incursion transfrontalière avec beaucoup de véhémence. Un éditorialiste a fait un lien entre la dépénalisation des actes homosexuels et les enjeux néo-impérialistes, affirmant :

Après que son pays [la France] a sucé tel un vampire nos ressources naturelles avec la complicité de nombreux chefs d’États africains irresponsables, après avoir clamé que les Africains ne sont pas encore entrés dans l’histoire et d’autres charabias, le « colon » Sarkozy veut dévoyer nos familles en nous commandant presque de dépénaliser l’homosexualité [...].[163]
 

Dans un autre article intitulé « Les lobbies maçonniques et homosexuels » :

L’homosexualité est une maladie psychique héritée du colonisateur français […]. L’homosexualité est un mode de vie, contraire à nos valeurs et à notre façon de faire. Les hommes ou femmes qui intègrent ces formations sont en général très intelligents, mais sont victimes de l’obsession au plaisir charnel ou au besoin matériel […]. Malheureusement, le Sénégal est victime de l’opinion internationale et de la pauvreté […]. Les Européens nous prennent pour leurs sujets, autant ils se moquent de nos valeurs, autant ils se servent de nos ressources naturelles. L’Europe nous refuse la polygamie, le foulard à l’école, et nous admettons en retour que leurs homosexuels viennent passer des week-ends de noces ou lune de miel dans nos hôtels et places publiques.[164]

L’imam Mbaye Niang du MRDS précise à cet égard : « Nous connaissons les liens entre franc-maçonnerie et homosexualité : il existe des rituels qui banalisent le sexe. »[165]

Fofana, le journaliste au Populaire qui estime que l’homosexualité doit être réprimé pénalement au Sénégal parce que « [sa] religion [lui] dit que c’est un péché », affirme queles médias ne font que traduire le sentiment général, sans influencer l’opinion publique : « Les gens pensent ce qu’ils pensent quoi qu’il advienne,ils se sont déjà fait une idée, on ne peut rien y changer, nous ne rapportons que des faits. » Fofana a indiqué à Human Rights Watch que dans les deux cas, celui du scandale du « mariage gay » de février 2008 et celui de l’arrestation des neuf membres d’AIDES Sénégal en décembre 2008, les reportages du Populaire n’ont été publiés qu’après que les événements avaient pris une tournure « pénale » (c’est-à-dire après les arrestations), et qu’ils se trouvaient donc dans le domaine public. Dans le dernier cas, Fofana nous a confié que la police avait contacté Le Populaire pour informer les journalistes de l’arrestation des « homosexuels ». (Il estime cependant que les chefs religieux ont mal interprété les textes religieux : « Il est vrai que ceux qui se rendent coupables de pratiques de Sodome et Gomorrhe doivent être tués, comme ceux qui sont coupables d’adultère, mais les témoins [des actes sanctionnés] doivent être au nombre de quatre et avoir la confiance de la communauté. »)[166]

Police et médias sont complices d’une interprétation commode de la distinction entre le domaine public et le domaine privé. La police considère comme « publiques » les informations qu’elle obtient, sans se préoccuper de savoir s’il existe des preuves. La presse confirme ensuite la nature « publique » de l’affaire et affirme ne faire que rapporter ce qui se trouve déjà dans le domaine public, comme dans le cas du « mariage gay » et de la persécution des membres d’AIDES Sénégal.

Wedraogo souligne la connivence entre responsables politiques, médias et chefs religieux :

Les chefs religieux influencent les politiques. Ils appellent leurs fidèles à voter pour tel ou tel homme politique et ils ont un avis sur les questions sociales. L’intolérance sociale n’est pas nouvelle, mais aujourd’hui, les médias s’en font plus l’écho, et les chefs religieux en parlent plus ouvertement.[167]

Les médias, soi-disant objectifs, poursuit-elle, font face aux pressions des autorités religieuses et d’autres dirigeants. Fatoumata Sow est à la tête de la station de radio pour les femmes Manouré FM. Elle critique les médias sénégalais :

La presse n’a pas conscience de son rôle social et culturel. La plupart des médias ne veulent [que] vendre des journaux et faire de l’argent. Ils se fichent des conséquences et de l’impact de leurs articles. La plupart des journalistes ne sont pas formés pour l’être […]. Les journaux recherchent des scoops, c’est pourquoi les reportages sont sanglants.[168]

Il ressort de ce qui précède que certains journalistes et journaux se sont fait l’écho de sentiments et de violences homophobes en formulant, parfois au sein même de leurs articles, des commentaires de nature éditoriale donnant l’impression que le journal approuvait les appels à l’intolérance et à la violence. Ainsi, les médias ont effectivement participé aux violences commises par les acteurs publics et privés, et l’ont même parfois incitée.

Les discours anti-homosexuels tels qu’ils sont diffusés dans les médias sont si nombreux qu’il est d’autant plus facile de percevoir les voix dissidentes. Un article a notamment rapporté les propos du coordinateur du programme « Famille Vie Éducation » du Groupe pour l’étude et l’enseignement de la population(GEEP). Appelant à l’occasion de la journée mondiale de la lutte contre le sida en 2008 à briser le tabou autour de l’homosexualité et à faire en sorte que les étudiants aient accès à du matériel de sexe à moindre risque et à des informations, celui-ci a déclaré : « Les HSH ne devraient pas être un moyen de propagation du VIH/SIDA dans les universités. Ce n’est plus un sujet tabou, nous devons nous soucier des étudiants homosexuels. »[169]

Un ancien rédacteur en chef adjoint du Soleil, qui a souhaité conserver l’anonymat, a confié à Human Rights Watch que ni le public ni l’État n’avaient le droit, selon lui, de persécuter des gens sur le fondement de leur orientation sexuelle ou de leurs pratiques sexuelles privées. Même Safietou Kane, qui a affirmé qu’« autoriser l’homosexualité perturbera la société », a reconnu que le traitement par les médias de l’affaire du « mariage gay » avait été « purement sensationnelle », surtout la publication des photos, destinée « à attirer l’attention et à faire accroître les ventes » :

La vie de Pape Mbaye est devenue un enfer parce que [des journalistes] sont allés trop loin avec le sensationnalisme. Ils doivent respecter la vie privée des [gens]. La sexualité d’une personne appartient [à la sphère] privée. Tout le monde souhaite conserver une part de privé. Il faut reconnaître aux homosexuels une part d’intimité.[170]

Parmi la brève liste de voix dissidentes, un article, tout en critiquant la présentation de la culture sénégalaise par les responsables politiques occidentaux comme étant « barbare », ainsi que les « préoccupations » du gouvernement français pour ses « anciens sujets », poursuit :

Quoique choquante et sélective, la levée de boucliers occidentaux pose le problème incontestable de liberté individuelle dans notre pays […]. Cette crainte de naviguer à contre-courant nous étrangle et nous empêche trop souvent de dénoncer les défaillances collectives préjudiciables dans nos propres sociétés.

Évoquant la condamnation des neuf membres d’AIDES Sénégal à huit ans de prison, l’auteur de l’article poursuit : « Peut-être devons-nous admettre qu’il y a certains excès dans toute cette furie. » Tout en ayant recours à des faux-fuyants sur la question de savoir si les actes homosexuels consensuels devraient être dépénalisés, le journaliste écrit : « Nous gagnerions à être moins hypocrites, moins lâches et plus tolérants. »[171]

 

VIH/SIDA et actes homosexuels au Sénégal

Après la libération des neuf membres d’AIDES Sénégal en avril 2009, un éditorialiste a critiqué « l’empressement avec lequel le gouvernement [sénégalais] s’efforce trop souvent de plaire à l’ancien colonisateur ». S’en prenant sans ménagement aux « lobbies gays » occidentaux, le journaliste informait son lecteur avec beaucoup d’assurance que le « sida affecte principalement les homosexuels et les drogués ».[172]

Ce chapitre analyse quelques-unes des conséquences sanitaires de la répression publique et privée de l’homosexualité. Les effets préjudiciables de la criminalisation des actes homosexuels sur les actions de sensibilisation au VIH/SIDA et le traitement des populations les plus à risque ressortent clairement non seulement des témoignages que nous reproduisons ici, mais d’autres éléments d’appréciation provenant d’autres pays. Les pairs éducateurs et les travailleurs qui vont au-devant des populations HSH jouent un rôle de prévention essentiel. Les arrestations et les persécutions récentes ont porté un coup extrêmement rude aux initiatives naissantes du gouvernement visant à inclure les populations HSH dans ses programmes de lutte contre le VIH/SIDA. Entre la répression pénale des actes homosexuels et les impératifs de santé publique pour endiguer la propagation du VIH/SIDA parmi des populations marginalisées, la contradiction est patente.

Les récits soulignent également les risques qu’il y a à travailler auprès de populations montrées du doigt, et il n’est pas rare que les travailleurs sur le terrain eux-mêmes présumés être gays soient victimes d’agressions.

Les effets des violences sur le travail de sensibilisation au VIH/SIDA

Le Sénégal présente un bilan largement satisfaisant en matière de VIH/SIDA. Il a été « le premier pays d’Afrique sub-saharienne à établir un programme de traitement antirétroviral en 1998 et est l’un des rares pays d’Afrique à fournir ce traitement gratuitement ». La prévalence du VIH dans l’ensemble de la population sénégalaise est inférieure à 1 %. D’après un rapport récent :

Plusieurs facteurs ont contribué au maintien par le Sénégal d’un faible taux de prévalence au VIH. Depuis les années 1970, le Sénégal a fait de la sécurité de l’approvisionnement en sang une priorité et impose également aux travailleurs du sexe de s’inscrire et d’effectuer des tests tous les trois mois. Ces initiatives ont permis de réduire le risque de transmission par transfusion sanguine et lors de rapports sexuels avec des travailleurs du sexe observant l’obligation d’inscription.

Toutefois, ce résultat n’est pas partagé par tout le monde. Le même rapport indique : « Bien que le Sénégal soit parvenu à contenir l’épidémie de VIH/SIDA, les mesures nationales n’ont pas suffisamment ciblé les populations les plus à risque, comme celle des hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes. »[173] La prévalence du VIH au sein de cette population est estimée à 25 %.[174] Cette population était pourtant largement absente des mesures prises par le milieu médical au début de la crise du VIH/SIDA. Pas plus tard qu’en 2000, un organisme de lutte contre le VIH/SIDA fermait les yeux sur la situation des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes.[175] Un numéro de juin 2001 de la revue Africa Recovery évoque la réaction rapide du Sénégal face à l’épidémie, ses efforts coordonnés pour atteindre les travailleuses du sexe et le rôle essentiel des groupes de femmes et des organisations religieuses pour expliquer la réussite du Sénégal. Il n’est cependant pas fait mention des hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes.[176]

En 2003, le professeur Niang, auteur de la première recherche au Sénégal sur le VIH/SIDA au sein des populations HSH et gays masculines, a co-signé un article analysant les violences et les discriminations contre les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes et la prévalence du VIH au sein de cette communauté.[177] La même année, le Conseil national de lutte contre le sida (CNLS), l’organisme de coordination au Sénégal dans le domaine de la lutte contre le VIH/SIDA, a mis en œuvre le premier programme destiné à répondre aux besoins sanitaires de la population HSH. En 2005, Abdoulaye Sidibe Wade et des confrères ont publié les conclusions de la première enquête épidémiologique sur le VIH et la vulnérabilité aux IST des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes au Sénégal. Ceux-ci ont constaté un taux de prévalence de 21,5 %.[178]

En 2006, l’Alliance nationale contre le sida (ANCS)[179] a été désignée bénéficiaire du Fonds mondial pour la société civile et le secteur privé, le CNLS étant le principal bénéficiaire pour le secteur public.[180] Une proposition du Sénégal faite en 2006 devant le Fonds mondial identifie comme groupe cible, entre autres groupes, les hommes ayant des relations avec des hommes. S’appuyant sur des données épidémiologiques et des enquêtes sur la pauvreté et la vulnérabilité, la proposition souligne l’impératif de « réduire la stigmatisation dans tous les milieux » pour atteindre ces populations vulnérables.[181] La proposition exprime l’engagement clair de lutter contre les discriminations et les stigmatisations dont sont victimes les populations les plus à risque, et tout particulièrement, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. Le plan stratégique national 2007-2011 retient également comme groupe à risque élevé la population HSH, laquelle nécessite des programmes spécifiques de sensibilisation, de dépistage et de traitement. Durant la même période, les attaques préméditées évoquées dans ce rapport, la rhétorique de nombreux chefs religieux condamnant l’homosexualité, et la couverture médiatique versant dans le sensationnel des arrestations et des persécutions d’« homosexuels », ont, paradoxalement, mais somme toute assez logiquement, pris des proportions inquiétantes.

