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Repenser la notion d’asile sur une planète qui se réchauffe

© 2020 Brian Stauffer pour Human Rights Watch

Par Bill Frelick

La famille Teitiota, originaire d’une île peu connue du Pacifique, n’avait pas prévu de jouer un rôle de catalyseur de l’expansion du concept d’ « asile », mais c’est exactement ce qui s’est passé.

En 2015, la Nouvelle-Zélande avait refusé la demande d’asile de la famille Teitiota et l’avait expulsée. Les deux parents avaient maintenu que les mauvaises récoltes, le flétrissement des cocotiers, le surpeuplement, les maladies et les conflits occasionnés par la montée du niveau de la mer sur l’atoll de Tarawa, en République de Kiribati, menaçaient la santé et le bien-être de leurs trois enfants.

La Cour suprême de Nouvelle-Zélande avait alors statué que la famille ne répondait pas au critère de « [crainte] avec raison d’être persécutée » établi par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.

Le 7 janvier 2020, Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, qui surveille le respect par les gouvernements du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a rejeté la plainte de la famille selon laquelle la Nouvelle-Zélande avait violé ses droits en la déportant. Tout en acceptant que l’élévation du niveau de la mer rendrait vraisemblablement Kiribati inhabitable, le Comité a déclaré que la conclusion des autorités néo-zélandaises selon lesquelles les mesures d’adaptation prises par le gouvernement de Kiribati étaient suffisantes au moment, n’avait rien de manifestement arbitraire.

Cependant, le Comité a aussi souligné le besoin d’élargir l’interprétation du principe de non-refoulement énoncé dans la Convention sur les réfugiés, et interdisant le renvoi d’une personne vers un pays ou lieu « où sa vie ou sa liberté serait menacée ». En l’absence de mesures nationales ou internationales, a déclaré le Comité, l’élévation du niveau de la mer et d’autres effets du changement climatique risquent d’exposer les personnes à des violations de leur droit à la vie, ce qui déclenche le principe de non-refoulement.

« L’obligation de ne pas extrader, expulser ou transférer par d’autres moyens énoncée à l’article 6 du Pacte [qui protège le droit à la vie] a une portée plus vaste que le principe de non-refoulement consacré par le droit international des réfugiés », a indiqué le Comité, « car elle peut aussi nécessiter la protection d’étrangers qui ne peuvent pas prétendre au statut de réfugié. »

Le temps presse.

La réalité inéluctable du réchauffement climatique qui entraînera un déplacement massif de personnes dans les décennies à venir, exige le remaniement des lois, politiques et attitudes de plus en plus anachroniques régissant la migration internationale des personnes entre les pays.

Selon un scénario d’avenir, qui repose sur l’hypothèse « modérée » d’une diminution des émissions actuelles de gaz à effet de serre, et d’un réchauffement de la planète de 2 %, les scientifiques prévoient que la montée du niveau des eaux dans les 30 prochaines années placera environ 150 millions de personnes de manière permanente, au-dessous de la ligne des hautes eaux. Or, en cas de persistance du niveau d’émissions plus élevé que les prévisions et d’augmentation moyenne des températures de la planète supérieure à 2 degrés, les scientifiques projettent que l’accélération de la fonte de la calotte glaciaire pourrait entraîner un déplacement de 300 millions de personnes d’ici le milieu de 21e siècle.

Alors que l’élévation du niveau des mers pourrait être particulièrement dévastatrice en Asie et dans le Pacifique, l’élévation des températures fait aussi peser de graves menaces sur des pays enclavés comme le Tchad, l’Éthiopie, le Soudan du Sud, et le Zimbabwe. En 2020, le dipôle de l’océan Indien (surnommé « El Niño indien »), marqué par une oscillation des températures de surface de la partie occidentale de cet océan, a continué à entraîner des phénomènes météorologiques extrêmes et des aléas climatiques comme la sécheresse et de fortes pluies. Ceci  a contribué à de fortes précipitations dans la Corne de l’Afrique habituellement aride, avec pour conséquences, la pire infestation de criquets pèlerins en 70 ans au Kenya, et une importante insécurité alimentaire en Afrique de l’Est et dans la Corne de l’Afrique. Inondations, sécheresse, famine et maladies ont des effets destructeurs non seulement les terres arables mais accentuent les exactions consécutives aux conflits armés, au non droit et à l’oppression.

Divers textes juridiques régionaux en Afrique, en Amérique latine et en Europe ont été révisés, afin d’élargir la définition de « réfugié » adoptée à la suite de la Seconde  Guerre mondiale, et le principe de « non-refoulement » a été intégré dans la Convention contre la torture, ainsi que dans d’autres traités relatifs aux droits humains.

Les motifs de protection demeurent toutefois limités partout dans le monde. De plus, des gouvernements influents ont choisi au cours des dernières années, d’interpréter de manière encore plus étroite les conditions requises pour obtenir l’asile. Par exemple, en 2020, l’administration du président américain Donald Trump a proposé une nouvelle réglementation qui exclurait le genre comme motif recevable de protection de personne persécutée du fait de son appartenance à un certain groupe social.

Or, les effets du réchauffement climatique démontrent le besoin d’un concept élargi de protection internationale. Le danger de noyade ou de famine par suite du changement climatique constitue-t-il moins une menace nécessitant protection que la persécution pour son identité ou ses croyances ? Que la cause de la souffrance soit intentionnelle ou non, l’atteinte à la vie et à l’intégrité physique peut être tout aussi grave.

Que les catastrophes environnementales soient la cause directe du déplacement ou constituent un facteur aggravant se superposant à la violence, l’inégalité ou la mauvaise gouvernance, des millions de personnes dans le monde ont déjà connu des déplacements internes ou été contraintes de chercher refuge dans un pays voisin car leur vie était en danger dans le leur.

Un cadre juridique international de protection des réfugiés réaliste et réceptif ne doit pas seulement protéger les personnes d’un retour à la persécution, à la torture ou aux mauvais traitements ; il doit reconnaître qu’une personne a aussi besoin de protection contre un retour forcé pour se trouver confrontée à de graves menaces pour sa vie ou son intégrité physique en raison d’un véritable risque de violence ou d’une situation exceptionnelle pour laquelle n’existe aucun remède adéquat dans le pays. Les catastrophes naturelles ou causées par l’homme, dont les effets du changement climatique, constituent de telles situations.

Dans leur immense majorité, les personnes déplacées dans le monde en raison du changement climatique essaieront de rester dans leur pays et ne nécessiteront pas de nouveaux critères légaux pour leur protection. Toutefois, pour ceux qui sont confrontés dans leur pays par de graves menaces auxquelles il ne peut être remédié, le cadre juridique existant de protection des réfugiés et des droits humains a besoin d’être élargi.

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