«Ils disaient
que nous étions
leurs esclaves»

Violences sexuelles perpétrées par les groupes armés en République centrafricaine

Photographies par Smita Sharma pour Human Rights Watch

En presque cinq ans de conflit, les groupes armés actifs en République centrafricaine ont commis des violences sexuelles généralisées et utilisé le viol et l'esclavage sexuel comme tactiques de guerre. Le nouveau rapport de Human Rights Watch, « Ils disaient que nous étions leurs esclaves », publié en octobre 2017, s'appuie sur des entretiens avec presque 300 survivantes pour illustrer comment les deux principales parties au conflit, la Séléka et les antibalaka, ont fait usage de violences sexuelles contre les femmes et les filles, notamment selon des critères sectaires.

Ces photos, prises par Smita Sharma pour Human Rights Watch, illustrent cette dure réalité. Human Rights Watch appelle à la cessation des abus, à des poursuites contre leurs auteurs et les commandants responsables, ainsi qu’au renforcement de l’aide aux victims ayant survécu et pu fuir.

 
“Nalia”

« Nalia » (les noms des survivantes ont tous été changés), 38 ans, a raconté que plus de 20 combattants anti-bakala étaient venus chez elle à Bangui en février 2014 pendant qu’elle prenait son petit-déjeuner avec son mari et ses cinq enfants. Elle a entendu les hommes armés dire : « Nous sommes venus à cause des musulmans».

 

Les anti-balaka ont essayé d’enlever Nalia et son fils de 14 ans en disant : « Puisque tu es un petit musulman, nous allons t’emmener avec ta mère ». Lorsque son fils a résisté, les anti-balaka lui ont tiré dans le dos. Puis ils ont emmené Nalia jusqu’à leur base, où quatre d’entre eux l’ont violée. « Ils m’ont tout pris », a-t-elle dit. « Ils ont tué mon fils de 14 ans. Ils ont tout pillé dans ma maison. Je n’ai plus rien.»

 

Après avoir été violée, Nalia a été fréquemment malade. En mai 2015, un examen médical a révélé qu’elle était séropositive. Elle a ensuite créé une association communautaire pour aider d’autres victimes de violences sexuelles à obtenir des soins médicaux et un soutien socio-économique.

 
“Valérie”

« Valérie », 38, ans, était chez elle près de Yaloké, dans la province d’Ombella-M’poko, avec son mari et ses quatre enfants en février 2015 lorsque six combattants de la Séléka avaient fait irruption et exigé de l’argent ou des armes. Son mari leur a répondu que sa famille n’avait ni l’un ni l’autre et les combattants ont menacé de le tuer ou de violer Valérie. « L’un d’eux m’a frappée avec son pistolet », a-t-elle dit. « Je leur ai dit de me violer et de laisser mon mari. » Un combattant l’a violée devant son mari et ses enfants. Les combattants ont ensuite ligoté les deux fils adolescents du couple pour les enlever. Lorsque son mari a tenté d’intervenir, les combattants l’ont abattu.

 

Valérie a relaté qu’elle s’était mise à pleurer et s’était jetée sur le corps de son mari pendant que les combattants emmenaient ses fils. Plus tard, elle a entendu des rumeurs sur l’endroit où se trouvaient ses fils mais elle ne les a jamais revus depuis. Valérie a indiqué ressentir une douleur physique, mais aussi souffrir des conséquences émotionnelles et économiques de l’attaque. « Je ne suis plus comme avant », a-t-elle précisé. « Avant, je n’avais pas de problèmes. J’étais vendeuse. Mais quand la crise a éclaté, j’ai tout perdu ».

 
“Angèle”

Angèle, 27 ans, serre son enfant dans ses bras à Bangui. Les combattants de la Séléka ont tué son mari et ses parents, avant de la capturer près de Bambari en juin 2014. Ils l’ont détenue en tant qu’esclave sexuelle pendant neuf mois avec cinq autres femmes et jeunes filles, et l’ont fréquemment violée. « Pendant la journée, ils le faisaient une fois [le viol] », a-t-elle précisé. « La nuit, c’est un autre [combattant] qui nous appelait. Nous pensions que c’était pour préparer le thé, mais c’était pour nous violer. Ils disaient que nous étions leurs esclaves ». Les miliciens forçaient aussi les femmes à faire la cuisine. « Si nous ne cuisinions pas [la nourriture] très bien, ils nous frappaient avec la crosse de leurs pistolets et les fouets qu’ils utilisaient pour leurs chevaux. » Les combattants ont continué de la violer une fois Angèle tombée enceinte en captivité. Elle a finalement réussi à s’échapper juste avant d’accoucher mais n’est pas allée se faire soigner. Angèle a expliqué avoir appris à aimer et accepter son enfant mais que cela avait été une épreuve pour elle au début ; sa famille l’a rejetée, lui reprochant d’avoir un enfant « sans père ». Au départ, a-t-elle relaté, « Je pensais que le bébé devait mourir, ou que je devais mourir avec le bébé. »