Un élément décrédibilise l’engagement récent du gouvernement et de la société civile à garantir à la communauté HSH un accès à l’information, au dépistage, et au traitement du VIH/SIDA : l’article 319.3 du Code pénal sénégalais, qui réprime les actes sexuels « contre nature ». Même si elle n’était pas appliquée, la seule présence de cette disposition dans les livres de lois expose les gays et les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes à l’arbitraire et à la violence effrénée des acteurs aussi bien publics que privés.[182] Comme le reconnaissent les autorités sanitaires du pays, la criminalisation des actes sexuels consensuels entre personnes du même sexe et l’escalade de la violence contre les hommes présumés gays empêchent également les individus de chercher à obtenir des informations sur le VIH/SIDA et les IST, d’effectuer des tests de dépistage et de solliciter un traitement.

Cette loi sert également de tremplin aux chefs religieux qui condamnent l’existence même des homosexuels, et dont les prises de position aboutiraient à exclure une population déjà vulnérable des initiatives destinées à porter un coup d’arrêt à l’épidémie. Wal Fadjri a rapporté que l’ONG Jamra a « dénoncé » la participation de gays et de lesbiennes à la Conférence internationale sur le SIDA et les IST en Afrique (ICASA). Cette conférence a eu lieu au Sénégal quelques jours avant l’arrestation des neuf membres d’AIDES Sénégal. D’après cet article, le vice-président de la Jamra, Massamba Diop, aurait vu dans cette participation une « autre tentative visant à promouvoir une pratique contre nature que même les animaux les plus maléfiques et les plus viles trouvent répugnante ».[183]

Le Dr Abdou Diop, directeur adjoint de la division SIDA du système public de santé, a reconnu que les années 2008 et 2009 ont été « difficiles » pour le travail de prévention en matière de VIH/SIDA, du fait des arrestations d’hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et de militants de la lutte contre le VIH/SIDA. Il maintient que le Sénégal devra dépénaliser les actes homosexuels « pour rendre à ces gens [HSH] leur liberté et faciliter notre travail » :

Tout ce qui est susceptible d’améliorer nos conditions de travail et de nous permettre d’atteindre plus de personnes doit être fait. La dépénalisation en fait partie. Nous ne voyons qu’une minorité d’HSH. Il y a tant d’autres personnes que nous ne voyons pas.[184]

Babacar est trésorier d’une association HSH comptant quelque 200 membres. Cette association organise des ateliers de sexe à moindre risque pour les hommes, mène des actions de sensibilisation et d’éducation auprès des familles d’hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes, et distribue du matériel de sexe à moindre risque dans les lieux de drague. Il nous a raconté en juillet 2009 que l’association ne s’était pas réunie depuis plus de six mois et a évoqué les arrestations de membres d’une autre association HSH en décembre 2008. Comme nous l’avons déjà indiqué, il nous a confié que les membres de son association avaient peur. Lui-même prend soin de ne pas être identifié comme un homme gay.

Bassirou, fondateur de la première association HSH au Sénégal, raconte :

J’ai des amis malades qui ne consultent pas à cause des événements récents, en particulier au sein de la communauté des ONG. Ils vont mourir mais ils ne font pas confiance aux centres. Le mariage gay, l’arrestation des neuf hommes […], ces événements ont abouti à cette situation. Les médias ne se sont jamais comportés comme ça auparavant. La situation s’est nettement aggravée. Je ne sais pas comment la communauté peut désormais s’organiser. Des gens à ma recherche viennent chez mes parents dans l’intention de me tabasser.[185]

Le Dr Diop a indiqué à Human Rights Watch que les pairs éducateurs et les professionnels de la santé avaient constaté une « chute considérable » de la fréquentation par les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes des centres de dépistage et de traitement dans les zones rurales. Ces mêmes sources ont informé le Dr Diop que depuis la publication des photos dans Icône et les arrestations de décembre 2008,les patients demandaient des conseils par téléphone car ils avaient peur de se rendre à la clinique et d’être identifiés comme gays ou d’être associés à des homosexuels.

Les données d’autres pays réprimant les actes homosexuels consensuels montrent que la sanction pénale nuit à la prévention et au traitement du VIH/SIDA, même lorsque la loi n’est pas appliquée. La simple existence de la loi envoie un message. La criminalisation des actes homosexuels stigmatise des populations marginalisées et transforme des individus vulnérables en délinquants.

Dans son arrêt du 2 juillet 2009, la Cour supérieur de Delhi a « lu étroitement » la loi anti-sodomie indienne (à savoir, l’article 377 du Code pénal indien qui érige en délit les actes sexuels consensuels « contre l’ordre de la nature »), excluant de son champ d’application les actes sexuels entre adultes consentants. Outre les questions de moralité publique, notamment, l’arrêt a abordé le thème de la santé publique et tout particulièrement de la sensibilisation, de l’éducation, du dépistage et du traitement du VIH/SIDA, affirmant que la loi « constitue un obstacle sérieux à l’efficacité de l’intervention publique dans le domaine de la santé ». Les magistrats ont ajouté :

Les groupes à risques élevés sont les plus réticents à révéler des comportements homosexuels par crainte de la force publique, ce qui rend une grande partie de la population invisible et hors d’atteinte, et confine les cas d’infection à la clandestinité. Ainsi, il est très difficile pour les travailleurs sanitaires publics ne serait-ce que de rencontrer cette population […]. Compte tenu du fait que de nombreux HSH sont mariés ou ont des relations sexuelles avec des femmes, leur partenaire féminin risque également d’être affecté par le VIH.[186]

Le fait que le VIH/SIDA soit perçu comme étant une « maladie gay » stigmatise les travailleurs sociaux qui interviennent auprès des HSH et les exposent davantage aux risques de stigmatisation et de violence. Le témoignage de Babacar plus haut montre que le travail de sensibilisation auprès des populations HSH expose les militants de la lutte contre le VIH/SIDA aux agressions de la police et de la population.

Les témoignages suivants mettent en évidence les liens malencontreux et dangereux que la population sénégalaise est encouragée à faire entre homosexualité, VIH/SIDA et travail du sexe. Les gens pensent souvent que les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes vivent du travail du sexe avec des étrangers/hommes blancs. Cette association, outre le fait qu’elle ajoute au discrédit du travail du sexe (féminin), considéré honteux et immoral, le discrédit existant jeté sur l’homosexualité (et réunit les deux), renforce également l’idée que l’homosexualité est une pratique occidentale étrangère à l’Afrique importée au Sénégal par des Occidentaux.[187]

Entre préjugés et arbitraire policier, les travailleurs sociaux ont de plus en plus de mal à mener des programmes de sensibilisation efficaces. Comme le raconte Ziggy, 36 ans, militant HSH :

Les gens chez moi sont devenus de plus en plus suspicieux lorsque j’ai commencé mes activités de sensibilisation au VIH il y a plusieurs années. Des membres de ma famille ont appris que je travaillais avec des hommes et non avec des femmes ou des enfants, ce qui a confirmé leurs doutes.[188]

Pour les hommes séropositifs qui ont des relations sexuelles avec des hommes, leur séropositivité peut confirmer, pour les membres de la famille et de la collectivité, les suspicions qui pèsent sur leur orientation sexuelle. Cela peut conduire ces hommes à cacher leur séropositivité à leur famille et à leurs partenaires sexuels, augmentant davantage les risques de transmission.[189] Dans de nombreux cas, les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes ont des rapports sexuels avec des femmes ou se marient, pour dissimuler leur orientation sexuelle et éviter toute hostilité. Cela expose également leurs compagnes et épouses aux IST, VIH compris.[190]

Témoignages d’hommes gays séropositifs

Khalifa, 42 ans, se dit homosexuel. Il a été testé séropositif en 2005. Il vit avec son père et ses frères et sœurs. Personne dans sa famille ne sait qu’il est gay. Khalifa n’a pas de petite amie et sa famille lui demande souvent comment il se fait qu’il ne soit pas encore marié. Il répond que sans travail, il ne peut fonder une famille et subvenir à ses besoins. Il pense que pour l’instant, cela suffit comme réponse :

J’avais entendu parler du VIH à la radio et à la télé, mais c’est lors d’une conférence organisée par Laye [éducateur et responsable d’AIDES Sénégal, arrêté en décembre 2008] que j’ai appris qu’il y avait une forte prévalence parmi les HSH. Je suis sûr que j’étais séropositif depuis un bon moment. Je ne m’étais jamais protégé. [Maintenant] je suis membre d’AIDES Sénégal mais, bien sûr, je ne peux le dire à personne, ni en parler ouvertement car il s’agit d’une organisation gay. Je ne peux pas parler de mon état de santé avec ma famille. J’aimerais pouvoir en parler à quelqu’un, mais je sais que je serais tout de suite stigmatisé et que ma famille n’acceptera jamais mon homosexualité.
Si j’allais avec des femmes, que je sois bisexuel ou hétérosexuel, je pourrais parler à ma famille de ma séropositivité. Mais si j’en parle maintenant, ils vont sûrement penser que je suis gay à cause des doutes qui pesaient déjà sur moi quand j’étais enfant. [Quand il avait une dizaine d’années, une tante lui avait dit qu’il était gay à cause de son comportement maniéré.] Pour l’instant, je contrôle la situation, personne ne dit rien, mais si je leur apprenais que je suis séropositif, compte tenu du fait que je n’ai jamais eu de petite amie et vu la manière dont je m’habille, ils se douteraient, c’est sûr. Et pour ma famille, être séropositif revient automatiquement à être gay.

Khalifa ne travaille pas. Sa famille subvient à ses besoins. Il se prostitue parfois pour gagner un peu d’argent. L’absence de ressources matérielles place Khalifa dans une position particulièrement vulnérable :

Je prie pour ne jamais tomber malade. Je ne sais pas comment réagirait ma famille si je tombais malade. Je devrais lui avouer que je suis séropositif. J’espère qu’ils auront pitié de moi compte tenu de mon état de santé. J’espère qu’ils ne me jetteront pas dehors. Je ne sais vraiment pas comme ils réagiraient s’ils apprenaient que je suis séropositif et HSH.
Il n’y a aucune structure de soutien en place pour les HSH séropositifs. Il existe des groupes généraux de soutien pour les personnes séropositives au CTA [Centre de traitement ambulatoire]. J’y suis allé une seule fois. Si tu as la chance d’être au CTA le jour où le groupe de soutien a lieu, alors ça va. Sinon, des fois, je n’ai même pas l’argent pour prendre les transports en commun, alors je ne peux pas aller au groupe de soutien.

En ce qui concerne l’impact des récentes arrestations sur l’obtention de son traitement, Khalifa nous apprend :

Avant, je confiais mes cachets à Laye parce que je partage ma chambre avec mes frères. Je prenais à chaque fois assez de cachets pour trois jours et laissais le reste chez lui [de peur que ma famille ne les trouve]. Après l’arrestation de Laye, je n’ai pris aucun médicament pendant deux mois, parce que je ne pouvais pas aller les chercher [chez lui] et je ne voulais pas retourner au CTA seul. Et puis, j’ai commencé à me sentir mal, alors j’y suis allé. Quand Laye était au CTA, il me demandait comment j’allais et je pouvais parler un peu avec lui. Maintenant, je reçois mon traitement et mes cachets. La différence, c’est qu’avant [quand Laye y était], il y avait quelqu’un qui se souciait réellement de moi.[191]

Bachir se dit homosexuel. Il est séropositif et a une petite amie. Il vit avec son oncle et sa tante. Il pense qu’ils le soupçonnent d’être gay parce qu’il a eu dans le passé des amis « très efféminés » :

Ma tante et mon oncle m’aiment beaucoup et je ne veux surtout pas leur faire de la peine. Ils ne savent pas que je suis séropositif. J’ai commencé à 17 ans. Avant 2004, date à laquelle j’ai appris [que j’étais séropositif après avoir assisté à une réunion d’une association HSH], je n’utilisais jamais de préservatif. Je n’aimais pas les utiliser, alors je m’en passais. Je pensais que ce qu’on disait sur le VIH, c’était du vent.
Je ne l’ai pas dit à mon oncle et à ma tante parce que je ne sais pas comment ils réagiraient. Il y a une telle honte associée à cette maladie que je ne pense pas qu’ils l’accepteraient. Les personnes séropositives le disent rarement à leur famille parce qu’on vous fout dehors ou on vous ostracise au sein même de la famille. Les personnes des communautés HSH et de la prostitution sont très bien informées sur le VIH/SIDA – comment ça se transmet, comment essayer de vivre normalement, comment contrôler la maladie – mais les familles ne reçoivent pas les mêmes informations.
 
Parfois, j’aimerais pouvoir en parler. Des fois, je vais à la clinique et je vois des personnes très malades et ça me fait peur. Je demande aux médecins comment les personnes séropositives peuvent vivre longtemps et vivre bien. Ils me rassurent mais j’ai l’impression qu’ils ne me disent pas tout. Peut-être ne veulent-ils pas que je me fasse du souci, mais je m’en fais déjà.
J’ai des rapports sexuels avec ma copine maintenant, mais je mets un préservatif. Ça ne pose pas de problème puisque nous ne sommes pas mariés, mais si on était mariés, je ne pourrais pas mettre de protection. Je mets également un préservatif quand j’ai des rapports sexuels avec des hommes. Je me prostitue aussi.[192]

La réprobation pour les homosexuels séropositifs est double et renforce considérablement la vulnérabilité de ces hommes aux exactions et aux violences. Tamasir, sans travail régulier, se prostitue pour gagner sa vie. Il a été testé séropositif en 2006 :

 
Je mettais des préservatifs quand j’en avais. J’avais honte d’aller en acheter à la pharmacie, alors je ne me protégeais pas toujours. Je me procurais parfois des préservatifs auprès de la Division SIDA [une division du ministère de la Santé]. J’avais entendu parler des associations [HSH] mais je n’y connaissais personne. En 2006, un ami m’a dit qu’on proposait des tests de dépistage gratuits au CTA et que les frais de transport pour les personnes qui venaient faire le test étaient pris en charge. J’y suis allé. C’était Laye qui organisait ça. J’ai fait le test et j’ai appris que j’étais séropositif. Depuis, je mets tout le temps des préservatifs. Je me sentais en confiance avec Laye et j’ai appris à prendre soin de moi. J’ai assisté à des réunions qu’il avait organisées, j’en ai appris un peu plus sur son association et depuis ce jour, j’ai toujours réussi à me procurer des préservatifs [auprès de Laye].

Tamasir a été arrêté en juin 2006 et accusé à tort sur le fondement de l’article 319.3 du Code pénal. Il a essayé, en vain, d’obtenir ses médicaments ARV en prison :

Je suis resté deux ou trois mois sans prendre mes médicaments. J’allais à l’infirmerie et j’attendais le médecin de garde ou le médecin-chef. Je ne faisais pas confiance au personnel infirmier. J’ai dû attendre longtemps avant de voir le médecin. Le médecin voulait que je lui prouve que j’étais séropositif. Je lui ai dit d’appeler le CTA puisque j’étais inscrit là-bas. Le lendemain, les gardiens m’ont emmené au CTA. J’étais menotté. Là-bas, un médecin leur a demandé de m’enlever les menottes. Mon taux de CD avait considérablement chuté et après ma libération, je suis tombé gravement malade.[193]

Absa sait qu’il est séropositif depuis 2005. Sa famille a appris qu’il était gay quand sa photo est parue dans Icône, mais elle ne sait pas qu’il est séropositif :

Je prends l’équivalent de deux ou trois mois de médicaments ARV au CTA et j’en laisse une partie chez un ami parce que j’ai peur que quelqu’un tombe dessus chez moi. Je vois bien qu’on vient fouiller dans mes affaires des fois et je ne veux pas qu’ils trouvent mes cachets. J’essaie d’en avoir toujours le plus possible sur moi. J’ai des amis proches qui sont séropositifs. Quand je suis avec eux, je peux prendre mes médicaments s’il le faut. Mais quand je suis avec des personnes que je ne connais pas, je ne les prends pas devant elles. Les gens pourraient deviner et poser des questions, ils regarderaient les cachets et pourraient découvrir à quoi ils servent.[194]

Tapha, responsable d’une association HSH à Thiès, décrit les risques liés à l’organisation de séances d’information sur le VIH/SIDA et de groupes de soutien pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, en particulier après les récents incidents de violence :

Récemment, j’ai organisé une réunion [pour HSH]. Je ne suis pas le seul que les gens connaissent [la photo de Tapha est également parue dans Icône]. Quand les HSH sont arrivés [pour la réunion], les gens du quartier l’ont su et quand nous sommes repartis, ils nous ont agressés. On repart toujours deux par deux plutôt qu’en groupe, pour éviter d’attirer l’attention. Il y a une centaine de personnes [dans l’association] mais à chaque réunion, nous ne sommes qu’une dizaine, là encore, pour ne pas attirer l’attention. Nous sommes prudents, nous ne repartons pas tous ensemble, car nous serions trop visibles. J’étais en haut de l’escalier. J’ai entendu des voix. Deux participants étaient partis. Cinq jeunes les ont agressés. Ils les ont insultés en les traitant de « goorjigeen ». Peut-être que les HSH ont rétorqué quelque chose. Toujours est-il que les jeunes les ont agressés. Ils n’étaient pas armés parce qu’on était en plein jour. À Thiès, les jeunes sont toujours armés, mais la nuit seulement, pas la journée. Ils frappaient les HSH avec leurs poings et essayaient de leur donner des coups de pied. Je me suis interposé ; un autre HSH a pris la fuite. J’ai été blessé à l’épaule gauche. Ça n’était pas très grave, je suis allé voir un médecin mais je ne voulais pas dire que j’avais eu des ennuis parce que je suis homosexuel. C’est après cet incident que j’ai été mis à la porte de chez moi.

Dans un tel climat, les pairs éducateurs travaillant avec les HSH et les responsables d’association sont particulièrement vulnérables. Le travail indispensable qu’ils effectuent pour sensibiliser les populations les plus à risque comporte lui-même des risques. Lorsque la loi réprime les actes qui sont au cœur même de leur activité et expose ces derniers à la violence publique et privée, ils sont doublement pénalisés et sans défense. Tapha poursuit :

Nous ne sommes en sécurité nulle part. Notre vie est en danger, surtout celle des responsables d’association, qui sont très exposés. Je ne vis plus chez moi, je n’ai pas de travail. Qu’est-ce que je peux faire s’ils viennent me chercher ?[195]

L’arrestation des membres d’AIDES Sénégal constitue un exemple saisissant de l’impact de la criminalisation des actes homosexuels sur le travail de prévention au VIH/SIDA. Fatou Kine Camara, professeur de droit à l’université de Dakar et secrétaire générale de l’Association des femmes juristes sénégalaises, a déclaré lors de la table ronde sur l’homosexualité organisée au sein de l’université le 22 juillet 2009 : « Lors des arrestations [de décembre 2008], [les neuf hommes] organisaient une réunion de prévention au HIV, réunion que l’on a qualifiée d’‘association de malfaiteurs’. On ne peut faire mieux pour décourager la lutte contre le VIH. » Lors de la même table ronde, le Dr Ibra Ndoye, secrétaire exécutif du Conseil national sur le SIDA (CNLS), s’est également exprimé sur l’impact des arrestations sur la prévention du VIH/SIDA : « Il est encore trop tôt pour mesurer quantitativement l’impact de ces événements sur la lutte contre le VIH [parmi les HSH] [...] mais je crains une flambée de l’épidémie pendant que nous restons silencieux. »[196]

Normes juridiques internationales et sénégalaises

 

Le droit international

Le gouvernement est tenu par le droit international et le droit coutumier de protéger et de promouvoir les droits fondamentaux des citoyens et résidents sénégalais. Il doit par ailleurs rendre compte à la communauté internationale de ses actions en la matière. Le Sénégal a ratifié sans aucune réserve de grandes conventions internationales sur les droits humains. Ces conventions ont donc force de loi au Sénégal.

Les principales obligations internationales du Sénégal figurent dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHDP). Le Sénégal a ratifié le PIDCP en 1978 et la CADHDP en 1982. Ces deux instruments imposent aux autorités sénégalaises l’obligation de protéger et de promouvoir divers droits fondamentaux, et prévoient et protègent les conditions nécessaires à la réalisation de ces droits.

Le droit à la vie et à la sécurité

L’article 9 du PIDCP dispose que tout individu « a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne » et que « [n]ul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire ». Le droit à la sécurité oblige ainsi l’État à protéger les individus contre les menaces de violence physique. Le Comité des droits de l’homme de l’ONU chargé de veiller au respect du PIDCP rappelle à leurs obligations les États qui ne protègent pas les individus contre les violences fondées sur l’orientation sexuelle.[197] De même, les articles 4 et 6 de la CADHDP disposent que « tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité de sa personne », que « nul ne peut être privé arbitrairement de ces droits », et, en particulier, que « nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement », et que « tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne ».

Le droit à la vie privée

L’article 17 du PIDCP stipule que « nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée » et garantit le droit de toute personne à la protection de la loi contre de telles immixtions. Dans sa décision Toonen/Australie rendue en 1994, le Comité des droits de l’homme a considéré que les lois pénales sanctionnant les comportements homosexuels entre adultes méconnaissaient les protections garanties au titre de l’article 17.

Protection contre la torture et les traitements inhumains et dégradants

Les articles 7 et 10 du PIDCP stipulent que « nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » et que toute personne doit être traitée à tout moment avec humanité et dignité, y compris lorsqu’elle fait l’objet d’une mesure de détention. L’article 5 de la CADHDP prohibe également « la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants », et garantit le droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine.