 
“Arlette”

« Arlette », âgée d’environ 60 ans, a déclaré qu’au début de l’année 2014, alors qu’elle rentrait de ses champs avec deux de ses fils, des bagarres ont éclaté près de Mbrès, dans la province de Nana-Grebizi. Deux combattants Séléka ont abattu ses fils, âgés de 23 et 26 ans, et l’un des combattants l’a violée. « Il m’a donné un coup de poing dans la mâchoire », a-t-elle dit. « J’ai eu une dent cassée. Il m’a jetée par terre de force. Il a arraché mes vêtements et s’est mis à me violer. ». Les combattants ont alors mis le feu à sa maison, tuant ainsi son mari qui était resté à l’intérieur, malade, et s’est retrouvé ainsi piégé. « J’ai vu de mes propres yeux ma maison qui brûlait » se souvient-elle. Quand les combattants sont partis, elle s’est enfuie avec ses deux plus jeunes enfants. Elle est allée à une clinique locale, mais a eu trop honte de leur dire qu’elle avait été violée. « Vous avez vu mon âge ? Je ne devrais pas avoir une relation sexuelle avec des hommes. Comment vais-je pouvoir parler de cela ? ».

 
“Joséphine”

« Joséphine », une femme de 28 ans, a fui sa maison à Bangui avec son mari et cinq jeunes enfants en octobre 2014. Quand elle revint brièvement pour récupérer des vêtements et de la vaisselle pour la famille, trois anti-balaka l’ont interceptée et violée avec une bouteille de bière cassée.

 

« Quand ils l’ont enfoncée [la bouteille] en moi, le sang a coulé et j’ai perdu connaissance » a-t-elle dit. Ensuite ils allèrent voir les voisins et leur dirent : « Nous avons arrêté une femme venant de chez les musulmans ». Après le viol son mari disait d’elle qu’elle faisait partie des « femmes des anti-balaka », et ils finirent par se séparer. Joséphine dit qu’elle souffre de maux de tête constants, et les souvenirs des violences subies la hantent.

 
“Alice”

En avril 2016, « Alice », 21 ans, se trouvait avec d’autres personnes dans un taxi lorsque quatre combattants anti-balaka stoppèrent le véhicule près de Mbaïki, dans la province de Lobaye. Elle raconta que les combattants tirèrent sur le conducteur, le blessant à la jambe, et conduisirent Alice et cinq autres femmes et jeunes filles vers une base proche de là, où ils les gardèrent comme esclaves sexuelles pendant trois jours. Deux combattants violèrent Alice à plusieurs reprises. « Ils m’ont dit que si j’essayais de m’enfuir ils me tueraient », a-t-elle expliqué. “Les deux combattants me violaient l’un après l’autre le matin, et ils faisaient de même le soir ». Alice déclara que les combattants la frappaient avec une ceinture, et la forçaient à laver leurs vêtements et à cuisiner pour eux. Après trois jours de captivité, elle parvint à s’enfuir mais, en dépit de douleurs abdominales et pelviennes permanentes, elle n’avait pas cherché d’aide médicale parce qu’elle ne savait pas où aller ni comment la solliciter.

 
“Martine”

« Martine », 32 ans, se trouvait chez elle à Bambari lorsque des forces Séléka attaquèrent la ville en décembre 2013. Elle a vu des Séléka contraindre son mari et son frère aîné à creuser deux tombes et ensuite les tuer par balles. Les Séléka ont ensuite enlevé Martine et une vingtaine d’autres femmes et jeunes filles – certaines âgées de 12 ans à peine – et les ont forcées à servir d’esclaves sexuelles. Martine raconta que les femmes et filles étaient attachées aux poignets et aux chevilles. « Ils nous détachaient pour avoir des relations sexuelles. Puis, quand ils avaient fini, ils nous attachaient de nouveau » déclara-t-elle. « Ils faisaient cela à tout moment, plusieurs fois par jour. […] Chaque jour il y avait quatre ou cinq personnes différentes [qui nous violaient]. ». Les Séléka forçaient également les femmes et les jeunes filles à aller chercher de l’eau, à cuisiner et à laver la vaisselle. La mère de Martine et trois filles, qui s’étaient enfuies au cours de l’attaque sur Bambari, furent tuées lorsqu’une église qui abritait des civils fut bombardée au cours des combats.