Le PIDCP et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ratifiée par le Sénégal en 1986) énoncent ce que les États doivent faire pour veiller au respect de l’interdiction. À ce titre, il leur incombe notamment d’enquêter, de poursuivre et d’indemniser les manquements.[198] Le Comité des droits de l’homme de l’ONU a clairement indiqué que l’obligation de protection contre la torture ou les traitements inhumains couvre non seulement les actes des autorités publiques comme la police, mais également les actes infligés par des particuliers à titre privé.[199]

Liberté d’expression, d’association et d’information

L’article 17 du PIDCP affirme le droit à la vie privée, l’article 19, le droit à la liberté d’expression, et l’article 21, le droit de réunion. L’article 9 de la CADHDP garantit à toute personne le droit à l’information et le droit à la liberté d’expression, et l’article 10, le droit à la liberté d’association. Le droit à la liberté d’expression peut être soumis aux restrictions fixées par la loi qui sont nécessaires au respect des droits d’autrui (article 19, point 3), du PIDCP).

Non-discrimination, droits fondamentaux, protection égale de la loi

L’article 2 du PIDCP stipule que les États « s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent pacte, sans distinction aucune ». L’article 26 du PIDCP stipule que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. Il ressort clairement des décisions du Comité des droits de l’homme de l’ONU que l’orientation sexuelle est un statut protégé contre toute discrimination en application de ces dispositions.[200] L’article 2 de la CADHDP stipule : « Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune. » L’article 3 garantit que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une protection égale de la loi. L’article 19 énonce : « Tous les peuples sont égaux. Ils jouissent de la même dignité et ont les mêmes droits. »

Orientation sexuelle et identité de genre dans le contexte africain

En 2007, le commissaire Lawrence Mute de la Commission nationale des droits de l’homme du Kenya a dénoncé une campagne lancée par le Conseil des imams et des prédicateurs du Kenya visant à éradiquer l’homosexualité et la prostitution.[201] Le commissaire faisait part des préoccupations de la Commission au sujet des « appels à la violence » des chefs religieux, rappelant que « si la Commission reconnaît et respecte le droit des institutions religieuses et des personnes à exprimer leurs opinions, ces opinions ne doivent pas permettre de persécuter et mettre en danger d’autres communautés ou individus ».

Dans un article datant de 2009, dans lequel il explore le contexte dans lequel les droits des personnes LGBT sont violés dans certains pays d’Afrique, Lawrence Mute identifie « cinq dynamiques ». Il souligne notamment « la dynamique de la criminalisation », sous l’empire de laquelle des lois contre la sodomie ont été adoptées dans l’Afrique coloniale et par la suite dans l’« éthique des valeurs » locales[202] et la « discrimination ou la violation [extra-juridique] des droits des personnes LGBT à la vie, à la liberté, à l’éducation, à la santé, au travail au motif de leur sexualité », tout à fait distincte de la mise en application des lois contre la sodomie. Lawrence Mute critique les « déclarations homophobes » des chefs d’État africains qui désignent à « l’opprobre publique les homosexuels » et le silence législatif les concernant. M. Mute conclut : « Les États africains doivent reconnaître qu’il existe un socle irréductible de droits qui s’applique également aux personnes LGBT puisqu’il s’applique tout simplement à tous les êtres humains. »

La Constitution sénégalaise

Le droit national oblige également le Sénégal à protéger et promouvoir les droits de ses citoyens, y compris les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres. La Constitution sénégalaise garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité aux termes de l’article 7. L’article 8 énonce les libertés civiles et politiques, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté d’association, la liberté de réunion, la liberté de circulation, les libertés culturelles, ainsi que le droit à la santé, à un environnement sain et à l’information. Elle garantit les droits économiques et sociaux tant aux individus qu’aux groupes. L’article 16 garantit le droit à la vie privée, sous la forme de l’inviolabilité du domicile, et les articles 1 et 7 garantissent que toute personne est égale devant la loi.

 

Recommandations

Au Président et au gouvernement national du Sénégal

  • Dépénaliser les actes homosexuels en abrogeant l’article 319.3 du Code pénal sénégalais ;
  • Condamner publiquement tous les actes de violence, de discrimination et d’intolérance sur le fondement de l’orientation sexuelle et/ou de l’identité de genre ;
  • Encourager publiquement la mise en place de dispositifs sanitaires de lutte contre le VIH/SIDA qui puissent s’appliquer aux groupes de personnes vulnérables, et notamment aux hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, aux travailleurs du sexe, aussi bien masculins que féminins ;
  • Condamner les discours homophobes prononcés par certains représentants de l’État.

Au ministère de l’Intérieur

  • Émettre une directive invitant l’ensemble des forces de police à ne pas enquêter et à ne pas poursuivre les accusations d’activités sexuelles entre adultes consentants dans l’intimité ;
  • Mener une enquête sur tous les cas de violences verbales et physiques fondées sur l’orientation sexuelle et/ou l’identité de genre et veiller à ce que les enquêtes soient menées d’une manière juste et équitable ;
  • Mener une enquête sur toutes les arrestations effectuées à ce jour sur le fondement de l’article 319.3, ainsi que sur les manquements signalés des forces de l’ordre, et prendre des mesures disciplinaires à l’encontre des officiers de police convaincus de mauvais traitements, notamment en cas de violences physiques, d’agressions verbales, de harcèlement, d’extorsion et de torture ;
  • Mettre un place un programme de formation pour l’ensemble des forces de police, à tous les niveaux hiérarchiques, sur les thèmes du VIH/SIDA, de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre et indiquer clairement que personne ne devrait être arrêté pour possession de préservatifs, de gel et d’ARV ;
  • Dénoncer publiquement le ciblage par la police de populations vulnérables et mettre fin à la surveillance des espaces publics réputés fréquentés par des homosexuels.

Aux chefs religieux

  • Condamner les agressions d’individus au motif de leur orientation sexuelle et/ou de leur identité de genre ;
  • Condamner les discours incitant à la haine contre des personnes ou des groupes au motif de leur orientation sexuelle et/ou de leur identité de genre, ainsi que les appels au meurtre ou visant à nuire aux homosexuels.

 

Aux médias

  • Condamner les agressions d’individus au motif de leur orientation sexuelle et/ou de leur identité de genre ;
  • Condamner les discours et l’emploi de termes péjoratifs incitant à la haine contre des personnes ou des groupes au motif de leur orientation sexuelle et/ou de leur identité de genre, ainsi que les appels au meurtre ou visant à nuire aux homosexuels.

 

Au ministère de la Justice

  • Ouvrir des enquêtes sur toutes les condamnations prononcées sur le fondement de l’article 319.3 afin de s’assurer de l’absence de violations des garanties procédurales – notamment les condamnations sans preuve, les arrestations sans mandat, ainsi que les extorsions d’aveux – et annuler toute décision non conforme aux exigences procédurales.

 

Au ministère de la Santé

  • Former tous les personnels de santé des centres de traitement du VIH/SIDA sur les thèmes de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre ;
  • Augmenter le nombre d’établissements de dépistage et de santé publique dans les régions isolées, et identifier et former des pairs éducateurs pour les HSH ;
  • Veiller à la distribution de quantités suffisantes de lubrifiants dans les centres de dépistage et de traitement, et au travers des pairs éducateurs HSH ;
  • Soutenir publiquement et financièrement le travail des pairs éducateurs HSH et respecter les engagements souscrits dans le cadre du plan national stratégique 2007-2011 pour incorporer au mieux ces populations dans les stratégies d’éducation et de prévention en matière de VIH/SIDA ;
  • Développer les actions éducatives en matière de VIH, tout particulièrement à l’intention des populations vulnérables.

Au Conseil national des droits de l’homme et des libertés

  • Instruire les cas signalés de violences commises à l’encontre d’individus sur le fondement de leur orientation sexuelle et/ou de leur identité de genre, tant par les acteurs publics que privés ;
  • Surveiller les discours qui incitent à la violence ou à la haine contre des individus en raison de leur orientation sexuelle et/ou de leur identité de genre ;
  • Condamner les attaques et les arrestations de militants œuvrant pour la lutte contre le VIH/SIDA, ainsi que les attaques contre des individus au motif de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.

 

Au Fonds mondial, au programme des Nations Unies pour le développement, à l’ONUSIDA et aux autres gouvernements et agences internationales

  • Faire pression sur le Sénégal pour qu’il traite les personnes LGBT, ainsi que les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, conformément aux normes internationales ;
  • Fournir une assistance en matière de dépénalisation et de réforme du système juridique ;
  • Aider au fonctionnement indépendant et efficace du Conseil national des droits de l’homme et des libertés ;
  • Surveiller les violences à l’encontre des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et des personnes LGBT, ainsi que des personnes effectuant des missions de sensibilisation et de prévention au VIH/SIDA ;
  • Aider le gouvernement du Sénégal à reformuler le cadre des programmes de lutte contre le VIH/SIDA, dans le but de réduire la stigmatisation de populations vulnérables.

Glossaire

Expression de genre : les caractéristiques et les comportements externes que les sociétés définissent comme étant « masculins » ou « féminins ». Recouvre certains attributs comme la tenue vestimentaire, l’apparence, les manières, la façon de s’exprimer, le comportement et les interactions en société.

Gay : synonyme d’homosexuel en anglais et dans d’autres langues. Terme parfois utilisé pour désigner les hommes principalement attirés par d’autres hommes.

Genre : les codes culturels et sociaux (par opposition au sexe biologique) utilisés pour distinguer ce qu’une société considère être un comportement « masculin » et un comportement « féminin ».

Hétérosexuel(le) : personne attirée principalement par des personnes du sexe opposé.

Homosexuel(le) : personne attirée principalement par des personnes du même sexe.

HSH : hommes (ou personnes de sexe masculin) ayant des relations sexuelles avec des hommes (ou des personnes de sexe masculin), sans forcément être « gays », « homosexuels » ou « bisexuels ».

Identité de genre : le sentiment intérieur et profondément ressenti d’être une femme ou un homme, quelque chose d’autre qu’un homme ou une femme.

Lesbienne : femme attirée principalement par d’autres femmes.

LGBT : Lesbiennes, gays, bisexuels ou transgenres ; terme général désignant des groupes et des identités parfois également considérés comme des « minorités sexuelles ».

Orientation sexuelle : la manière dont s’expriment les désirs sexuels et psychologiques d’une personne. La classification est fonction du sexe qui est l’objet du désir, à savoir, si une personne est principalement attirée par des personnes du même sexe, du sexe opposé, ou des deux sexes.

Sexe biologique : classification biologique des corps de l’homme et de la femme reposant sur des facteurs tels que les organes sexuels externes, les organes sexuels et reproductifs internes, les hormones et les chromosomes.

Violences fondées sur le genre : actes de violence à l’encontre d’une personne en raison de son genre ou de son sexe. Les actes de violence fondés sur le genre couvrent les violences sexuelles, les violences domestiques, les violences psychologiques, l’exploitation sexuelle, le harcèlement sexuel, les pratiques traditionnelles dommageables et les pratiques discriminatoires. À l’origine, le terme désignait les violences contre les femmes. Il recouvre désormais une acceptation large pour inclure les violences dirigées tant contre les femmes que les hommes du fait de la manière dont ils vivent et expriment leur genre et leur sexualité.

 

Remerciements

Ce rapport a été préparé et écrit par Dipika Nath, chercheuse auprès du Programme pour les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) de Human Rights Watch, assistée d’Inge Sturkenboom (qui travaillait alors pour Human Rights Watch). Nous remercions particulièrement Akey Fabrice Looky, qui a généreusement fait don de son temps pour assurer l’interprétation lors de nombreux entretiens. Ce rapport a été révisé et édité par Corinne Dufka, chercheuse senior pour l’Afrique de l’Ouest ; Rebecca Schleifer, directrice de plaidoyer pour le programme Santé et Droit humains ; Clive Baldwin, conseiller juridique senior et Joe Saunders, directeur adjoint de la division chargée des Programmes. Jessica Ognian, associée senior auprès du programme Droits des LGBT, a assuré la coordination éditoriale et de production et a préparé ce rapport pour sa publication. La traduction française de ce rapport a été réalisée par l’agence horizons et révisée par Peter Huvos, responsable de la section française du site web de Human Rights Watch. Grace Choi, directrice du département des Publications, Anna Lopriore, responsable photos et Fitzroy Hepkins, gestionnaire du courrier, ont participé à la conception et à la publication de ce rapport.

Human Rights Watch exprime sa gratitude à toutes les personnes et organisations qui ont contribué à la préparation de ce rapport, notamment Codou Bop, coordinatrice, Réseau international de Femmes sous lois musulmanes ; Daouda Diouf et ses confrères de ENDA Santé ; Gary Engelberg, directeur, Africa Consultants International ; Magatte Mbodj, directrice exécutive, Alliance nationale Contre le sida, et Cheikh Ibrahima Niang, Professeur, Université Cheikh Anta Diop et coordinateur régional, Réseau SAHARA (Social Aspects of HIV/AIDS Research Alliance), ainsi que ses collègues.

Human Rights Watch souhaite remercier tout particulièrement « Laye » (nom d’emprunt) qui a facilité l’organisation des entretiens, traduit de wolof en français, et participé au travail de recherche. Enfin, Human Rights Watch exprime sa profonde gratitude à toutes celles et ceux qui ont partagé avec nous leurs histoires.

[1] L’article 319.3 dispose: « Sans préjudice des peines plus graves prévues par les alinéas qui précédent ou par les articles 320 et 321 du présent Code, sera puni d'un emprisonnement d'un à cinq ans et d'une amende de 100 000 à 1 500 000 francs, quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe. Si l'acte a été commis avec un mineur de 21 ans, le maximum de la peine sera toujours prononcé. » www.justice.gouv.sn/droitp/CODE%20PENAL.PDF.Les dispositions du code contre le viol (articles 320 et 321) couvrent tout acte sexuel contraint, tant hétérosexuel qu’homosexuel. L’article 319.3 est donc le moyen exclusif de cibler les actes homosexuels entre personnes consentantes.

[2] « HSH » est un terme courant dans le domaine de la prévention du VIH. Si les populations HSH et les populations gays ou bisexuelles masculines se confondent parfois, l’utilisation du terme « HSH » met l’accent sur les pratiques sexuelles plutôt que sur les identités, élargissant ainsi le champ d’intervention de la prévention du VIH aux individus qui peuvent avoir des comportements homosexuels sans pour autant être qualifiés d’homosexuels. Il existe de nombreuses associations « HSH » (organisation d’hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, qui offrent un espace social aux individus et qui cherchent essentiellement à atteindre les populations HSH) au Sénégal, principalement dans les zones urbaines.

[3] Une publication de l’ONUSIDA (Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA) de 2009 indique également que les populations HSH et transgenres figurent parmi celles les plus à risque d’infection par le VIH. Elle en fait un argument de santé publique, et fondé sur les droits humains, de lutte contre les défaillances de l’État, pour atteindre ces populations vulnérables. ONUSIA, « UNAIDS Action Framework: Universal Access for Men who have Sex with Men and Transgender People », mai 2009, http://data.unaids.org/pub/Report/2009/jc1720_action_framework_HSH_en.pdf (au 1er novembre 2009).

[4]Babacar explique que si la possession de préservatifs peut s’expliquer par la promiscuité hétérosexuelle ou la visite d’une maison close, le gel est associé dans l’esprit de la police et de la population aux relations homosexuelles.

[5]Si Babacar et son collègue n’ont pas été inculpés, le gel trouvé en leur possession constitue un « indice » susceptible d’établir la pratique de la sodomie (interdite aux termes de l’article 319.3) et justifiant leur garde à vue aux yeux de la police.

[6]Les tissus du rectum sont sensibles et se déchirent facilement, ce qui provoque des douleurs et constitue un facteur de transmission des MST. Il est unanimement admis que les gels à base d’eau permettent des rapports sexuels anaux à moindre risque. Si les cliniques publiques au Sénégal fournissent gratuitement des préservatifs, il n’est pas facile de se procurer du gel. Plusieurs hommes nous ont confié avoir des rapports sans gel et utiliser des moyens de fortune comme de l’huile de cuisine ou divers fluides pour le corps. Le Dr Abdou Diop, directeur adjoint du service SIDA, explique que les gels sont chers et que leur conditionnement est inadapté. Il nous a indiqué qu’il n’est pas pratique pour les hommes ayant des relations sexuels avec des hommes de se promener avec de longs tubes dans leur poche. Il préconise donc des sachets unidose. Pourtant, le Dr Diop reconnaît qu’il faudra au minimum attendre un an avant de disposer de stocks de gel suffisants par l’intermédiaire de la Pharmacie nationale d’approvisionnement, l’institution publique chargée de distribuer les médicaments antirétroviraux et les préservatifs aux cliniques publiques. Entretien accordé à Human Rights Watch par le Dr Diop, Dakar, 7 août 2009.

[7] Entretien accordé à Human Rights Watch par Babacar (nom d’emprunt), Dakar, 27 juillet 2009.

[8]« Homosexuels », L’Observateur (n° 0854), 29 avril 2009.

[9]Voir le reportage de la BBC sur : http://news.bbc.co.uk/2/hi/8032754.stm, au 21 octobre 2009.

[10] Human Rights Watch a interrogé les trois hommes incarcérés le 16 septembre 2009. La presse a également couvert cette série d’arrestations: « La gendarmerie met fin a des pratiques obscènes à Darou Mousty: Quatre homosexuels surpris en plein ébat puis arrêtés », Rewmi (n° 87), 20 et 21 juin 2009.

[11]« Senegal Police Probe 24 Men for ‘Homosexual Activities », AFP, 28 décembre 2009, reproduit sur http://www.zimbio.com/Prime+Minister+Macky+Sall/articles/LW0A71lBea2/Senegal+police+probe+24+men+homosexual+activities, au 20 janvier 2010.

[12] Entretien téléphonique accordé à Human Rights Watch par Laye (nom d’emprunt), 28 janvier 2010. Laye connaît l’un des hommes arrêtés et nous a raconté ce qu’il lui avait dit.

[13] Une étude réalisée par Cheikh Ibrahima Niang en 2001 auprès de 250 hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes fait état des nombreuses agressions physiques et verbales dont ils sont victimes depuis longtemps de la part de la collectivité. Plusieurs hommes ont également indiqué qu’ils étaient agressés physiquement et verbalement depuis plusieurs années. Cheikh Ibrahima Niang, et al., « It’s Raining Stones’: Stigma, Violence and HIV Vulnerability among Men Who Have Sex with Men in Dakar, Senegal », Culture, Health & Sexuality Vol. 5, n° 6 (novembre-décembre 2003), p. 499-512: 507-08.

[14]Le Premier ministre s’exprimait lors d’une conférence intitulée « L’Islam et les défis de notre époque »se tenant à l’Institut islamique de Dakar. Son intervention a été reprise dans Le Quotidien le 18 mai 2009. Elle a également été rapportée sur le site web du Sud Quotidien (http://sudonline.sn) le 18 mai, le rédacteur en chef affirmant que le Premier ministre avait lancé une « fatwa » contre les homosexuels.

[15]Les déclarations du Premier ministre sont d’autant plus alarmantes qu’il est le président du conseil national sur le SIDA.

[16]Dans le cadre d’une étude récente, Marc Epprecht expose la manière dont les anthropologues, les responsables coloniaux, les élites africaines et, plus récemment, les personnels de santé en sont venus à considérer l’hétérosexualité et l’hétéronormativité (le fait d’observer un genre normatif et des rôles sexuels qui posent en principe l’hétérosexualité et le statut social secondaire des femmes comme essentiels et « naturels ») comme les seules identité et pratique sexuelles originales et authentiques en Afrique subsaharienne. Marc Epprecht Heterosexual Africa?: The History of an Idea from the Age of Exploration to the Age of AIDS (Ohio : Ohio University Press, 2008).

[17]Cité dans « Le phénomène de l’homosexualité: une ‘bombe sociale‘ au Sénégal ? », sur http://www.nettali.net/Le-phenomene-de-homosexualite-une.html, 14 juin 2009, au 1er octobre 2009.

[18]Entretien accordé à Human Rights Watch par Bassirou (nom d’emprunt), Dakar, 23 juillet 2009.

[19]Stanley Cohen, Folk Devils and Moral Panics (Londres : Routledge, 2002, troisième édition), p. 1.

[20]Gilbert Herdt, « Introduction: Moral Panics, Sexual Rights, and Cultural Anger » dans Moral Panics, Sex Panics: Fear and the Fight Over Sexual Rights, édité par Gilbert Herdt (New York : New York University Press, 2009), p. 5.

[21]Entretien accordé à Human Rights Watch par Daouda (nom d’emprunt), Dakar, 28 juillet 2009.

[22]Nul ne sait véritablement comment Icône a mis la main sur ces photos. Mansour Dieng, responsable de la publication du magazine, affirme les avoir achetées plusieurs mois auparavant au photographe. « Suite à la publication de photos d’un mariage de Gorgjiguène (Par Ndèye Axa Lô): Pape Mbaye menace de tuer Mansour Dieng d’Icône », Walf Grand Place (n° 6502), 4 février 2008. Certains membres de la communauté nous ont dit que le photographe avait tenté en vain de faire chanter plusieurs individus apparaissant sur les photos, avant de les vendre à Icône. Human Rights Watch n’est pas mesure de confirmer la rumeur.

[23]http://futursenegalvideo.fliggo.com/video/0QGGdeM7.

[24]Tous les hommes adultes musulmans sont tenus de participer à la grande prière du vendredi après-midi, et des milliers d’hommes se réunissent autour des mosquées le vendredi.

[25]Le récit suivant est extrait d’un entretien accordé à Human Rights Watch par Pape Mbaye à Dakar le 22 mai 2008.

[26]Pape a montré à Human Rights Watch sa photo dans un magazine pour confirmer son identité.

[27]Human Rights Watch a parlé à l’un des trois individus qui ont fui (voir ci-dessous).

[28] Cité dans « Imam Mbaye Niang sur la libération des ‘goorjigeen’ : nous allons saisir les khalifes généraux et organiser une marche », L’Observateur (n° 1316), 8 février 2008.

[29] Cité dans « Marche contre les ‘Goordjigueens’ : Serigne Bara Mbacké donne son approbation à l’imam Mbaye Niang », L’Observateur (n° 1319), 12 février 2008.

[30]« Marche interdite contre l’homosexualité - Vendredi noir à Dakar », Sud Quotidien (n° 4472), 16-17 février 2008.

[31]Parmi les hommes en fuite, Suleymane (nom d’emprunt), qui avait sauté du quatrième étage avec trois autres hommes lorsque la police est arrivée. Il est grièvement blessé, mais Pape et les autres ne seront pas en mesure d’obtenir de l’aide pour traiter ses blessures, par crainte de représailles. Souleymane tombe malade. Il décède un mois plus tard alors que les hommes se cachent à Ziguinchor. Pape pense que les voisins les ont entendus gémir au moment de la mort de Souleymane et qu’ils ont ainsi compris qui ils étaient.

[32] « President Plans to Kill Off Every Single Homosexual », http://en.afrik.com/article13630.html, 19 mai 2008 ; « Gambia Gay Death Threat Condemned », http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/7416536.stm, 23 mai 2008 ; « No Room for Gays in the Gambia », http://observer.gm/africa/gambia/article/2008/5/19/no-room-for-gays-in-gambia, au 22 octobre 2009.