 
“Marie”

Lors d’une attaque en avril 2013 au quartier Boy-Rabe de Bangui, six combattants Séléka, armés de fusils et de machettes, se rendirent chez « Marie », une femme de 30 ans. Deux d’entre eux ont fait mettre genou à terre à son mari, sous la menace d’une arme, tandis que les autres l’ont jetée par terre. « Chacun des quatre hommes m’a violée » a-t-elle dit. « Mon mari était dans la pièce mais ils l’ont obligé de ne pas bouger. » Marie n’a pas eu de soins médicaux et n’a pas pu se faire faire un test VIH à la suite de ces viols, car elle n’avait pas suffisamment d’argent. « Je pense à ce que ces hommes m’ont fait et je demande que justice soit faite […] Je veux que ces hommes soient jugés et mis en prison. »

 
“Nicole”

« Nicole », 26 ans, travaillait comme vendeuse à Bangui en décembre 2013 lorsque des combattants Séléka lourdement armés, qui fuyaient une attaque anti-balaka, l’ont capturée et emmenée dans une maison, où trois combattants l’ont violée à tour de rôle. Ils ont ensuite discuté pour savoir s’ils allaient la garder pour qu’elle cuisine pour eux. Ils ont fini par la relâcher, en attachant son pagne (sarong) autour de ses mains et sur sa bouche. Après le viol, Nicole déclara : « J’étais déjà morte ». Quand elle raconta l’attaque à son mari, la nature de leurs relations changea. « Il ne me traitait pas bien » raconta-t-elle. « Il ne voulait pas me donner de l’argent pour manger ». Ils finirent par divorcer.

 
“Natifa”

Un matin en février 2014, des combattants anti-balaka encerclèrent la maison de « Natifa », une femme de 35 ans. Elle s’enfuit dans une maison voisine et entendit les anti-balaka qui hurlaient « Où est-elle, la femme musulmane ? Nous sommes venus pour elle ». Son voisin les laissa s’emparer d’elle lorsque les anti-balaka menacèrent de le tuer, et ils la conduisirent de force jusqu’à leur base. « [Leur chef] ordonna à ses hommes de m’amener dans la maison » se souvint Natifa. « Ils commencèrent à me torturer. L’un d’eux avait une grenade dans la main. Il me dit de me déshabiller. Il a placé la grenade dans mes parties génitales. L’un d’eux a dit : “Non, pourquoi est-ce que tu fais ça ? Si ça explose, on va tous mourir.” »

 

Deux combattants anti-balaka la violèrent et d’autres la frappèrent avec des bâtons et des ceintures avant de l’enfermer dans une maison. Natifa parvint à s’échapper quand le combattant qui montait la garde lui dit de s’enfuir car les autres anti-balaka prévoyaient de la tuer cette nuit-là. Enceinte de trois mois à l’époque du viol, Natifa eut une fausse couche une semaine plus tard. Quand elle raconta à son mari l’attaque qu’elle avait subie, sa famille le poussa à prendre ses enfants et à la quitter.

 
 Monique Nali

Monique Nali, photographiée dans sa maison dans le quartier de Boy-Rabe à Bangui, que les Séléka attaquèrent en 2013 parce qu’elle avait reçu de l’aide des anti-balaka dans la région. Elle s’est rendu compte que la plupart des victimes de viols n’avaient pas reçu d’assistance médicale ni autre aide d’aucune sorte. « L’autre gros obstacle majeur c’est la honte » a-t-elle dit. « Elles sont stigmatisées. Elles ont été violées en public. Tout le quartier sait quelles femmes ont été violées. » Voyant que les survivantes avaient non seulement subi des traumatismes physiques et émotionnels, mais se retrouvaient également seules et sans ressources, elle a organisé pour ces femmes des activités sociales et dans certains cas rémunérées. Elle a cofondé une petite organisation non gouvernementale (ONG), dont le but est d’aider les femmes de la région.

 
 Paul Amédée Moyenzo

Le Capitaine Paul Amédée Moyenzo à Bangui devant le siège de l’Unité Mixte d'Intervention Rapide et de Répression des violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants (UMIRR), qu’il dirige. Cette unité rassemble des forces de police et de gendarmerie formées pour enregistrer, enquêter et résoudre des cas de violence sexuelle, et est devenue opérationnelle vers la mi-2017. L’UMIRR soumettra des affaires à la nouvelle Cour Pénale Spéciale, une cour hybride et novatrice intégrée au système de justice national pour mener des enquêtes et engager des poursuites dans des cas de violations des droits humains. « Ceux qui ont commis des abus doivent être arrêtés », a déclaré le Capitaine Moyenzo. « Parce que s’ils ne sont pas arrêtés et mis en détention dès à présent, aucune victime ne pourra saisir les tribunaux et cela rendra la justice inaccessible. Nous devons lutter contre l’impunité.»

 

Des femmes traversent un village à pied à la périphérie de Bangui, en République centrafricaine.