[33]Voir la lettre de juin 2008 adressée par Human Rights Watch au Président gambien sur http://www.hrw.org/en/news/2008/06/10/letter-gambian-president-regarding-reported-statements-fuel-homophobia.

[34]Entretien accordé à Human Rights Watch par Ababacar (nom d’emprunt), Dakar, 28 juillet 2009.

[35] Entretien accordé à Human Rights Watch par Daouda (nom d’emprunt), Dakar, 28 juillet 2009.

[36]Entretien accordé à Human Rights Watch par Absa (nom d’emprunt), Dakar, 5 août 2009.

[37]À cette époque, Laye travaillait en tant qu’animateur et médiateur HSH au Centre de traitement ambulatoire, qui met à disposition des structures de test de traitement pour les personnes atteintes du VHI/SIDA. Entretien accordé à Human Rights Watch par Laye (nom d’emprunt), Dakar, 5 août 2009.

[38] Entretien accordé à Human Rights Watch par Tapha (nom d’emprunt), Dakar, 23 juillet 2009.

[39]Entretien accordé à Human Rights Watch par Ababacar (nom d’emprunt), Dakar, 28 juillet 2009.

[40]Entretien accordé à Human Rights Watch par Daouda (nom d’emprunt), Dakar, 28 juillet 2009.

[41]Entretien accordé à Human Rights Watch par Tapha (nom d’emprunt), Dakar, 23 juillet 2009.

[42] Entretien accordé à Human Rights Watch par Absa (nom d’emprunt), Dakar, 5 août 2009.

[43]Entretien accordé à Human Rights Watch par Abdoul (nom d’emprunt), Dakar, 31 juillet 2009.

[44]Le récit de deux hommes condamnés à deux ans de prison, intitulé « Mariage homosexuel à Dakar : Un vieux Belge et un jeune Sénégalais, condamnés à 2ans ferme », a été publié dans le journal L’Office, 22 août 2008. L’Office a également rapporté l’histoire de deux hommes de Sicap Mbao le 17 décembre, intitulée « Deux homosexuels surpris en pleins ébats ». D’après l’article, l’un des hommes a été remis à la police par des jeunes du quartier.

[45]Plus tard, en janvier 2009, après que Laye et les autres ont été condamnés et transférés à la prison de Rebeuss, Laye a fait la connaissance d’un homme qui avait été arrêté en compagnie d’un autre homme deux jours avant l’arrestation de Laye. Lui et son compagnon avaient été accusés d’avoir eu des rapports sexuels dans un parc. La police l’avait apparemment frappé et lui avait ordonné de donner les noms et l’adresse d’autres gays. L’homme a dit à la police qu’il avait entendu parler d’un homme gay du nom de Laye, et lui a dit où il habitait. L’homme ne connaissait pas encore Laye personnellement, mais il avait entendu son nom. Alors il l’a donné aux policiers quand ils l’ont frappé. Entretien accordé à Human Rights Watch par Laye (nom d’emprunt), Dakar, 5 août 2009.

[46]Entretien accordé à Human Rights Watch par Laye (nom d’emprunt), Dakar, 24 juillet 2009.

[47]Entretien accordé à Human Rights Watch par Issa (nom d’emprunt), Dakar, 25 juillet 2009.

[48]Entretien accordé à Human Rights Watch par Aliou (nom d’emprunt), Dakar, 25 juillet 2009.

[49] Entretien accordé à Human Rights Watch par Modou (nom d’emprunt), Dakar, 25 juillet 2009.

[50]Entretien accordé à Human Rights Watch par Malang (nom d’emprunt), Dakar, 28 juillet 2009.

[51]Entretien accordé à Human Rights Watch par Laye (nom d’emprunt), Dakar, 24 juillet 2009.

[52] La veille, un policier avait confisqué le téléphone portable de Laye. Laye pense que celui-ci a répondu au téléphone en se faisant passer pour lui. Personne hormis Laye ne savait que Khadim était gay.

[53]Entretien accordé à Human Rights Watch par Khadim (nom d’emprunt), Dakar, 31 juillet 2009.

[54]Un jour, le commissaire a fait venir Laye dans son bureau et lui a dit: «Tu vois, tu as avoué et personne ne te frappe. Les autres, on les frappe parce qu’ils ne veulent pas avouer. En tous cas, ne t’en fais pas, personne ne peut être puni parce qu’il est gay, seulement parce qu’il a des relations homosexuelles.» Vraisemblablement, le commissaire ne savait pas que Laye était régulièrement battu comme les autres.

[55]Entretien accordé à Human Rights Watch par Modou (nom d’emprunt), Dakar, 25 juillet 2009.

[56]Le Pulaar est une langue possédant quelques variations dialectiques. Haal Pulaar est le nom d’un sous-groupe ethnique des Peuls (ou Fulani, Fulbe et Fula), appelé Toucouleurs ou Tukulor.

[57]Entretien accordé à Human Rights Watch par Cherif (nom d’emprunt), Dakar, 25 juillet 2009.

[58]Entretien accordé à Human Rights Watch par Thierno (nom d’emprunt), Dakar, 25 juillet 2009.

[59]Entretien accordé à Human Rights Watch par Malang (nom d’emprunt), Dakar, 28 juillet 2009.

[60]Entretien accordé à Human Rights Watch par Aliou (nom d’emprunt), Dakar, 25 juillet 2009.

[61]Entretien accordé à Human Rights Watch par Laye (nom d’emprunt), Dakar, 24 juillet 2009.

[62]Entretien accordé à Human Rights Watch par Modou (nom d’emprunt), Dakar, 25 juillet 2009.

[63]Entretien accordé à Human Rights Watch par Cherif (nom d’emprunt), Dakar, 31 juillet 2009.

[64]Entretien accordé à Human Rights Watch par Khadim (nom d’emprunt), Dakar, 31 juillet 2009.

[65]Entretien accordé à Human Rights Watch par Laye (nom d’emprunt), Dakar, 24 juillet 2009.

[66]Entretien accordé à Human Rights Watch par Malang (nom d’emprunt), Dakar, 28 juillet 2009.

[67]Entretien accordé à Human Rights Watch par Laye (nom d’emprunt), Dakar, 24 juillet 2009.

[68]Entretien accordé à Human Rights Watch par Laye (nom d’emprunt), Dakar, 24 juillet 2009.

[69] Entretien accordé à Human Rights Watch par Issa (nom d’emprunt), Dakar, 25 juillet 2009.

[70] Entretien accordé à Human Rights Watch par Cherif (nom d’emprunt), Dakar, 31 juillet 2009.

[71] Entretien accordé à Human Rights Watch par Malang (nom d’emprunt), Dakar, 28 juillet 2009.

[72]Entretien accordé à Human Rights Watch par Thierno (nom d’emprunt), Dakar, 25 juillet 2009.

[73]Entretien accordé à Human Rights Watch par Aliou (nom d’emprunt), Dakar, 25 juillet 2009.

[74]Entretien accordé à Human Rights Watch par Khadim (nom d’emprunt), Dakar, 31 juillet 2009.

[75]Entretien accordé à Human Rights Watch par Tapha (nom d’emprunt), Dakar, 23 juillet 2009.

[76] Entretien accordé à Human Rights Watch par Makhtar (nom d’emprunt), Dakar, 22 juillet 2009.

[77]Entretien accordé à Human Rights Watch par Moussa (nom d’emprunt), Kaolack, 2 août 2009. Nous n’avons pas été en mesure d’obtenir de plus amples informations sur la grâce présidentielle.

[78]Les policiers ont annoncé à Tamasir qu’ils allaient demander à quoi servait ce médicament. Tamasir ne sait pas ce que le pharmacien à dit aux policiers, mais quand les policiers sont revenus au camion, il a eu l’impression qu’ils ne savaient pas que les médicaments était des ARV, ni même ce qu’étaient les ARV.

[79] Entretien accordé à Human Rights Watch par Tamasir (nom d’emprunt), Dakar, 6 août 2009.

[80]Entretien accordé à Human Rights Watch par Ismaila (nom d’emprunt), Dakar, 24 juillet 2009.

[81]Entretien accordé à Human Rights Watch par Moussa (nom d’emprunt), Kaolack, 2 août 2009.

[82]«Clandestins » est le terme employé au sein de la communauté HSH pour désigner les hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes mais jouent un rôle sexuel exclusivement « actif » (pénétration ou insertion). Les clandestins passent pour des hétérosexuels et ont des relations sexuelles avec d’autres hommes.

[83]Daouda garde de son agression des cicatrices aux bras et au visage. Entretien accordé à Human Rights Watch par Daouda (nom d’emprunt), Dakar, 28 juillet 2009.

[84]Entretien accordé à Human Rights Watch par Tamasir (nom d’emprunt), Dakar, 6 août 2009.

[85]Entretien accordé à Human Rights Watch par David (nom d’emprunt), Dakar, 5 août 2009.

[86]Entretien accordé à Human Rights Watch par Sidi (nom d’emprunt), 28 juillet 2009.

[87]Entretien accordé à Human Rights Watch par Aliou (nom d’emprunt), Dakar, 25 juillet 2009.

[88] Entretien accordé à Human Rights Watch par Ansou (nom d’emprunt), Kaolack, 2 août 2009.

[89]Entretien accordé à Human Rights Watch par Pathe (nom d’emprunt), Dakar, 28 juillet 2009.

[90] Entretien accordé à Human Rights Watch par Ousmane (nom d’emprunt), Mbour, 30 juillet 2009.

[91]Entretien accordé à Human Rights Watch par Ziggy (nom d’emprunt), Mbour, 30 juillet 2009.

[92]Entretien accordé à Human Rights Watch par Idrissa (nom d’emprunt), Kaolack, 2 août 2009.

[93]Entretien accordé à Human Rights Watch par Moha (nom d’emprunt), Mbour, 30 juillet 2009.

[94]Entretien accordé à Human Rights Watch par Lucas (nom d’emprunt), Mbour, 30 juillet 2009.

[95] Entretien accordé à Human Rights Watch par M.C. (nom d’emprunt), Mbour, 30 juillet 2009.

[96]Entretien accordé à Human Rights Watch par Bachir Fofana, Dakar, 6 août 2009.

[97]Judith Butler utilise la notion de performativité issue de la pragmatique linguistique pour parler des identités: « La performativité est cette pratique discursive qui constitue ou produit ce qu’elle énonce. » Judith Butler, Bodies That Matter: On the Discursive Limits of «Sex » (New York: Routledge, 1993), p. 13.

[98]Entretien accordé à Human Rights Watch par Ansou (nom d’emprunt), Kaolack, 2 août 2009.

[99] Entretien accordé à Human Rights Watch par Sadiou (nom d’emprunt), Kaolack, 2 août 2009.

[100]Entretien accordé à Human Rights Watch par Bachir (nom d’emprunt), Dakar, 7 août 2009.

[101]Entretien accordé à Human Rights Watch par Lassana (nom d’emprunt), Kaolack, 2 août 2009.

[102]Entretien accordé à Human Rights Watch par Jawara (nom d’emprunt), Kaolack, 2 août 2009.

[103]Entretien accordé à Human Rights Watch par Tapha (nom d’emprunt), Dakar, 23 juillet 2009.

[104]Entretien accordé à Human Rights Watch par Jawara (nom d’emprunt), Kaolack, 2 août 2009.

[105] Entretien accordé à Human Rights Watch par Cheikh Niang, 7 octobre 2009. Pour une brève description des facteurs socio-culturels, religieux et historiques qui influencent le caractère et les dynamiques de la vie des familles sénégalaises, voir Loretta E. Bass et Fatou Sow, « Senegalese Families: The Confluence of Ethnicity, History, and Social Change », sous la direction de Yaw Obeneba-Sakyi et Baffour K. Takyi, African Families at the Turn of the 21st Century (Westport, CT : Praeger Publishers, 2006), p. 83 à 102.

[106]Loretta E. Bass et Fatou Sow, « Senegalese Families: The Confluence of Ethnicity, History, and Social Change », sous la direction de Yaw Obeneba-Sakyi et Baffour K. Takyi, African Families at the Turn of the 21st Century (Westport, CT : Praeger Publishers, 2006), p. 84.

[107]D’après les statistiques de l’ONU, plus d’un tiers de la population vit en-dessous du seuil national de pauvreté. Rapport 2006 sur le développement humain http://hdr.undp.org/en/media/HDR_2006_FR_Tables.pdf, au 7 octobre 2009. Les autorités sénégalaises elles-mêmes avancent le chiffre de 57 % — voir note 125 ci-après.

[108]Cheikh Niang a abordé la question de la négociation des principes de la sutura au niveau des actions de sensibilisation au VIH par et entre les éducateurs sexuels féminins au Sénégal. Il évoque la subtilité avec laquelle ce travail doit être effectué afin de ne pas violer le principe de la vie privée que contient la sutura. Voir Cheikh Ibrahima Niang, « Culture and Its Impact on HIV/AIDS Prevention and Care: Case Study on the Senegalese Experience », 2001 : 9-10, disponible sur : http://www.safaids.net/files/2007%2006%2005%20Cultural%20Approach%20to%20Prevention.pdf; au 25 septembre 2009.

[109] Entretien accordé à Human Rights Watch par Cheikh Niang, Dakar, 5 août 2009.

[110]Niels Tuenis, « Same-Sex Sexuality in Africa: A Case Study from Senegal », AIDS and Behavior, Vol. 5, n° 2 (2001), p. 173-82.

[111] Codou Bop, « Sénégal : Homophobie et manipulation politique de l’Islam », disponible sur http://www.wluml.org/fr/node/4514 (au 21 novembre 2010).

[112] Ibid.

[113]Entretien accordé à Human Rights Watch par Fatoumata Sow, 7 août 2009.

[114]« Après la libération des 9 homosexuels : Des Imams en jihad contre la dépravation des mœurs », Le Quotidien, 28 avril 2009.

[115] Bop, 2008, p. 3.

[116] « Proposition de loi contre l’homosexualité: L’affaire des goorjigéen en route vers le sommet », Walf Grand Place (n° 681), 11 mars 2008. Nous n’avons pas été en mesure de déterminer le statut de la loi au moment de la rédaction de ce rapport.

[117]Voir Mara Leichtman, « The Authentication of a Discursive Islam: Shi'a Alternatives to Sufi Orders », New Perspectives on Islam in Senegal: Conversion, Migration, Wealth, Power, and Femininity, sous la direction de Mamadou Diouf et Mara A. Leichtman (New York : Palgrave Macmillan : 2009), p. 115-17.

[118]Par exemple, l’imam Mbaye Niang, chef religieux et membre du Collectif des associations islamiques sénégalaises (CAIS) est président du parti politique du Mouvement de la réforme pour le développement social (MRDS), membre de l’Assemblée nationale, et membre de l’opposition au Parlement. Abdou Latif Gueye, autre membre du CAIS et président de l’ONG Jamra, est également membre de l’Assemblée nationale. Les chefs religieux exercent également une influence politique et sont courtisés par les chefs politiques. Voir le rapport de Human Rights Watch: Off the Backs of the Children: Forced Begging and Other Abuses against Talibés in Senegal, p. 29-29. http://www.hrw.org/en/reports/2010/04/15/backs-children-0

[119]Sur la politisation récente de la religion au Sénégal, voir Fabienne Samson, « Islam, Protest, and Citizen Mobilization: New Sufi Movements », New Perspectives on Islam in Senegal: Conversion, Migration, Wealth, Power, and Femininity, sous la direction de Mamadou Diouf et Mara A. Leichtman (New York : Palgrave Macmillan : 2009).

[120]Leichtman, 2009, p. 111, 113 (mises en évidence dans l’original).

[121] Ibid., p. 115, 113, 117. La découverte de l’islam chiite au Sénégal au XIXe siècle est le fait de l’immigration libanaise. Mais il faut attendre le XXe siècle pour que la religion apparaisse dans la constitution de l’identité libanaise avec la création de l’Institut islamique libanais en 1978. Dans les années 1970, le Cheik libanais El-Zein commence à enseigner l’islam chiite aux Sénégalais. Il revendique la création de cinq mosquées et de 130 écoles coraniques en dehors de Dakar. «Les convertis sénégalais dépendent en partie du Cheik libanais et de riches marchands libanais pour financer leurs institutions et leurs activités. » (ibid., p. 120). Leichtman relate la double influence de l’islam chiite libanais et de la révolution iranienne dans le revirement chiite du Sénégal.

[122]Leichtman affirme que les convertis chiites font partie de l’«élite intellectuelle qui parle souvent arabe entre elle et partage une religion minoritaire que les autres ne comprennent pas et dont ils ne connaissent souvent même pas l’existence au Sénégal » (ibid., p. 120).

[123]Voir ibid., p. 121-126, pour un compte rendu détaillé de ces institutions.

[124]Statistiques 2007 du ministère de l’Économie et des Finances, République du Sénégal, cité dans Bop, « Senegal: Homophobia and Islamic Political Manipulation », p. 3.

[126]Erin Augis, « Jambaar or Jumbax-Out: How Sunnite Women Negotiate Power and Belief in Orthodox Islamic Femininity », New Perspectives on Islam in Senegal: Conversion, Migration, Wealth, Power, and Femininity, sous la direction de Mamadou Diouf et Mara A. Leichtman (New York : Palgrave Macmillan : 2009), p. 219.

[127]Donna L. Perry, « Wolof Women, Economic Liberalization, and the Crisis of Masculinity in Rural Senegal », Ethnology, Vol. 44. N° 3 (Été 2005), p. 207-226 : 211.

[128]Voir également Leonardo A. Villalón, « ASR Focus: Islamism in West Africa—Senegal », African Studies Review, Vol. 47, n° 2 (septembre 2004), p. 61-71.

[129]Perry, 2005, p. 220.

[130]L’ampleur du bouleversement idéologique naissant est d’autant plus frappante lorsque l’on tient compte des données démographiques (2001), d’après lesquelles près de 60 % de la population est âgée de moins de 20 ans et seulement 5 % de plus de 60 ans. http://www.achpr.org/english/state_reports/Senegal/Senegal_2nd%20report.pdf, au 6 décembre 2009. 87 % de la jeunesse mondiale vit sur le continent africain.

[131]Bop, 2008, p. 8.

[132]Fondé en 2003 dans le but de prendre le contre-pied du mouvement féministe sénégalais en pleine croissance, le CIRCOFS est une association islamique demandant l’adaptation du droit national de la famille à la charia. Il appelle à la « restauration des tribunaux islamiques […] et à la modification de plusieurs articles du [code de la famille en vigueur] » concernant les droits de la femme dans le domaine du mariage, de la succession et du divorce. Voir Nadine Sieveking, « Negotiating Women's Rights from Multiple Perspectives: The Campaign for the Reform of Family Law in Senegal », dans Gudrun Lachenmann et Petra Dannecker, éds, Negotiating Development in Muslim Societies: Gendered Spaces and Transnational Connections (Plymouth, Royaume-Uni : Lexington Books, 2008), p. 152.

[133] Cité dans Augis, 2009, p. 226.

[134] Entretien accordé à Human Rights Watch par Babacar (nom d’emprunt), Dakar, 27 juillet 2009 ; entretien accordé à Human Rights Watch par Malang (nom d’emprunt), Dakar, 28 juillet 2009 ; entretien accordé à Human Rights Watch par Sidi (nom d’emprunt), Dakar, 28 juillet 2009.

[135] Jean-Paul Marthoz et Joseph Saunders, « Religion and the Human Rights Movement », World Report 2005: Events of 2004 (New York : Human Rights Watch, 2005), p. 41-42.

[136] « Homosexualité : Demande de dépénalisation », Le Quotidien (n° 1529), 11 février 2008.

[137] « Pour protester contre la libération des homosexuels : Marche de protestation, sermon des Imams au menu », Sud Quotidien (n° 4465), 8 février 2008.

[138]Le Grand Magal de Touba est une fête annuelle de la confrérie des Mourides qui se tient à Touba, un haut-lieu de pèlerinage, pour commémorer le départ en exile (du fait de la pression des forces impériales françaises) et le retour du fondateur de la confrérie. Des centaines de milliers de croyants du Sénégal et de l’étranger participent chaque année à cette fête.

[139]« Projet de dépénalisation universelle de l’homosexualité — Serigne Abdoul Aziz Sy ‘Junior’ : 'Le Sénégal ne signera jamais cette convention de la honte !’ », Le Quotidien, 11 mars 2009.

[140]http://futursenegalvideo.fliggo.com/video/0QGGdeM7.

[141] « Création d'un Front islamique pour la défense des valeurs éthiques », Jeune Afrique, 29 avril 2009. http://www.jeuneafrique.com/Article/DEPAFP20090429T222200Z/-justice-Religion-homosexualite-islam-Creation-d-un-Front-islamique-pour-la-defense-des-valeurs-ethiques.html, au 29 octobre 2009.

[142] « Gays Under Threat in Senegal », GlobalPost, 25 avril 2009.

[143]Entretien accordé à Human Rights Watch par Cherif (nom d’emprunt), Dakar, 31 juillet 2009.

[144]Entretiens menés par Human Rights Watch, Kaolack, 2 août 2009.

[145]Entretien accordé à Human Rights Watch par Sidy (nom d’emprunt), Kaolack, 2 août 2009.

[146]Moins d’une semaine après la libération des neuf membres d’AIDES Sénégal, le 20 avril 2009, 25 organisations islamiques et plusieurs chefs religieux se sont réunis à la mosquée Omar de Dakar pour créer ce Front, dont l’objectif explicite est de « préserver les valeurs morales sénégalaises » en s’opposant aux pratiques homosexuelles et en résistant aux pressions, tant internationales que locales, pour la dépénalisation des actes homosexuels. Un parlementaire au moins a participé à cette réunion. L’une des premières mesures adoptées par le Front, d’après le journal qui a couvert l’événement, a été de se rendre dans des mosquées et d’autres institutions religieuses, y compris catholiques, pour présenter leur projet. « Après la libération des 9 homosexuels : Des Imams en jihad contre la dépravation des mœurs », Le Quotidien, 28 avril 2009.

[147]Entretien accordé à Human Rights Watch par Bamar Guèye, Dakar, 29 août 2009.

[148] Cité dans un article sur des chefs religieux et imams ayant fait le serment de réprimer l’homosexualité dans Le Quotidien, 30 avril 2009.

[149] Entretien accordé à Human Rights Watch par Laye (nom d’emprunt), 24 juillet 2009. Au Sénégal ([n° 725], 6 février 2008) est l’un des journaux ayant relayé cette « information ».

[150] Bop, 2008, p. 2, 3.

[151]Entretien accordé à Human Rights Watch par Myriam Wedraogo, Dakar, 7 août 2009.

[152] Entretien accordé à Human Rights Watch par Safietou Kane, Dakar, 5 août 2009.

[153]« Marche contre l’homosexualité : djihad à Dakar », Walf Grand Place (n° 661), 17 février 2008.

[154]« Affaire des homosexuels : Latif Guèye réclame une application sans complaisance de la loi », Wal Fadjri (n° 4777), 21 février 2008.

[155] « Après la libération des homosexuels de Mbao : Les Imams traquent les pédés » L'AS (n° 1090), 30 avril – 1er mai 2009.

[156]« Anti-Dunx », Le Populaire (n° 2826), 29 avril 2009.

[157] « 9 vicieux sauvés par un… vice », Le Populaire (n° 2819), 21 avril 2009.

[158]Sans titre, Le Quotidien (n° 1882), 21 avril 2009.

[159] « La Cour d’Appel relaxe neuf homosexuels : Les goorjigéen ont le sourire », Walf Grand Place (n° 664), 21 avril 2009.

[160] Entretien accordé à Human Rights Watch par Laye (nom d’emprunt), Dakar, 5 août 2009.

[161]« On a violé la loi en libérant les homosexuels », L’Observateur, 28 avril 2009.

[162]Bop, 2008, p. 9.

[163]Cité dans un éditorial critiquant l’appel lancé par le Président français Nicolas Sarkozy concernant la dépénalisation de l’homosexualité au Sénégal dans Sud Quotidien, 27 avril 2009.

[164] Ousmane Drame, « Masonic and Homosexual Lobbies: A Big Social Scourge », 26 juin 2009, http://www.seneweb.com/news/article/23667.php, au 1er octobre 2009.

[165] La franc-maçonnerie est une organisation sociale, que l’on appelle souvent « société secrète », de nature religieuse (mais qui n’est pas une religion). Ses origines en Europe remontent au moins au XVIIIe siècle (on en trouve cependant des traces au XIVe siècle). Elle revendique être la fraternité la plus ancienne et la plus large au monde (elle reste toutefois réservée aux hommes) fondée sur « la fraternité des hommes et la paternité de Dieu ». De par l’utilisation allégorique du temple du roi Salomon dans l’imagerie maçonnique, la franc-maçonnerie est souvent associée dans les sociétés islamiques au sionisme et au désir de reconstruire le temple sur le site de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem. Il faut noter que la franc-maçonnerie, comme de nombreuses formes de soufisme, avance les principes de fraternité, de coopération et de non-violence.

[166] Entretien accordé à Human Rights Watch par Bachir Fofana, Dakar, 6 août 2009.

[167] Entretien accordé à Human Rights Watch par Myriam Wedraogo, Dakar, 7 août 2009.

[168]Entretien accordé à Human Rights par Fatoumata Sow, Dakar, 7 août 2009.

[169]Cité dans un éditorial du Quotidien, 8 décembre 2008.

[170] Entretien accordé à Human Rights Watch par Safietou Kane, Dakar, 5 août 2009.

[171] « L’intolérance », Sud Quotidien, 15 janvier 2009.                    

[172] Cité dans un éditorial critiquant l’appel lancé par le Président français Nicolas Sarkozy concernant la dépénalisation de l’homosexualité au Sénégal dans Sud Quotidien, 27 avril 2009.

[173]Open Society Institute, HIV/AIDS Policy in Senegal: A Civil Society Perspective (New York : OSI, 2007) : 11, 14.

[174]Groupe de travail OMS/ONUSIDA sur la surveillance mondiale du VIH/SIDA et des IST, « Epidemiological Fact Sheet on HIV and AIDS: Senegal » (septembre 2008) : 7.

[175] Dans un article publié en 2000, le Dr Waly Diop du West Africa Project to Combat AIDS affirme : « Nous n’avons pas constaté jusqu’à présent une épidémie de VIH au sein d’un seul groupe. » Il ajoute que l’un des facteurs qui explique l’exception sénégalaise est la « condamnation morale profonde de toute forme de cohabitation non approuvée par la religion susceptible de donner lieu à des rapports sexuels ». Il n’est pas fait mention des hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes dans l’article. Waly Diop, « From Government Policy to Community-Based Communication Strategies in Africa: Lessons from Senegal and Uganda », Journal of Health Communication, Volume 5 (supplément), janvier 2000 : 113-117 ; p. 113.

[176]« Senegal’s Recipe for Success: Early Mobilization and Political Commitment Keep HIV Infections Low », http://www.un.org/ecosocdev/geninfo/afrec/vol15no1/15no1pdf/151aid11.pdf, au 12 novembre 2009. Africa Recovery est publié par le département de l’information des Nations Unies.

[177]Cheikh Ibrahima Niang, et al., « It’s Raining Stones’: Stigma, Violence and HIV Vulnerability among Men Who Have Sex with Men in Dakar, Senegal », Culture, Health & Sexuality (Vol. 5, n° 6, novembre-décembre 2003) : 499-512.

[178] Abdoulaye Sidibe Wade et al., « HIV Infection and Sexually Transmitted Infections among Men Who Have Sex with Men in Senegal », AIDS, Vol. 19, n° 18,, 2005, 2133-40.

[179] L’ANCS est une organisation non gouvernementale fondée en 1995 en tant que partenaire de l’Alliance internationale contre le VIH/SIDA. L’ANCS vient en aide aux centres de dépistage du VIH, à des organisations communautaires, et mène des actions nationales en faveur des soins et du traitement.

[180] Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme est un fonds international de financement. Il a été créé en 2002 pour établir des partenariats entre la société civile, les gouvernements et le secteur privé. Il finance des programmes dans plus de 140 pays à travers le monde, accordant des subventions aux institutions publiques et aux organisations non gouvernementales.

[181]« Project for Strengthening the HIV/AIDS Response for Universal Access to Care and Prevention », http://accesstolife.theglobalfund.org/grantdocuments/6SNGH_1411_0_full.pdf, p. 47, 106.

[182] L’utilisation abusive des lois pénales réprimant l’homosexualité afin de discipliner certaines catégories d’individus est un phénomène courant. Dans une décision datée du 2 juillet 2009, la Cour supérieure de Delhi a déclaré l’article 377 du Code pénal indien inconstitutionnel et déclaré : « L’article 377 du Code pénal est neutre de faciès. Il sanctionne de prime abord des actes et non des identités. Toutefois, dans son application, il aboutit à prendre injustement pour cible une communauté particulière. Le fait est que ces actes sexuels réprimés pénalement sont associés étroitement à une catégorie de personnes, à savoir, les homosexuels en tant que catégorie. L’article 377 a pour conséquence de considérer tous les hommes gays commedes délinquants. »Voir la décision du 2 juillet 2009 de la Cour supérieure de Delhi dans l’affaire Naz Foundation / Government of NCT of Delhi and Others, p, 79-80, point 94.

[183] Article sur la conférence sur le SIDA tenue à Dakar dans lequel la Jamra dénonce l’implication d’homosexuels, Wal Fadjri (n° 5019), 12 décembre 2008.

[184] Entretien accordé à Human Rights Watch par le Dr Diop, Dakar, 7 août et 2 septembre 2009.

[185]Entretien accordé à Human Rights Watch par Bassirou (nom d’emprunt), Dakar, 23 juillet 2009. Bassirou est décédé en septembre 2009 ; voir l’avant-propos au début de ce rapport.

[186]Voir la décision du 2 juillet 2009 de la Cour supérieure de Delhi dans l’affaire Naz Foundation / Government of NCT of Delhi and Others, p. 51, point 62.

[187]Un entretien accordé par le président de l’ONG Jamra en mai 2009 illustre parfaitement ce point. http://guissguiss.over-blog.com/article-31786071.html, au 2 octobre 2009.

[188] Entretien accordé à Human Rights Watch par Ziggy (nom d’emprunt), Mbour, 30 juillet 2009.

[189] Le problème ne concerne pas que les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. Au Sénégal, la séropositivité suscite une profonde réprobation malgré le succès relatif du programme VIH/SIDA.

[190] Un article de l’ONUSIDA datant de 2006 cite l’étude du professeur Niang de 2002 indiquant que 88 % des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes à Dakar ont indiqué avoir également des rapports sexuels avec des femmes et 20 % d’entre eux avoir des relations anales avec des femmes. Voir ONUSIDA, « HIV and Sex Between Men », http://www.HSHandhiv.org/documents/Links_direct_from_Homepage/SignificanceofSexualMinorities/Plicy_Brief_HSH.pdf, au 20 octobre 2009. La proposition du CNLS de 2006 au Fonds mondial indique un taux de prévalence de 0,9 % chez les femmes et de 0,4 % chez les hommes. Voir CNLS, proposition au Fonds mondial, « Project for Strengthening then HIV/AIDS Response for Universal Access to Care and Prevention in Senegal », août 2006. http://www.theglobalfund.org/grantdocuments/6SNGH_1411_0_full.pdf, au 17 octobre 2009.

[191] Entretien accordé à Human Rights Watch par Khalifa (nom d’emprunt), Dakar, 5 août 2009.

[192]Entretien accordé à Human Rights Watch par Bachir (nom d’emprunt), Dakar, 7 août 2009.

[193]Entretien accordé à Human Rights Watch par Tamasir (nom d’emprunt), Dakar, 6 août 2009.

[194]Entretien accordé à Human Rights Watch par Absa (nom d’emprunt), Dakar, 5 août 2009.

[195]Entretien accordé à Human Rights Watch par Tapha (nom d’emprunt), Dakar, 23 juillet 2009.

[196]Interventions de Fatou Kine Camara et du Dr Ibra Ndoye lors de la table ronde « VIH/SIDA et Homosexualité au Sénégal : État de la recherche interdisciplinaire », organisée par le Sociology Club et le Programme SAHARA (Social Aspects of HIV/AIDS & Health Research Alliance, Institut des Sciences de l’Environnement), université Cheikh Anta Diop, 22 juillet 2009.

[197]Comité des droits de l’homme, « Concluding Observations: El Salvador », CCPR/CO/78/SLV, 22 juillet 2003, point 16.

[198] Voir par exemple les communications n° 322/1988, Rodriguez / Uruguay, adoptée le 14 juillet 1994, n° 328/1988, Blanco / Nicaragua, adopté le 20 juillet 1994, et n° 1096/2002, Kurbanov / Tajikistan, adoptée le 6 novembre 2003.

[199] Comité des droits de l’homme, « Observation générale n° 20, article 7 » (quarante-quatrième session, 1992), Récapitulation des observations générales ou recommandations générales adoptées par les organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, N.U doc. HRI/GEN/1/Rév.1 au point 30 (1994).

[200] Voir Toonen / Australia, communication n° 488/1992, adoptée le 4 avril 1994 ; Young / Australia, communication n° 941/2000, adoptée le 18 septembre 2003. Le Comité des droits de l’homme a également exhorté les États à promulguer des lois anti-discrimination qui visent expressément l’orientation sexuelle, et à condamner dans leur constitution toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Comité des droits de l’homme, Observations finales du Comité : Slovaquie », CRC/C/SVK/CO/2, 8 juin 2007, point 28 ; « Observations finales du Comité : Namibie », CCPR/CO/81/NAM, 30 juillet 2004, point 22 ; « Observations finales du Comité : Trinidad et Tobago, CCPR/CO/70/TTO, 3 novembre 2000, point. 11; « Observations finales du Comité : Pologne », 66e session, CCPR/C/79/Add.110, point 23.

[201] Les déclarations de Mute se trouve sur http://www.pambazuka.org/en/category/comment/53072, au 16 décembre 2009.

[202] Voir le rapport de Human Rights Watch « This Alien Legacy: The Origins of ‘Sodomy Laws’ in British Colonialism » pour une étude sur l’imposition de lois de réglementation des comportements sexuels et sociaux dans les territoires de l’ancien empire britannique. http://www.hrw.org/en/reports/2008/12/17/alien-legacy.

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